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Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.

L`année 2016 marque le 70e anniversaire de l`élection à l`Académie française du philosophe et historien français Étienne Gilson, le 24 octobre 1946.

Il y a occupé le fauteuil no. 23, devenu vacant suite à la radiation de l`écrivain et dramaturge français M. Abel Hermant (1862-1950). Élu à l’Académie française le 13 juin 1927, Hermant devient sous l’Occupation (1940-1944) un chantre de la collaboration. Après la Libération, il est incarcéré et exclu de l’Académie française. Son fauteuil est alors pourvu de son vivant. En 1948, il est gracié et libéré. Pour ces raisons, Gilson ne prononce pas dans son Discours,  l’hommage de son prédécesseur.

L’élection fut très disputée, si bien qu`il fallut trois tours à Étienne Gilson pour obtenir les 18 voix qui lui permettaient de triompher de ses trois adversaires : le journaliste Marius Ary-Leblond (1877-1958), le linguiste Albert Dauzat (1877-1955) et l`écrivain René Peter (1872-1947), auteur d’une Vie secrète de l’Académie (Librairie des Champs-Élysées, 1936).

Lors de la séance du jeudi 29 mai 1947, il prononce son Discours de réception dont voici quelques extraits concernant ce qu`on appelait jadis le « Canada français » :

« Permettez-moi d’ajouter, car on semble parfois l’oublier, que lorsque nous parlons de la langue française, la France n’est pas seule en cause. Dans la ville de Trois-Rivières, dont les quais bordent le Saint-Laurent à l’entrée du lac Saint-Pierre, on rapporte qu’au temps de la grande séparation les grammaires françaises vinrent à manquer. En 1764, à l’école du couvent des Ursulines, elles étaient devenues si rares qu’il n’en restait plus qu’une seule pour l’externat. J’ignore ce qu’elle était et j’aime-mieux ne pas savoir ce qu’en penseraient aujourd’hui nos linguistes, mais elle était là, fidèle témoin d’une règle à laquelle un peuple entier ne pouvait renoncer sans accepter de périr. On la posa donc au milieu de la classe sur un pupitre et chaque élève y vint à son tour apprendre la page qu’un cadre de bois tenait ouverte à la leçon du jour, la maîtresse seule ayant le droit de toucher les pages du livre respecté ».

Et Gilson de poursuivre :

« Je voudrais pouvoir faire plus et que de cette tribune dont l’un des vôtres disait naguère qu’on n’y parle qu’une seule fois dans sa vie, non seulement des noms de lieux, mais des noms d’hommes pussent être aujourd’hui prononcés. Comment choisirais-je ? Entre tant d’écrivains dont s’honorent les Lettres canadiennes, historiens, romanciers ou poètes, tout choix serait une injustice. Je préfère donc, et je crois que les maîtres de leurs universités m’en donneraient eux-mêmes le conseil, rappeler que s’il existe une culture intellectuelle canadienne d’expression française, c’est à la volonté résolue de tout un peuple que, nous la devons d’abord. Au moment où notre faveur m’ouvre des portes, qu’après un Bergson ou un Valéry on peut sincèrement hésiter à franchir, ce n’est plus seulement un messager que je voudrais faire passer devant moi, c’est une foule anonyme où je voudrais me confondre et que je vous demande d’accueillir. Laissez-nous passer tous ensemble, eux et moi parmi eux ceux qui veillent sur la falaise d’Ottawa ou gardent les défilés de la Gatineau, les bûcherons des Laurentides avec qui j’ai rompu le pain dans la communion d’une même parole intelligible et ceux de ce fabuleux arrière-pays de Saguenay, où Jacques Cartier n’a découvert ni l’or ni les diamants qu’il y cherchait, mais un autre y a depuis trouvé mieux, puisqu’il a trouvé Maria Chapdelaine. Tous ont droit à cet honneur, car d’est en ouest de cet immense continent en quelque lieu que sonne la langue dont ce peuple veut qu’elle soit la sienne, c’est qu’une jeune mère l’a d’abord transmise à son enfant avec le lait, le chant et la prière. Messieurs, je vous dois aujourd’hui une grande joie et je n’en fais point mystère. Voulez-vous la porter à son comble ? Permettez-moi de dire ici, en votre nom : le peuple Canadien a bien mérité de la langue française ».

