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Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.

Le Magazine littéraire, no. 478 (septembre 2008), 106p. [8.10$]

Le Dossier de 25 pages a pour thème « Voltaire, ici et maintenant ». Il comprend 11 articles et est coordonné par Michel Delon, qui a dirigé le Dictionnaire européen des Lumières (PUF,1997), et par François Aubel, rédacteur en chef du Magazine littéraire.

Dans un entretien avec Alexis Lacroix, l`historien Bronislaw Baczko, traitant de la question du mal chez Voltaire et des répercussions du tremblement de terre de Lisbonne (1755), affirme qu` « Il a été l`occasion pour Voltaire de donner libre cours à son émotion devant le désastre, puis d`avouer les doutes qu`avait suscités en lui l`organisation rationnelle et optimale du monde défendue par les philosophes optimistes. Tout se passe en effet comme si ce désastre avait déclenché chez Voltaire une crise philosophique et morale : sa perception du mal change, comme sa manière d`en parler » (p.63).

Dans son article intitulé « Encore un effort pour être raisonnable », Éliane Martin-Hagg, maître de conférences en philosophie à Toulouse-Le Mirail, mentionne que Voltaire nous interpelle encore « parce qu`à ses yeux le progrès n`est assuré par aucun principe supérieur ou métaphysique : le perfectionnement de la société est toujours précaire et fragile, car il dépend strictement de nous, d`une nouvelle éthique de la praxis qui historicise la conception rationnelle de la prudence ou de la phronesis aristotélicienne » (p.67).

S`intéressant aux ambiguïtés voltairiennes, l`historien Pierre Milza rappelle que « Ce qui fait la grandeur de Voltaire, c`est le dépassement de soi qui a peu à peu transformé ce courtisan assoiffé de reconnaissance et d`honneurs, ce nouveau riche épris de luxe et devenu le banquier des puissants, en  » intellectuel  » engagé dans la défense des persécutés, ainsi qu`en philanthrope consacrant une partie de sa fortune à transformer un hameau misérable en un village prospère » (p.68-69). À ce portrait, il ajoute toutefois que Voltaire est dévoré d`ambition : « Son orgueil et son tempérament rancunier peuvent le conduire aux pires excès et aux pires injustices. Toutes ses palinodies, ses grimaces, ces cajoleries envers les puissants ne lui sont pas dictées par de nobles sentiments. Mais il fait la guerre, et, à un contre cent, la guerre justifie toutes les ruses » (p.69).

Pour Fernando Savater, philosophe et professeur à l`Université de Madrid, Voltaire demeure, même aujourd`hui, un recours salutaire face à l`obscurantisme. En ce sens, il souligne qu`« il y a encore trente ou quarante ans, de nombreux intellectuels français n`ont pas perçu le réveil imminent de la tutelle cléricale. Ils n`ont pas soupçonné qu`à la toute fin du XXe siècle, en de nombreux points de la planète, le religieux allait de nouveau s`échapper des frontières étroites des convictions privées, pour déborder dans l`espace public. Ils étaient loin d`imaginer que, emportée par les nouvelles formes d`intégrisme et d`idolâtrie, la religion redeviendrait une préoccupation – et une menace – d`ordre collectif » (p.71).

De son côté, Jean-Marie Goulemot, professeur à l`Institut universitaire de France, rappelle que les contes de Voltaire, longtemps sous-estimés, représentent aujourd`hui ses œuvres les plus populaires. À cet égard, l`auteur souligne que « Si le Voltaire grivois n`intéresse plus, si le Voltaire de l`affaire Calas demeure une référence obsédante de Zola à Sartre et bien au-delà, les contes, qu`on ne cesse de publier (dix éditions depuis 2001), sont devenus, à eux seuls, représentatifs de la philosophie et de l`esprit voltairiens, ramenés à une alliance réussie de légèreté, d`ironie et d`efficacité » (p.73).

Pour sa part, Geneviève Haroche, professeur de littérature à l`Université d`Orléans, signale que la correspondance de Voltaire représente 15,300 lettres, soit treize tomes de la bibliothèque de la Pléiade. Or, dit-elle, pour tenir une telle correspondance, la facilité ne suffit pas, il y faut de la persévérance. Elle retient que dans les aspects microscopiques de sa vie, « la correspondance de Voltaire révèle la dimension quotidienne d`un homme plus tendre et plus constamment généreux que sa réputation de polémiste ne le laissait entendre » (p.77).

Dans le dernier article, Guillaume Métayer, agrégé de lettres classiques, montre que l`auteur de Candide traverse toute la vie et l`écriture du philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900), notamment dans Humain, trop humain (1878). Métayer souligne que pour Nietzsche, « Voltaire marque la possibilité d`une joie inédite en l`esprit, une émancipation, vers le haut, des pesanteurs de la mortification, le surgissement d`une  » deuxième nature  » civilisée, capable d`agir avec la souplesse, la sûreté et l`élégance de la première. […] Héros de la  » liberté de l`esprit « , poète tragique classique et philosophe satirique, démolisseur jovial et esprit  » absolument non révolutionnaire « , Voltaire fut, par excellence, l`écrivain français de Nietzsche » (p.81).

Le Dossier se referme sur une bibliographie indicative très utile au débutant.

Info. : http://www.magazine-litteraire.com