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Patrice Létourneau est enseignant en philosophie au Cégep de Trois-Rivières depuis 2005. Outre son enseignement, il a aussi été en charge de la coordination du Département de Philosophie pendant 8 ans, de juin 2009 à juin 2017. Il est par ailleurs l'auteur d'un essai sur la création, le sens et l'interprétation (Éditions Nota bene, 2005) ainsi que d'autres publications avec des éditeurs reconnus. Il collabore à PhiloTR depuis 2005.

NDLR : voir aussi les vidéos des performances «Musique et philosophie».


Analyse de

Comme un Lego

D’Alain Bashung

(paroles de la chanson: Gérard Manset ; musique de la chanson: Alain Bashung)

(Analyse par Patrice Létourneau ; février 2014)

Comme un Lego d’Alain Bashung parle de notre époque.

Tenter de penser philosophiquement son époque est une tâche exigeante, mais c’est aussi une tâche fondamentale pour clarifier nos visions du monde.  Kant l’avait tenté à son époque avec son Qu’est-ce que les Lumières ?  À notre époque, certains ont aussi tenté de le faire, à commencer par Jean-François Lyotard qui, dans son livre sur «La condition postmoderne» (1979 ; qui est un travail résultant d’abord de son «Rapport sur le savoir au XXe siècle» commandé par le gouvernement de René Lévesque – voir http://www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/ConseilUniversite/56-1014.pdf) examinait comment l’idée même de Progrès associé aux Lumières, de Grands récits (ou métarécits), d’émancipation collective ou même de projets de société sont remis en question.  Mais cette analyse a aussi fait l’objet de controverses (certains, comme André Comte-Sponville dans son Dictionnaire philosophique par exemple, considérant que la postmodernité «désigne une idéologie plutôt qu’une époque, et une esthétique plus encore qu’une idéologie»), puisqu’on peut considérer qu’il existe encore de nos jours de «Grands récits» (ou métarécits), dont à tout le moins les Droits de l’Homme qui tiennent encore lieu d’idéal phare.  C’est pourquoi d’autres penseurs, tels que le philosophe québécois Sébastien Charles, considèrent que notre époque peut plutôt être comprise comme une hypermodernité.

Et c’est justement en phase avec cette dernière tentative de penser notre temps que la chanson Comme un Lego de Bashung peut donner à réfléchir.

 

Dans L’hypermoderne expliqué aux enfants (Éditions Liber, 2007), Sébastien Charles synthétise ainsi les quatre principes  qui caractérisent la modernité et qui se seraient amplifiés dans notre hypermodernité.  En regardant ces caractéristiques de la modernité, il faut garder à l’esprit qu’il s’agirait maintenant d’une forme hyper, décuplé de celles-ci.  Voici donc ces quatre caractéristiques :

1) «La libération et la valorisation de l’individu dans le cadre du paradigme juridique» (Sébastien Charles, L’hypermoderne expliqué aux enfants, p. 16).  Ce qui veut dire que de ce point de vue, nous ne sommes plus d’abord des communautés ou des familles ou des couples, mais que nous sommes d’abord des individus qui doivent voir à leurs intérêts propres.  Tellement d’ailleurs que notre époque a non seulement vue exploser les taux de séparation, mais même que des avocats et notaires conseillent de nos jours d’inscrire dans un contrat de mariage des clauses en cas de séparation – invitant ainsi à envisager le désengagement au moment même où l’engagement a lieu, ce qui en dit long sur le rapport que notre époque entretient avec la «durée».  En mode hyper, il y a une judiciarisation des rapports humains et une primauté des droits individuels.

2) «La valorisation de la démocratie comme seul système politique viable permettant de combiner liberté individuelle et sécurité collective» (Sébastien Charles, L’hypermoderne expliqué aux enfants, p. 17).  Ça serait difficile de souhaiter un autre système que la démocratie.  Notons cependant que plus on accentue ce principe (hyper), plus on peut tendre à se réfugier vers le consensuel, d’où une restriction des «Grands Récits» à des idéaux plus consensuels tels que les Droits de l’Homme ou la préservation de la biodiversité et de l’environnement.  Le reste devient vite une affaire individuelle où un fil conducteur avec un récit collectif allant au-delà des soubresauts de l’individualité peut sembler se perdre.