(Les extraits ci-avant sont tirés du texte du Discours de réception publié sur le site officiel de l`Académie française)

Le philosophe académicien

 

Spécialiste de la philosophie médiévale, homme public et chrétien engagé, il fut l`une des plus grandes figures intellectuelles du catholicisme du XXe siècle. Il est l’auteur de plus de six cents publications — livres ou articles.

À son nom est lié le renouveau des études médiévales au XXe siècle. Ce renouveau est un retour philosophique et polémique au réalisme thomiste, pour lequel l`essence et l`existence sont indissociables. La méthode qu`il a inauguré en histoire de la philosophie consiste avant tout à replacer l`étude d`un système philosophique dans le contexte historique, culturel et politique de son époque. En cela, ses travaux vont remettre saint Thomas d`Aquin (1225-1274) à l`honneur.

Il enseigna à Lille (1913), à Strasbourg (1919), à la Sorbonne, au Collège de France ainsi que dans les villes canadiennes de Toronto et de Montréal. Il eut comme élève le philosophe et orientaliste français Henry Corbin (1903-1978) qui s`intéressa aux études orientales par l`enseignement de Gilson.

Il a écrit de nombreux ouvrages, principalement consacrés à la philosophie du Moyen Âge, qui le placent avec le philosophe français Jacques Maritain (1882-1973) au premier rang des philosophes néo-thomistes de l`entre-deux-guerres et des adversaires de l`existentialisme. En effet, c`est à lui et à Maritain que l`on doit le « réajustement » du thomisme à la problématique du XXe siècle, soit comprendre par delà la crise de la modernité, la nature de l`être comme dépendant de Dieu, et celle de la vérité comme cette lumière qui vient de Dieu.

Il collabora à la revue catholique française La Vie intellectuelle, créée en 1928 par le père dominicain Marie-Vincent Bernadot (1883-1941), à la demande du pape Pie XI (1857-1937) avec l`appui de Maritain. Signalons que le père Bernadot fut également le fondateur des Éditions du Cerf, en 1929. Gilson participa également à la revue hebdomadaire catholique Sept, fondée à Paris en 1934, dont il rédigea le manifeste.

Parmi ses distinctions, il est Grand officier de la Légion d’honneur et possède la Croix de guerre 1914-1918. Il était membre de plusieurs académies notamment de l`Académie pontificale de Saint-Thomas-d`Aquin ainsi que de  l`Académie royale de Belgique.

 

Repères biographiques

 

Il naît le 13 juin 1884 à Paris. Issu d`une famille catholique et républicaine, il fréquente, en 1895, le petit séminaire de Notre-Dame-des-Champs à Paris, puis le lycée Henri-IV, avant d`étudier à la Sorbonne sous la direction des sociologues français Émile Durkheim (1858-1917) et  Lucien Lévy-Bruhl (1857-1939). C`est d`ailleurs ce dernier qui lui propose un sujet de recherche sur le cartésianisme et la scolastique.

Les années 1900

En 1902, il effectue son service militaire, à Eu (Seine-Maritime) où il est dans le même peloton que le romancier André Maurois (1885-1967). De 1904 à 1907, il étudie à la Sorbonne. Il est l`élève d`Henri Bergson (1859-1941) qui occupe, en 1904, la chaire de Philosophie moderne au Collège de France. En 1907, il se présente au concours d’agrégation de philosophie qu`il réussit. Il en ressort agrégé de philosophie. En 1907-1908, il est professeur de Lycée à Bourg-en-Bresse (Ain). En 1908, il épouse Thérèse Ravisé. De 1908 à 1910, il est professeur de Lycée à Rochefort-sur-Mer (Charente-Maritime).

