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Décès de Jean Ladrière

Le 26 novembre 2007 est décédé à la Clinique Saint-Pierre d`Ottignies (Belgique) le philosophe et logicien belge Jean Ladrière à l`âge de 86 ans. Tant sur le plan intellectuel que sur le plan humain, il fut l`un des universitaires belges les plus respectés du XXe siècle. Il fut longtemps enseignant à l`Université catholique de Louvain (UCL) où il présida l`Institut supérieur de philosophie pendant neuf ans. Il y a enseigné la philosophie des sciences, la philosophie du langage, la philosophie analytique, la philosophie sociale et les mathématiques. Il fut, en 1986, professeur émérite à l`Université de Louvain-la-Neuve et ancien président de l`Union mondiale des Sociétés catholiques de philosophie. Il fut également président d`honneur du Centre National de Recherche en Logique. Il agit aussi comme administrateur de la « Fondation Hélène et Lucien Morren » dont l`objectif concerne l`approche interdisciplinaire du problème de l`évolution. Il fut durant de longues années Vice-président de l`Association des Sociétés de philosophie de Langue Française (ASPLF). Pendant plusieurs années, il a fait partie du Centre d`études bioéthiques qui avait été créé à l`Université de Louvain. Il est également docteur honoris causa de l`Université des Lettres, Arts et Sciences humaines de Lille III (France), de l`Université de Sherbrooke (Québec), de l`Institut catholique de Paris et des Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur (Belgique). Catholique engagé, il n`était pas de ceux qui estimaient devoir imposer leur foi aux autres ou mépriser ceux qui ne la partagent pas. À preuve, les liens forts d`amitié et d`estime qu`il a entretenus par exemple avec Chaim Perelman , Leo Apostel, Jean Van Lierde et Jules Gérard-Libois. Plusieurs de ses disciples et amis ont souligné son intelligence brillante, l`ampleur et la profondeur de sa culture tout comme la générosité, la simplicité et la chaleur humaine qui l`habitaient.

Il naît le 7 septembre 1921 à Nivelles (Belgique). D`origine arménienne par sa mère, il est le fils de l`architecte qui rénove la collégiale de Nivelles, ville dans laquelle il grandit et où il retourne vivre après son éméritat. Il a deux frères, Paul et Guy, ainsi qu`une sœur Geneviève. Il fait des études de philosophie et de mathématiques à l`Université Catholique de Louvain (actuellement Louvain-la-Neuve, en Belgique). Il est licencié en mathématiques et docteur en philosophie de cette même université. Durant la Guerre 39-45, il sert dans la Brigade Piron. Au lendemain de celle-ci, il poursuit à Louvain des études de mathématiques et de philosophie. Chercheur FNRS puis professeur à l`Institut supérieur de philosophie de l`Université catholique de Louvain, il consacre ses premiers écrits aux fondements de la logique formelle et à l`épistémologie des mathématiques. Par ses cours, l`UCL découvre Wittgenstein, Popper, Chomsky et Habermas. Il fonde un centre de philosophie des sciences où aucun domaine du savoir n`est étranger. Ses séminaires explorent la cybernétique et la théorie des catastrophes, la théorie de l`évolution et la théorie de la justice, la métaphysique du logicien et mathématicien britannique Alfred North Whitehead (1861-1947) et le marxisme contemporain.

De 1948 à 1954, il travaille comme aspirant au Fonds national belge de la Recherche Scientifique (FNRS). En 1949, il défend sa thèse de doctorat, consacrée à l`étude des implications du théorème de Gödel pour la philosophie des mathématiques. Logicien et mathématicien américain d`origine autrichienne, Kurt Gödel (1906-1978) est l`auteur de deux théorèmes (1931) de métamathématique. Par la suite, il étend cette étude à un examen de l`ensemble des faits de limitation dans les formalismes, ce qui donne lieu en 1957 à la publication de son livre intitulé Les limitations internes des formalismes (réédité en 1992 aux Éditions Jacques Gabay). Dans les années 1950, il contribue à animer le groupe Esprit. En 1955, il traduit un ouvrage du mathématicien et logicien allemand Gerhard Gentzen (1909-1945) à l`instigation de son maître le Chanoine Robert Feys (1889-1961), logicien, philosophe et professeur émérite de la Faculté des sciences de l`UCL. À partir de 1958, il est chargé du secteur de philosophie des sciences à l`Institut supérieur de philosophie de l`Université de Louvain. Par après, il travaille dans le domaine de l`épistémologie des sciences de la nature et des sciences humaines, plus particulièrement des sciences sociales. En 1972, il publie, chez Casterman, La science, le monde et la foi, ouvrage où il traite des rapports entre science et philosophie d`une part, et entre science et théologie d`autre part. Ayant enseigné pendant de nombreuses années la philosophie sociale, il s`intéresse également aux questions qui touchent la vie sociale, surtout dans la dimension politique, et les domaines connexes : histoire, culture, technique. À cet égard, plusieurs des études publiées dans ce domaine ont été rassemblées dans un volume intitulé Vie sociale et destinée (Duculot,1973). En 1977, il est élu à l`Académie royale de Belgique. La même année, il publie Les enjeux de la rationalité qui traite de l`impact de la science et de la technique sur les cultures, envisagées surtout sous l`aspect des valeurs éthiques et des valeurs esthétiques. Une nouvelle édition de ce même volume paraît aux Édition Liber à Montréal en 2001 sous le titre suivant : Le Défi de la science et de la technologie aux cultures. Suivi de Existence, éthique et rationalité.

Il est l`auteur d`une douzaine de livres dont les trois derniers parurent en 2004 : La foi chrétienne et le destin de la raison (Cerf), Le temps du possible (Louvain, Éd. de l`Institut supérieur de philosophie) et L`Espérance de la raison (Louvain, Éd. Peeters). On lui doit notamment Les enjeux de la rationalité (Paris, Unesco, 1977) et L`articulation du sens (Cerf,T.1 : 1970; T.2 : 1984). Dans ce dernier livre, il étudie en épistémologue, le langage de la foi, le comparant aux langages de la philosophie et de la science. Ces deux mêmes ouvrages, traduits en plusieurs langues, lui ont valu sa réputation d`expert international dans le domaine de l`évaluation éthique des techno-sciences. Il fait également paraître les ouvrages suivants : Fondements d`une théorie de la justice (Louvain, Éd. de l`Institut supérieur de philosophie,1984), en collaboration avec Philippe Van Parijs; L`éthique dans l`univers de la rationalité (Artel/Fides,1997); Trois essais sur l`éthique économique et sociale (2001), en collaboration.