3) «La promotion du marché comme système économique régulateur paré de toutes les vertus puisqu’il contribue à la paix entre les nations et à la richesse tant individuelle que collective» (Sébastien Charles, L’hypermoderne expliqué aux enfants, p. 17).  Là encore, il faut simplement noter au passage que lorsqu’amplifié (hyper), ce principe peut donner l’impression que notre action particulière sur le cours du devenir humain est minime et que les traditions n’ont plus grand sens si elles ne répondent pas à un marché de plus en plus mondialisé, donc ne pouvant faire fi d’une certaine harmonisation/uniformisation des pratiques – avec aussi un certain cosmopolitisme, afin que les Différences ne soient pas des barrières aux échanges du marché.

4) «Le développement technoscientifique conçu comme panacée au labeur difficile des hommes et comme garantie de la santé des populations humaines» (Sébastien Charles, L’hypermoderne expliqué aux enfants, p. 17).  Ne croyons-nous pas que nos technologies devraient libérer de notre temps de cerveau, tout comme nous pouvons croire que la connaissance de l’infiniment petit biologique/génétique/moléculaire devrait nous libérer de nos contraintes corporelles (Cf. utopies posthumanistes) ?

Ces caractéristiques mises ensemble avec un caractère décuplé (hyper) peuvent cependant occasionner une perte de sens (comme des activités sans action directrice) et une perte des traditions qui ne sont plus nécessairement vécues comme une heureuse victoire, mais comme d’autres repères en moins.  Car si les Lumières pouvaient voir comme une délivrance le rejet des traditions, c’est parce qu’ils avaient d’autres idéaux à proposer – et pensaient en quelque sorte fonder une nouvelle tradition ; alors que dans l’hypermodernité la perte n’est que perte, sans proposition collective de rechange.  C’est-à-dire que, selon les mots de Sébastien Charles, l’époque de l’hypermodernité peut se définir «comme une modernité dépourvue de toute illusion et de tout concurrent», ce qui fait en sorte que «l’hypermodernité se présente bien comme une modernité dépourvue de tout sens transcendant, fonctionnant à plein régime – les quatre principes ne cessant de s’actualiser – sans pour autant pouvoir justifier son propre fonctionnement et sembler parvenir à s’autolimiter» (p. 18).

C’est justement l’impact de l’hypermodernité que fais bien ressortir Comme un Lego d’Alain Bashung.

D’abord, le titre même : Comme un Lego.

On connaît tous les blocs Lego avec lesquels on pouvait jouer lorsque nous étions petits.  Être comme un Lego, c’est être une simple pièce, qui peut certes tout devenir, mais qui à elle seule est dépourvue de sens.  Le tout dépassant toujours la simple somme de ses parties, et les parties signifiant si peu lorsque déracinées, décontextualisées, détachées d’une construction d’ensemble.  Comme image, le Lego servira à représenter au cours de la chanson divers aspects, diverses modulations.  Notons d’ailleurs que si l’image du Lego revient au cours de la chanson, la construction de celle-ci ne comporte pas vraiment de refrain : il n’y a que le premier couplet qui reviendra dans l’avant-dernier couplet.  Dans cette mesure, la chanson est elle-même construite sans refrain, ce qui aurait pu donner le sentiment du retour du connu ou d’une réccurance rassurante – puisque les refrains, comme les rites des traditions, marquent des repères.

Le 1er couplet

La chanson débute par ces mots :

«C’est un grand terrain de nulle part».

C’est la Terre, perdue dans l’univers.  Nous ne sommes après tout que des êtres parmi tous les types de vivants sur une planète qui, elle-même, n’est qu’un morceau insignifiant de l’univers.  C’est ce qui peut créer de l’angoisse lorsqu’on s’arrête sur la place infime que l’on occupe dans l’univers, c’est-à-dire dans le silence de ces espaces infinis (Cf Pascal, dans ses Pensées, «Le silence de ces espaces infinis m’effraie»).  Sentiment qui peut par ailleurs revenir nous habiter de manière diffuse lorsque meurt un être cher ou un grand amour – ou enfin, lorsque semble s’évaporer ce qui faisait sens pour nous.