Les années 1910

En 1910-1911, il enseigne au Lycée de Tours (Indre-et-Loire). De 1911 à 1913, il enseigne au Lycée de Saint-Quentin (Aisne) et d`Angers (Maine-et-Loire).

En janvier 1913, il défend ses thèses de doctorat en Sorbonne pour le doctorat-ès-lettres : La Liberté chez Descartes et la Théologie [grande thèse] et Index scolastico-cartésien [petite thèse] (Alcan, 1913; 2e éd. revue,  Vrin, coll. « Études de philosophie médiévale », 1979, 394 p.; 2004).

En 1913-1914, il enseigne à l`Université de Lille (Nord-Pas-de-Calais-Picardie) où il donne un cours libre intitulé : Le Système de Thomas d`Aquin sur la connaissance de Dieu et les preuves de son existence.

En 1914, il visite Maurice De Wulf (1867-1947), historien belge de la philosophie médiévale et professeur à l’université catholique de Louvain (Institut supérieur de philosophie) et à Harvard. Celui-ci a écrit, en 1900, une Histoire de la philosophie médiévale en trois volumes (4e éd., 1912; 5e éd., T.1, 1924; 6e éd., Louvain, 1936).

En 1916, il est mobilisé avec le grade de sergent au camp de Courtine, centre d’instruction de mitrailleurs. À l`occasion de la Grande Guerre de 14-18, il est fait prisonnier à la bataille de Verdun, le 23 février de cette même année. Il passe deux années en captivité où il apprend l`italien, l`anglais et le russe avec des prisonniers de guerre.

En 1919, il enseigne à l`Université de Strasbourg, redevenue française. La même année, il publie Le Thomisme : Introduction à la philosophie de saint Thomas d`Aquin (Vrin, 174 p.; 2e éd., 1922; 3e éd., 1927; 4e éd. refondue et augmentée, 1942; 5e éd., 1944; 6e éd. revue, coll. « Études de philosophie médiévale », 1997. 478 p.). Dans cet ouvrage, il propose une lecture philosophique de l`œuvre de Thomas d`Aquin, destinée à éclairer, dans un respect scrupuleux des textes, sa pensée de l`être, de l`existence et de Dieu.

 

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Les années 1920

En 1921, il quitte l`Université de Strasbourg pour Paris, où il succède, comme directeur d`études, à la Sorbonne, à François Picavet (1851-1921), spécialiste d`Emmanuel Kant (1724-1804) dans la chaire d`Histoire des philosophies médiévales fondée par ce dernier en 1906.

La même année, il publie Études de philosophie médiévale (Vrin, 2e éd. revue, 1944; Vrin, coll. « Études de philosophie médiévale », 1960, 448 p.). Il y affirme que :

« Essayer de dégager l’esprit de la philosophie médiévale c’était se condamner à fournir la preuve de son existence ou à avouer qu’elle n’a jamais existé. C’est en cherchant à la définir dans son essence propre que je me suis vu conduit à la présenter comme la « philosophie chrétienne » par excellence. Il se trouve donc que cet ouvrage converge vers cette conclusion, que le Moyen Age a produit, outre une littérature chrétienne et un art chrétien, une philosophie chrétienne, ce dont on dispute. Mais il ne s’agit pas de soutenir qu’il a créé cette philosophie de rien, pas plus qu’il n’a tiré du néant son art et sa littérature. L’esprit de la philosophie médiévale, tel qu’on l’entend ici, c’est l’esprit chrétien, pénétrant la tradition grecque, la travaillant du dedans et lui faisant produire une vue du monde, une Weltanschauung spécifiquement chrétienne ».

En 1921 toujours, il est nommé à la Sorbonne ainsi qu`à l`École pratique des hautes études. Il s`attache dès lors à faire redécouvrir la riche tradition philosophique du Moyen Âge chrétien, études alors négligées dans l`Université française.

De 1921 à 1932, il enseigne l`histoire de la philosophie médiévale à la Sorbonne.

