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Yves Bastarache est professeur retraité de philosophie. Il a fait sa carrière au Cégep de Trois-Rivières où, outre l'enseignement de la philosophie et des publications, il a aussi coordonné le Département de Philosophie pendant de nombreuses années. Il est par ailleurs l'un des instigateurs de l'implantation du programme d'études en Histoire et Civilisation (700.B0 / Liberal Arts) au Cégep de Trois-Rivières -- un programme qu'il a aussi coordonné pendant de nombreuses années.

Dans son édition de septembre dernier, la revue Science et Vie (no. 1080) pose l’une des plus intéressantes questions :  » d’où viennent les maths? »  Douce question à l’oreille du métaphysicien, qui, tapi dans l’ombre, se prépare à surprendre le mathématicien dans sa relation lubrique avec la certitude!  Objets de fascination et de répulsion, les mathématiques ne laissent personne indifférent.  Elles scandent les études de millions d’étudiants,  elles servent à aller sur la Lune et à en revenir, elles chantent une mélodie universelle et éternelle à l’oreille de tous les hommes que les vols planés de l’abstraction pure n’effraient pas.  Elles trônent bien haut dans l’architecture de toutes les civilisations.

Les mathématiques sont, bon gré mal gré,  de toutes les activités humaines.  Elles le sont à ce point qu’on peut en venir à développer une certaine suspicion à leur sujet : quel lien unit l’homme aux maths?  L’homme est-il l’auditeur docile de cette discipline dont il prend en notes les oracles? Ou bien n’en est-il pas plutôt le concepteur, créant ainsi un discours aux propriétés certes remarquables, mais qui en bout de piste se referme sur lui-même? Science et Vie formule ainsi le problème : « Les maths : réalité ou pure construction mentale? »   Deux mathématiciens, une historienne des sciences et une philosophe esquissent des réponses à ce difficile problème.

À titre d’exemple, écoutons deux de ces spécialistes. J.-P. Delahaye, professeur à  l’Université des sciences et technologies de Lille dit : « Quand je fais des mathématiques, je suis convaincu d’avoir à faire à une réalité indépendante de moi et qui n’a pas attendu que je sois présent pour prendre la forme que je lui découvre ».    De son côté, A, Barberousse, philosophe et chargée de recherche à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques, prévient que cette conception réaliste du discours mathématique « (…) implique de répondre à la question de savoir comment nous pourrions entrer en contact avec les entités peuplant cet univers mathématique.  Or, nous n’en avons pas la moindre idée! »  Si lumineuses dans le moindre détail de l’enchaînement de ses raisons, les mathématiques se révèlent en contrepartie très obscures quant à leur fondement…

On retrouvera aussi dans ce dossier un exposé des recherches sur le caractère possiblement inné du sens des mathématiques ainsi qu’une réponse à la question : « Depuis quand compte-t-on? »

(Petite note pour moi-même)- Dans son mythe de Prométhée, Platon soutient que sans l’art politique, l’homme ne pourrait assurer sa survie.   Sans doute.  Mais que serait notre civilisation sans les fulgurantes avancées des mathématiques? Et  là comme ailleurs, il faut savoir payer notre tribu aux Grecs. : les premiers,  ils ont eu l’idée de calculer dans le but de… calculer!  Émancipant les mathématiques de la servitude de l’arpentage ou de la tenue de livres, ils en ont libéré le redoutable génie.   Ils ont entrevu dans cette science princière l’alphabet du cosmos.