Donc :

«C’est un grand terrain de nulle part

Avec de belles poignées d’argent»

La seconde phrase a un sens moins déterminé, mais les poignées évoquent quelque chose que l’on peut tenter de saisir, de prendre.  Le métal d’argent a pour sa part une double symbolique : selon le Dictionnaire des symboles (Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, dir.), parfois il symbolise la sagesse et la pureté, mais parfois il symbolise un objet de cupidité.  Double appréhension possible, dans la saisie du monde.

«La lunette d’un microscope

Et tous ces petits êtres qui courent»

Saisie de notre réalité : sous la lunette d’un microscope, puisque notre planète n’est qu’une parcelle microscopique de l’univers.  C’est-à-dire en considérant notre réalité avec une certaine «hauteur», «à distance», en voyant les choses du point de vue de Sirius (pour reprendre l’expression du conte philosophique Micromégas de Voltaire, considéré comme représentatif de l’esprit des Lumières).  C’est en quelque sorte le procédé d’une tentative de regard avec un œil extérieur, en se situant tel un observateur détaché et lointain qui ne ferait pas partie de la réalité qu’il observe.  Mais aussi, le microscope invite à la considération des choses sous l’angle de l’infiniment petit ; or, dans le morcellement de l’infiniment petit, il peut y avoir perte de sens de la profondeur de l’existence (Hannah Arendt : «la mémoire, c’est la profondeur de l’existence»).

Le 2e couplet

«Car chacun vaque à son destin

Petits ou grands»

Quel que soit nos positions sociales et nos rôles, chacun vaque à ses propres affaires – ou celles qui sont associées à sa position et ses rôles, ou à la limite à ses déformations professionnelles.  De ce point de vue, nous ne sommes pas bien différents les uns des autres, petits ou grands.

«Comme durant les siècles égyptiens

«Péniblement…»

D’un point de vue symbolique, dans «la tradition biblique, l’Égypte a symbolisé le pays de la servitude subie, le pays d’où viennent les tentations de l’idolâtrie et les menaces d’invasion, par opposition à la Terre Promise» (Dictionnaire des symboles). Et d’un point de vue plus historique, on peut penser aux constructions des pyramides : projets qui n’étaient pas des idéaux véritablement transcendants, mais qui mobilisaient une forme d’asservissement – et n’est-ce pas aussi un certain asservissement que le principe hypermoderne de promotion du marché engendre ?  D’autant que si le marché est souverain, comment les individus et le peuple le serait-ils aussi souverain ?

Le 3e couplet

«À porter mille fois son poids sur lui

Sous la chaleur et dans le vent

Dans le soleil ou dans la nuit

Voyez-vous ces êtres vivants ? (x3)»

Ceci ne vient que préciser le reste : «l’hypermodernité se présente bien comme une modernité dépourvue de tout sens transcendant, fonctionnant à plein régime […] sans pour autant pouvoir justifier son propre fonctionnement et sembler parvenir à s’autolimiter» (Sébastien Charles, L’hypermoderne expliqué aux enfants, p. 18), ce qui implique que tout le poids revient chaque fois sur les épaules de chacun, à chaque fois que chacun met «les points sur les i» de ses options (note : lorsque Gérard Manset reprend l’interprétation de la chanson, il modifie «À porter mille fois son poids sur lui» par «Porter mille fois son point sur le i»).

Le 4e couplet

«Quelqu’un a inventé ce jeu

Terrible, cruel, captivant

Les maisons, les lacs, les continents

Comme un Légo avec du vent…»

Ici, il faut noter un léger changement de rythme dans la mélodie, qui accompagne un soubresaut d’espoir de sens : «Quelqu’un a inventé ce jeu», comme si on se disait que tout ça ne doit pas exister pour rien, ne doit pas être que pur hasard, doit avoir un sens.  Mais ce jeu, bien que captivant et qu’on ne voudrait pas le quitter (à moins d’être suicidaire), n’en reste pas moins terrible et cruel, d’autant qu’il apparaît comme dépourvu de sens.  «Comme un Légo avec du vent», parce que tout change, se déplace et reste poussé par des forces qu’on ne contrôle pas – aller au gré du vent, s’est se déplacer sans être maître des parcours que l’on prend.  Rien n’est permanent, tout est temporaire, comme ces maisons que nous habitons le temps de notre passage, mais qui ne seront pas nôtres pour l’éternité, comme ces lacs dont l’eau change constamment (Héraclite), comme ces continents qui se déplacent et «dérivent».