En 1922, il publie en deux petits volumes La Philosophie au Moyen Âge (Payot, coll. « Bibliothèque Historique »; 2e éd. revue et augmentée, 1944, 782 p.; 1962; 2 vol., 778 p., Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », no. 274, T. 1 : Des origines patristiques à la fin du XIIe siècle; no. 275; T. 2 : Du XIIIe siècle à la fin du XIVe siècle, 1976; Payot, coll. « Bibliothèque philosophique Payot », 1988. 784 p.). Dans cet ouvrage, il étudie l`évolution de la philosophie, des Pères de l`Église jusqu`au XIVe siècle. La même année, il participe à une mission humanitaire dans la Russie dévastée.

 

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En 1923, il devient professeur au Collège de France, occupant la chaire d’Histoire de la philosophie jusqu’à sa retraite en 1951. En 1923 également, il signe un article intitulé « Spinoza interprète de Descartes », dans Chronicon spinozanum, III. En 1924, il publie La Philosophie de saint Bonaventure (Vrin, coll. « Études de philosophie médiévale, T. IV, 484 p.; 1953). En 1925, il publie Saint Thomas moraliste (Vrin, coll. « Les moralistes chrétiens »; 2e éd., coll. « Bibliothèque d`histoire de la philosophie », 1974. 392 p.). En 1926, il effectue son premier séjour en Amérique. En 1926 aussi, il fonde, avec l`historien et théologien français Gabriel Théry, o.p. (1891-1959), la revue Archives d`histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge (AHDLMA). Il s`agit d`une publication historique annuelle, consacrée à l’étude de la pensée médiévale et à l’histoire littéraire de ses écrits. Le premier volume contient son célèbre article intitulé « Pourquoi saint Thomas a critiqué saint Augustin », vaste enquête de 122 pages. En 1927, il signe un article intitulé « Avicenne et le point de départ de Duns Scot », dans Archives d`histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge.

En 1929, il fonde, avec les Pères Basiliens de Toronto (Canada), l`Institut pontificale d`études médiévales dont il devient le directeur. Il s`y rend chaque année, sauf pendant la guerre, jusqu`en 1973. Mentionnons qu`il a fait don de sa riche bibliothèque à ce même institut. La même année, il publie Introduction à l`étude de saint Augustin (Vrin, coll. « Études de philosophie médiévale », vol. 11, 370 p.; 3e éd., 1949; 5e éd., 1982, 370 p.). En 1929 également, il signe un article intitulé « Les sources gréco-arabes de l`augustinisme avicennisant », dans Archives d`histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge.

Les années 1930

En 1930, il publie Études sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du système cartésien.

En 1931, éclate à l`Université la controverse sur la question de savoir s’il existe ou non une philosophie chrétienne. D’une part, les rationalistes, avec en tête Émile Bréhier (1876-1952), auteur d`une importante Histoire de la philosophie et Léon Brunschvicg (1869-1944). D`autre part, Gilson et Jacques Maritain, qui se serrent les coudes pour en défendre à la fois le fait et le droit. Rappelons qu`en 1928, Bréhier donne des conférences à l`Institut des hautes études de Belgique à Bruxelles dont le texte est publié en 1931 dans la Revue de métaphysique et de morale sous le titre : « Y a-t-il une philosophie chrétienne ? ». Bréhier répondant par la négative.

Pour Gilson, il ne s’agit pas de prétendre que la philosophie a besoin de la foi pour être elle-même. Pour lui, la philosophie est l’œuvre de la raison. Toutefois, il tient à rappeler que le christianisme a pénétré des siècles d’histoire de la philosophie et ouvert à celle-ci des perspectives inconnues d’elle.

