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Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.

Le Magazine littéraire, no. 471 (janvier 2008), 98p. [8.10$]

Dossier « Simone de Beauvoir, la passion de la liberté »

Coordonné par Perrine Simon-Nahum, le dossier invite à découvrir les multiples visages de l`auteur du Deuxième sexe (1949). On y retrouve en autres deux entretiens : le premier avec Danièle Sallenave, qui vient de publier Castor de guerre : Un portrait de Simone de Beauvoir (Gallimard); le second avec Elisabeth Badinter, spécialiste de la pensée des Lumières. Parlant du bonheur des choses et du goût pour la vie chez Beauvoir, Sallenave la décrit comme « une femme qui est dans une intensité totale, qui éprouve un appel incroyable vers la vie sensible, les couleurs, les nourritures, les corps. Mais en même temps – et c`est ce qui fait la puissance vitale de son engagement – elle vit en permanence l`angoisse et l`horreur de l`anéantissement. C`est ce qui lui donne cette énergie hors du commun. Elle se jette en permanence dans le monde sans jamais chercher à apaiser les choses » (p.32).

Pour sa part, Badinter insiste sur l`apport de Simone de Beauvoir et affirme que « Des femmes qui incarnent la liberté il en existe peu et c`est bien Simone de Beauvoir qui a ouvert la cage, la porte de cette prison dans laquelle étaient enfermées les femmes de l`après-guerre et, d`une certaine façon, celles de ma génération, encore prisonnières des schémas naturalistes. Nous nous sentions condamnées à une vie tracée d`avance : mère, épouse, ménagère. En nous expliquant que nous n`étions pas définies par notre déterminisme biologique, la philosophe déchirait le voile » (p.54).

À cela s`ajoute d`autres points de vue. D`abord, la romancière Benoîte Groult postule que Simone de Beauvoir n`est pas encore à sa vraie place dans l`histoire des idées : « Elle a en tout cas contribué plus que tout autre à l`émergence d`une conscience féminine capable de surmonter la fatalité de sa condition, ce qui est le sens même de l`existentialisme. Par toute son œuvre, elle a réussi à faire entrer les femmes dans leur histoire et par là même dans l`Histoire tout court ». (p.50). Puis, la psychanalyste Julia Kristeva se demande si en réclamant l`égalité des sexes Simone de Beauvoir ne faisait-elle pas, en fin de compte, l`éloge d`un « universalisme phallique » ? Pour Kristeva, « en maintenant son aspiration à l`égalité avec le masculin surévalué et néanmoins  » fraternel « , et tout en épargnant à Sartre l`angoisse de castration face à la femme de tête qu`elle est, Beauvoir sauvegarde l`hypothèse du couple égalitaire » (p.58).

Enfin, Éric Deschavanne, professeur de philosophie et chargé de cours à la Sorbonne, mentionne que Beauvoir bien qu`existentialiste se démarque de Sartre à propos du problème de la justification de l`existence, Citant Beauvoir, il affirme que « ce qui distingue les sexes du point de vue de la justification tient au fait que  » les femmes, plus que les hommes, éprouvent le besoin d`avoir un ciel au-dessus de leurs têtes  » (8). La femme éprouve en conséquence le besoin corrélatif de  » se faire justifier par le suffrage d`autrui (9)  » : le sentiment de son être et de sa valeur dépend du regard que l`homme porte sur elle » […] Beauvoir milite pour le droit des femmes de vivre dans l`angoisse et le risque de la liberté : pour le droit de pouvoir conquérir par soi-même le sens de la vie (p. 62).

Finalement, Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences à l`université de Paris-Sorbonne, s`intéresse à la réflexion philosophique de Beauvoir sur la vieillesse. Ainsi, pour elle, la seule façon de donner sens à la fin de la vie est de continuer à la mener comme avant : dans l`engagement et la liberté. Appuyant les analyses de Beauvoir, l`auteur affirme qu`il faut prolonger l`adulte de sorte que « s`il est devenu impossible de se consoler des mutilations liées à l`âge et d`y consentir, l`éthique individualiste de l`authenticité n`est peut-être pas sans ressources pour penser la grandeur du vieillard». (p.65). Le lecteur peut également prendre connaissance d`extraits inédits (p.38-41) des Cahiers de jeunesse, présentés par Sylvie Le Bon de Beauvoir, celle-là même que Beauvoir adopte en 1981.

Outre ce dossier, ce même numéro inclut un débat entre les philosophes de formation François Jullien et Bruno Latour au sujet de la question suivante : comment rebâtir un monde commun entre les peuples ? De leurs échanges, nous retiendrons et méditerons le propos suivant de Bruno Latour qui pense que « le monde commun est un avenir qui demeure encore entièrement, artificiellement, à composer. Une des grandes chances qui s`offre à nous dans ce cadre, c`est d`ailleurs que l`Europe connaît aujourd`hui une période de faiblesse relative ou de doute sur elle-même qui facilite ce réexamen ». (p.97).

Info. : www.magazine-litteraire.com