Le 5e couplet

«La faiblesse des tout-puissants»

Ceux qui sont tout-puissants en suivant les règles de l’hypermodernité n’ont-ils pas aussi leur faiblesse dans ce qu’ils sacrifient de sens pour y parvenir ?  Dans une hyperdémocratie, ne risque-t-on pas de céder à un appel à la popularité donnant l’avantage aux démagogues, comme le craignait Platon ?  Et dans un hyper-tout-au-marché, ne risque-t-on pas de céder à un cynisme des rapports humains vu comme de simples relations d’affaires, ou encore céder à une course sans fin vers des désirs vains comme le craignait Épicure ?  Et dans une hypertechnoscientificité, ne risque-t-on pas de céder à des utopies posthumanistes ou à un hyper-relativisme, en oubliant de se soucier de ce que pourrait signifier un humanisme véritable ?  Ou est l’éducation ?  Ou est la transmission des héritages humains ?

 

«Comme un légo avec du sang»

«La faiblesse des tout-puissants est Comme un Légo avec du sang», c’est-à-dire que dans ces nouvelles règles du jeu hypermoderne, elle est entachée de tout ce qu’elle a fait mourir : mort de «Dieu» (et du Progrès et de l’Histoire au sens des Lumières ; diagnostic : Nietzsche) et mort de la «subjectivité» (ou, selon l’expression consacrée, «mort du sujet» (diagnostic : Foucault), mort de la possibilité de ressaisir un sens qui vaille de manière véritable sans les projections des individualités pour faire valoir leurs intérêts personnels ou de classes sociales ou d’idéologies ou réflexes inconscients de pensée).

«La force décuplée des perdants»

Ceux qui n’acceptent pas les règles du jeu de l’hypermodernité risquent de perdre à ce jeu, mais ce sera peut-être avec la force d’avoir préservé ce qui faisait sens selon certains ancrages particuliers – ou du moins, leur semblait faire sens.

 

«Comme un Légo avec des dents»

«La force décuplée des perdantsComme un Légo avec des dents», parce que face aux hyperboles de l’hypermodernité, ceux qui refusent de s’y assimiler peuvent encore montrer les dents.  Ça sera jugé partial (montrer les dents), mais c’est alors néanmoins une tentative de préservation du sens, ou du moins d’un certain sens.  Dire que l’on ne se laissera pas faire, que l’on s’affirmera.

 

«Comme un Légo avec des mains

Comme un Légo…»

Comme un être qui peut travailler au sens de son devenir, même s’il est confiné au départ à la position de «perdant» dans l’hypermodernité.  «Comme un Légo…», comme un être dont la destinée n’est pas encore déterminée, n’a pas de sens/direction préconçu.

 

Le 6e couplet

«Voyez-vous tous ces humains

Danser ensemble à se donner la main

S’embrasser dans le noir à cheveux blonds

À ne pas voir demain comme ils seront…»

Dans le noir, c’est-à-dire sans voir ce qu’il sera, sans repères.  À cheveux blonds, en quelque sorte ici la fougue de la jeunesse des possibles.

«À ne pas voir demain comme ils seront» : dans un régime hypermoderne, on a beau passer d’un projet à l’autre, c’est comme s’il n’y avait pas de vision pour la suite des choses, pour le temps qui fera son œuvre au travers de nos choix de vie.  C’est une fuite vers l’avant, mais sans jamais concevoir véritablement vers où ça nous mènera, sans temps de réflexion à ce sujet.

Le 7e couplet

                                    Ici, retour sur ce qui a été dit.

«Car si la Terre est ronde

Et qu’ils s’agrippent

Au-delà, c’est le vide»

Perte de la croyance en une transcendance.

 

Assis devant le restant d’une portion de frites

Une portion de frites, c’est à la fois anodin et loin d’être anodin.  C’est le souvenir d’un réconfort.  On sait bien que c’est futile, mais il y a un réconfort dans une bonne frite, qui ramène autant au plaisir gustatif immédiat qu’à l’étrange mélange de souvenirs réconfortant.  Mais si l’appétit n’y est plus, on voit bien la futilité du plaisir du moment : le restant de la portion de frites ne se réchauffera pas, elle est perdue.