En 1932, il est élu au Collège de France où il occupe la chaire d`histoire de philosophie médiévale jusqu`en 1951. Le 5 avril 1932, il prononce sa Leçon d`ouverture du cours d`histoire de la philosophie au Moyen Âge, au Collège de France. Cette leçon a été publiée sous le titre « Le Moyen Âge et le naturalisme antique », dans Archives d`histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, no. 7, p. 5-37, et republiée en appendice dans Héloïse et Abélard (1938). En 1932, il publie L`Esprit de la philosophie médiévale (Vrin; rééd., 1967; 1998, coll. « Études de philosophie médiévale », 446 p.). L`ouvrage montre le rôle joué par la pensée du Moyen Âge dans la formation du système cartésien. En ce qui concerne la conception de la divinité qui oppose saint Thomas à son maître Aristote, il affirme que : « le Dieu de saint Thomas est un Dieu qui aime tandis que celui d`Aristote est un Dieu qui se laisse aimer » (p. 76). En 1932 également, il publie Les Idées et les Lettres (Vrin; 2e éd., 298 p.). Il s`agit d`un recueil d`études de critique littéraire consacrées pour la plupart au Moyen Âge. En 1933, il signe un article intitulé « Roger Marston : un cas d`augustinisme avicennisant », dans Archives d`histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge.

En 1934, il publie trois ouvrages. D`abord, Pour un ordre catholique (Desclée de Brouwer, 246 p.), qui est le manifeste de la revue Sept. Dans cet ouvrage, il s`interroge sur la situation des catholiques en politique. Puis, La Théologie mystique de saint Bernard (Vrin; 3e éd., coll. « Études de philosophie médiévale », 1969. 254 p.). Enfin, Christianisme et philosophie (Vrin; 1986, 168 p.), ouvrage dans lequel il relance le débat sur l`idée de philosophie chrétienne. Rappelons en cela, la célèbre controverse (1931) entre lui et le philosophe et historien français Émile Bréhier, tous deux historiens contemporains de la pensée médiévale, touchant la question de la possibilité d`une philosophie chrétienne. Bréhier, lui, en exclut la possibilité alors que Gilson, catholique, en affirme la légitimité et la spécificité. Pour leur part, Gilson et Maritain affirment que la philosophie n`est pas chrétienne dans son essence, qu`elle l`est seulement dans son état, par le mélange dans un même temps et finalement dans un même homme de la pensée et de la vie religieuse. La même année, il signe un article intitulé « Sens et nature de l`argument de saint Anselme », dans Archives d`histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, chez Vrin. En 1934 également, il signe un article intitulé « Sur quelques difficultés relatives à l`illumination augustinienne », dans Revue néoscolatique, XXXVI, p. 321. En 1934 toujours, le philosophe et médiéviste français Paul Vignaux (1904-1987), historien de la philosophie médiévale (La Pensée au Moyen Âge, Armand Colin, 1938, 206 p.) et figure importante du syndicalisme français, succède à Gilson à la Ve section – sciences religieuses de l`École pratique des Hautes Études.

En 1936-1937, il donne ses « William James Lectures » à Harvard dans lesquelles il propose une interprétation optimiste de l`histoire de la philosophie et de l`unité qu`elle révèle au-delà des apparentes contradictions de l`esprit humain. En 1937, il publie Le réalisme méthodique. Dans cet ouvrage, il prend position contre les Scolastiques de Louvain et expose les fondements d’une philosophie qui se veut « réaliste », par opposition à la tradition kantienne et à toute philosophie « idéaliste ». La même année, il publie The Unity of Philosophical Experience (Charles Scribner`s Sons éditeur, New York, 285 p.). En 1937-1938, il signe un article intitulé « Les seize premiers Theoremata et la pensée de Duns Scot », dans Archives d`histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge. En 1938, il publie Héloïse et Abélard : Études sur le Moyen Âge et l`humanisme (Vrin; 2e éd., 1953; 3e éd. revue, quatrième tirage, 1997, 212 p.). En 1939, il publie Dante et la philosophie (Vrin; 2e éd., 1953; 3e éd., 1972, 354 p.; 4e éd., 1986, 341 p.) en réaction au livre du dominicain français et historiographe de la philosophie médiévale Pierre Mandonnet (1858-1936), Dante le théologien (DDB, 1935). Dans cet ouvrage, Gilson se propose de définir les attitudes successives de Dante à l’égard de la philosophie: quelle nature lui assignait-il, quelle fonction lui attribuait-il, quelle place lui octroyait-il ? En 1939 aussi, il publie Réalisme thomiste et critique de la connaissance (Vrin; 1983. 240 p.). Il y accentue la thèse développée dans son ouvrage Le réalisme méthodique (1937).