«Noir sidéral et quelques plats d’amibes»

«Noir sidéral» : il ne semble plus y avoir direction ni repères. «Amibes» : «être unicellulaire vivant en eaux douces ou salées, ou bien en sols humides, qui se déplacent à l’aide de pseudopodes» ; retour à l’infiniment petit où la vision d’ensemble se perd.

 

Le 8e couplet

«Les capitales sont toutes les mêmes devenues (x2)

Aux facettes d’un même miroir»

On passe de l’individualité à la collectivité, mais en quelque sorte pour venir refermer la «trappe» sur l’individualité des droits.  Au tout-à-l’hypermarché, c’est la fin des traditions perpétuées, c’est la fin des tentatives d’esquisse d’une histoire collective/politique, c’est le début d’un anonymat propre à l’uniformisation des marchés de la mondialisation.  Que ce soit par cosmopolitisme ou multiculturalisme ou conformisme architectural, les traits distinctifs de la culture politique de ces capitales perdent l’apparat de leur identité.  «Un même miroir » : celui du marché, mondialisé.

 

«Vêtues d’acier, vêtues de noir»

C’est-à-dire solide, blindés, mais désincarné.  Pour les capitales en question : elles ne souffrent pas de critiques et respectent l’individualité dans un cadre juridique, mais parce qu’elles sont sans couleur propre.

«Comme un Légo mais sans mémoire (x2)»

Sans histoire commune faisant sens, condamné à une individualité à la fois sans héritage de sens, sans attachement et sans leg.  Des sociétés qui ne sont plus vues comme les porteurs d’une tradition spécifique et commune, mais plutôt comme un assemblage d’individus.

Le 9e couplet

«Pourquoi ne me réponds-tu jamais ?

Sous ce manguier de plus de dix mille pages

À te balancer dans cette cage…»

«Pourquoi ne me réponds-tu jamais ?» : il y a un appel, l’espoir d’une transcendance, mais qui reste déçue.

«Sous ce manguier de plus de dix mille pages», Gérard Manset (le parolier de cette chanson) a beaucoup été imprégné des Indes.  Et dans la tradition bouddhiste, le manguier est le lieu d’une révélation.  Mais dans le bouddhisme, nul paradis au sens des chrétiens : au contraire, le Nirvana est le détachement de toutes choses, la reconnaissance de la non-consistance ontologique du monde. Dans le bouddhisme Zen, les «10000 choses» étant un terme signifiant l’ensemble de la réalité phénoménale, on peut penser ici à un état de détachement face aux illusions et aux futilités, mais qui conduit à une reconnaissance du non-sens de ce monde. Conduisant au non-sens, ce n’est certainement pas de ce côté qu’on trouvera le chemin, la vérité et la vie.

Le 10e couplet

«À voir le monde de si haut

Comme un damier, comme un Légo»

Effectivement, bouddhisme ou pas, pris d’une certaine hauteur (comme du point de vue de Sirius), le jeu des acteurs humains paraît bien futile.

 

«Comme un imputrescible radeau»

«Imputrescible» : qui ne peut se putréfier.  Le radeau dérivera sans fin.  Aussi dépourvu de sens que Le radeau de la Méduse.

 

«Comme un insecte mais sur le dos

Comme un insecte sur le dos (x2)»

L’image est assez forte pour se passer de commentaires.

 

Les 11e et 12e couplets

C’est un retour, pour compléter la boucle.

«C’est un grand terrain de nulle part

Avec de belles poignées d’argent

La lunette d’un microscope

On regarde, on regarde, on regarde dedans…»

 

 

«On voit de toutes petites choses qui luisent

Ce sont des gens dans des chemises»

Ici, remarquons l’ambiguïté de «chemises».  Est-ce l’apparat que l’on revêt?  Ou des chemises telles que des «camisoles de forces» dans un monde fou ?

«Comme durant ces siècles de la longue nuit

Dans le silence ou dans le bruit… (x3)»


Analyse lors de la 3e Semaine de la philosophie :