Les années 1940

 En 1943, il signe un article intitulé « La Philosophie de saint Bonaventure », dans Études de philosophie médiévale, no. 4. En 1945, du 25 avril au 26 juin, il représente la France et participe à la Conférence de San Francisco (Californie), d`où naît l’Organisation des Nations unies (ONU), avec la signature de la Charte des Nations unies. Du 1er au 16 novembre 1945, il est ensuite envoyé comme délégué à Londres  à la Conférence des Nations Unies pour l’établissement d’une organisation pour l’éducation et la culture (ECO/CONF) qui donne naissance à l’UNESCO. En 1945 toujours, il signe un article intitulé « L`Âme rationnelle selon Albert le Grand », dans Archives d`histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge.

Le 24 octobre 1946, il entre à l`Académie française. La même année, il signe un article intitulé « La notion d`existence chez Guillaume d`Auvergne », dans Archives d`histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge.

Du 28 mars 1947 au 7 novembre 1948, étant proche du Mouvement Républicain Populaire (MRP), il est nommé Conseiller de la République (sénateur) nommé sous la IVe République où il s`occupe activement des questions politiques. Le 29 mai 1947, il prononce son Discours de réception. Le même jour, l`historien et médecin Louis-Pasteur Vallery-Radot (1886-1970) prononce la Réponse au Discours de réception d`Étienne Gilson. En 1947, il représente à nouveau son pays et participe cette fois-là à la Conférence de Londres qui se tient du 25 novembre à décembre 1947 qui a pour mission de résoudre les problèmes entre les quatre vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale.

En 1948, il publie L`Être et l`Essence (Vrin; réédité et revu par l`auteur en 1962; 2e éd., coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », 1987, 380 p.; 3e éd., quatrième tirage, 2000). Il s`agit d`une enquête à travers l`histoire de la métaphysique qui va de Parménide (v. 544 – v. 450 av. J.-C.) à Sören Kierkegaard (1813-1855). Rappelons que son ouvrage est publié cinq ans après L`Être et le Néant (Gallimard, 1943) de l`écrivain et philosophe français Jean-Paul Sartre (1905-1980), livre considéré comme le point de départ de l`existentialisme athée. En 1948 également, il participe du 7 au 10 mai, à La Haye (Pays-Bas) au premier congrès du Mouvement européen qui donne l’impulsion du processus d’unification européenne. L`événement réunit près de 750 délégués venus de presque tous les pays d`Europe. Mentionnons que le philosophe suisse Denis de Rougemont (1906-1985) donne lecture, lors de la séance de clôture du Congrès de La Haye (présidé par Winston Churchill), du Message aux Européens, qu’il a été chargé d’écrire pour dégager le sens de la manifestation. En 1949, il participe aussi, du 8 au 11 décembre, à Lausanne (Suisse) au congrès du Mouvement européen. L`événement porte sur les questions culturelles et est à l’origine de la politique culturelle européenne.

 

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 Les années 1950

 Au début de 1950, il prône la neutralité de la France et de l`Europe occidentale en cas de conflit entre les États-Unis et la Russie, dans trois articles du journal Le Monde. Il y développe, pour le grand public, les avantages d`une politique de neutralité, ou plus exactement encore, les inconvénients d`une solidarité trop étroite avec les États-Unis. Or, ses prises de position provoquent d`intenses réaction dans une partie de l`opinion française qui l`accuse alors de défaitiste, de crypto-communiste et d`anti-américain.

En septembre 1950, il prend part à deux congrès romains. D`abord, il participe au Congressus scholasticus internationalis organisé par le Père franciscain Karlo Balič (1899-1977) au Collegio Sant`Antonio, à Rome. Il y donne la Leçon de clôture sous le titre Les recherches historico-critiques et l`avenir de la scolastique. Dans cette même Leçon, il constate que les plus remarquables philosophies du XIIIe siècle sont l`œuvre des théologiens. De plus, il attribue à l`intellectus fidei et à la théologie l`originalité et la vigueur de ces philosophies.  Puis, il prend part au IIIus Congressus thomisticus internationalis convoqué par l`Académie pontificale de Saint-Thomas. Par après, il retourne en Amérique. Le 12 novembre 1950, son épouse décède.

En novembre 1950, il défend ses vues neutralistes dans des conversations privées à South Bend (Indiana), après avoir donné des conférences. Le 15 décembre 1950, l` « affaire Gilson » éclate lorsque Waldemar Gurian (1902-1954), journaliste et professeur de science politique à l`Université catholique Notre-Dame, située à South Bend publie une lettre ouverte à Étienne Gilson dans le journal catholique The Commonweal, édité à New York. Waldemar Gurian lui reproche, à tort, de considérer l`Europe comme perdue vis-à-vis de l`URSS et envisageant de rester aux États- Unis. Accusé de traîtrise et de désertion, Gilson, sûr de son droit, laisse dire mais en est profondément blessé. Il quitte alors la scène politique.

En 1950-1951, très affecté par la mort de son épouse, il vit une période de dépression. En 1951, il publie L`École des Muses (Vrin, coll. « Essais d`art et de philosophie », 270 p.). De 1951 à 1957, c`est une période de retraite qui lui permet de travailler à ses écrits. En 1952, il inaugure à Louvain, la Chaire Cardinal Mercier en donnant avec succès dix leçons sur Les métamorphoses de la Cité de Dieu, du 29 avril au 19 mai 19652. Au terme de celles-ci, il est promu Docteurr honoris causa de l`Université de Louvain. Rappelons que le cardinal belge Désiré-Joseph Mercier (1851-1926) introduit en Belgique l’enseignement de la philosophie thomiste. À ce titre, on le considère comme le principal artisan du néo-thomisme. De plus, professeur de philosophie à l’Université catholique de Louvain, sa chaire est transformée en Institut supérieur de philosophie en 1889. En 1952 également, il publie Jean Duns Scot : Introduction à ses positions fondamentales (Vrin, 700 p.; 2002).

En 1955, il publie History of Christian Philosophy in the Middle Ages (1re éd., New York, Random House, 829 p.). Ce livre n`est pas la traduction anglaise de La Philosophie au Moyen Âge mais le fruit de ses leçons données à Toronto. Le volume contient plus de 250 pages de notes-bibliographiques. La même année, il signe un article intitulé « Boèce de Dacie et la double vérité », dans Archives d`histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, no. 22.

En 1956, il est nommé Professeur honoraire par le Collège de France. En 1958, il publie Peinture et réalité (Vrin; 2e éd., coll. « Problèmes et controverses », 1972. 370 p.). Il s`agit d`une étude qui n’est pas une introduction philosophique à la peinture mais, au contraire, une introduction picturale à la philosophie, c’est-à-dire en quoi la peinture donne à penser. En 1959, on publie Mélanges offerts à Étienne Gilson (Pontifical Institute of Mediaeval Studies. Paris, Vrin, 704 p.). Ouvrage collectif.

 Les années 1960

En 1960, il publie La Philosophie et la Théologie (Vrin). Dans cet ouvrage, qui constitue son autobiographie intellectuelle, il décrit l`atmosphère  de la Sorbonne d`alors et son enseignement éclectique, où la philosophie, humiliée par la science, avait supprimé dans son programme toute métaphysique. La même année, il publie Introduction à la philosophie chrétienne (Vrin; rééd. 2007) qui est un exposé des thèses essentielles de la métaphysique de saint Thomas.

En 1962, il signe un article intitulé « L`être et Dieu », dans la Revue thomiste. En janvier 1963, il rédige la préface à la sixième édition de son livre Le Thomisme (1919). En 1963 aussi, il publie Introduction aux arts du beau (Vrin). En 1964, il publie Matières et formes : poiétiques particulières des arts majeurs. (Vrin, coll. « Essais d`art et de philosophie », 272 p.).

En 1967, il accepte la présidence du Comité exécutif du IVe Congrès de la Société internationale pour l`étude de la philosophie médiévale qui se tient à Montréal (Québec). Le 28 août de la même année, il en préside la séance d`ouverture et prend part à quelques travaux du Congrès. En 1967 toujours, il publie trois ouvrages. D`abord, Les Tribulations de Sophie (Vrin, coll. « Essais d`art et de philosophie », 176 p.). Puis, Études sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du système cartésien (Vrin, coll. « Études de philosophie médiévale »; 4e éd., 1975, 344 p.;  5e éd., 1984, 344 p.). Enfin, La société de masse et sa culture (Vrin). Les études réunies dans ce dernier volume ont été originellement publiées sous le titre général, L`industrialisation des arts du beau, et parachèvent la réflexion esthétique de Gilson, inaugurée dans l’Introduction aux arts du beau, et poursuivie dans Peinture et réalité ou encore Matières et formes.

Les années 1970

 En 1971, il vend sa propriété de Vermenton (Yonne) où il vit à partir de 1935 et s`installe à Cravant, à 5 km de Vermenton, dans la maison de campagne de ses grands-parents maternels. En 1971 aussi, il publie D`Aristote à Darwin et retour : Essai sur quelques constantes de la biophilosophie (Vrin, coll. « Essais d`art et de philosophie », 256 p.). Il y expose le problème philosophique posé par l`organisation des êtres vivants.

En 1971-1972, il effectue sa dernière visite au Canada. En 1972, il prépare trois leçons qu`il souhaite donner à Toronto durant l`hiver suivant. Toutefois, il renonce à tout déplacement important car la marche lui devient très difficile. Par conséquent, il ne retourne plus en Amérique, lui qui a fait une quarantaine de fois la traversée de l`Atlantique.

En 1973, il publie L`Athéisme difficile (Vrin; coll. « Problèmes et controverses », 96 p.,  1979). En 1974, il se retire à Cravant (Bourgogne) avec sa fille ainée. La même année, il publie son dernier ouvrage Dante et Béatrice : Études dantesques (Vrin. Coll. « Études de philosophie médiévale », 156 p.). Il s`agit d`un recueil de neuf essais dont sept ont déjà paru en 1965 ou 1966.

En septembre 1978, il est conduit au Centre Hospitalier d`Auxerre (Yonne), où il s`éteint cinq jours plus tard, le 19 septembre 1978 à l`âge de 94 ans. À la séance du 28 septembre 1978, Maurice Schumann (1911-1998), directeur de l`Académie, prononce un discours à l`occasion de la mort d`Étienne Gilson et de l`écrivain Jean Guéhenno (1890-1978).

 

Depuis son décès

 

En 1980, on publie Étienne Gilson et nous, Actes du colloque sur l`actualité de la pensée d`Étienne Gilson (Paris, Vrin, 1979). En 1983, on publie une œuvre posthume Constantes philosophiques de l`Être (Vrin, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », 256 p.). En 1986, on publie Lettres de monsieur Étienne Gilson adressées au père de Lubac et commentées par celui-ci. (Éd. Étienne Gilson, Cerf, 204 p.). En 1991, on publie Étienne Gilson, Jacques Maritain, Correspondance 1923-1971 : Deux approches de l`être. (Paris, Vrin, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », 300 p.). L`ouvrage, édité et commenté par Géry Prouvost, comprend 105 lettres, soit 60 de Gilson et 45 de Maritain. En 1998, le pape Jean-Paul II (1920-2005), dans sa Lettre encyclique Fides et ratio sur les rapports entre la foi et la raison, propose son œuvre, avec celle de quelques autres, comme un bel exemple d`une « recherche courageuse » manifestant « le rapport fécond entre la philosophie et la parole de Dieu ». (Fides, 1998, p. 115-116).