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Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.

Le journal montréalais La Presse rapporte dans son édition du samedi, 16 mai 2009 en page 7 du cahier « Vacances/voyages », cette nouvelle de l`Agence France-Presse (AFP) concernant le site archéologique du Lycée d`Aristote. Découvert en 1996 dans le centre d`Athènes, celui-ci sera bientôt aménagé et ouvert au public a annoncé M. Antonis Samaras, ministre grec de la Culture. Ce dernier ajoutant que : « Le Lycée d`Aristote et l`Académie de Platon sont les premières universités du monde ».

En effet, c`est au cours de travaux de déblaiement d`un terrain destiné au départ à ériger un musée d`art moderne que les pelleteuses avaient mis à jour les vestiges du fameux Lycée que les archéologues recherchaient depuis des siècles. Le projet d`aménagement prévoit la pose d`un grand abri de verre et d`acier, de 12 mètres de haut, sur un demi-hectare qui recouvrira la palestre du gymnase du Lycée fondé par Aristote en 335 avant notre ère.

Présentation

Le mot Lycée, en grec Lukeion, est un lieu situé à l`est d`Athènes, au pied du Lycabette, colline de l`Attique de la chaîne du Pentélique, aujourd`hui intégrée dans Athènes. C`est une plaine dégagée sur les bords de l`Ilissos, petite rivière qui traverse Athènes.

À Athènes, on désigne sous le nom de Lycée, un des deux principaux gymnases de la ville. Ce gymnase est ainsi appelé parce qu`il est situé dans le voisinage d`un temple consacré à Apollon Lycien (selon les uns, tueur de loups et plus probablement dieu de la lumière). Déjà embellit par l`homme politique athénien Périclès (v. 495-429), le gymnase du Lycée l`est encore, au temps d`Aristote, sous l`administration de l`orateur et homme politique athénien Lycurgue (v. 390-324). C`est sous les ombrages des jardins ou des galeries couvertes du gymnase qui en dépendaient qu`Aristote enseigne la philosophie, et de là vient le nom de Lycée, donné à l`école de ce philosophe.

Au Moyen Âge, le « Lycée » désigne une école de philosophie d`après l`ancienne école des péripatéticiens d`Athènes. De plus, le nom de certaines institutions scolaires actuelles, notamment en France, y trouve également son origine.

Le Gymnase : symbole de l`hellénisme

Le gymnase (gumnasion) est le lieu de l`éducation grecque, inséparable de la formation civique, la paideia. Dès l`époque archaïque, cette installation essentielle pour la vie grecque est attestée. On y pratique alors les exercices sportifs et l`entraînement militaire. C`est là que les hommes s`exercent nus (gumnoi). Au Ve siècle av. J.-C., le terme apparaît dans la littérature athénienne. À partir du IVe siècle av. J.-C., s`ajoute pour la plupart d`entre eux un rôle d`éducation intellectuelle. Lieux de rencontres et de discussions philosophiques informelles du temps de Socrate (v. 470-399), les établissements d`Athènes deviennent par la suite les centres de diverses écoles. Ainsi, le philosophe grec Anthistène (445-365) et les Cyniques s`installent au Cynosarge, voisin du sanctuaire d`Héraclès, le seul gymnase où, jusqu`à Thémistocle (v. 525-v. 460), général et homme d`État athénien, les jeunes gens nés d`une mère non citoyenne peuvent s`exercer. Platon s`établit à l`Académie en 387; Aristote s`installe au Lycée en 335. À l`époque hellénistique, les gymnases reçoivent tout autant les entraîneurs sportifs que les grammairiens et les conférenciers, voire les poètes et les musiciens. On a découvert au Pirée, port d`Athènes, le catalogue d`une bibliothèque de gymnase, où sont mentionnés des ouvrages des tragiques et des comiques grecs qui devaient y être étudiés.

Le gymnase fait partie de certains sanctuaires de sorte qu`on y célèbre le culte d`Hermès et d`Héraclès. À cette époque, il devient un ensemble de bâtiments adaptés aux programmes de plus en plus compliqués de la gymnastique grecque. Il comprend trois parties : la palestre, le gymnase découvert et le stade. Des paidribai (moniteurs) y sont attachés; ils sont dirigés par un gymnasiarque (à Athènes, ce terme désigne un collège de dix surveillants). Les Grecs et surtout les éphèbes (adolescent de 18 ans) qui fréquentent assidûment le gymnase, étudient également la philosophie, ce qui favorise la fondation de certaines écoles, comme l`Académie et le Lycée.

Les bâtiments consistent en une cour carrée bordée de portiques, décoré avec soin et orné de statues, sur lesquels s`ouvrent diverses pièces, dont un vestiaire (apodytérion). On y trouve aussi l`exédra qui est une salle d`apparat, destinée à des réunions ou des conférences. Il y a normalement un bain et une piste de course (les palestres n`en ont pas). Organisés à l`origine comme des institutions privées, ils sont graduellement pris en charge par les cités dans le courant de l`époque hellénistique. Certaines cités importantes possèdent plusieurs gymnases, comme Athènes.

Repères historiques

AristoteAristote, surnommé le « prince des philosophes » naît en 384 av. J.-C. à Stagire, colonie grecque de Chalcidique, en Macédoine (auj. Stavro), au nord de l`Athôs. En 367, il quitte cette même contrée pour Athènes où il est le disciple de Platon (427-347 av. J.-C.) pendant vingt ans jusqu`à la mort du maître. L`école de Platon était alors en pleine prospérité. Organisée comme une véritable université, elle possédait un statut, des logements destinés aux étudiants, des salles de cours, un musée et une bibliothèque. Aristote étudie à l`Académie, fondée par Platon en 387, puis il y enseigne jusqu`en 347. Pendant ces années, il acquiert une culture encyclopédique, touchant tous les aspects du savoir de son temps. En 342, le roi Philippe II de Macédoine confie à Aristote l`éducation de son fils Alexandre alors âgé de quatorze ans.

En 335, à la mort de Philippe II, son fils Alexandre monte sur le trône et commence son expédition en Asie. À ce moment, Aristote retourne à Athènes, ville d`élection des philosophes et fonde sa propre école (précédemment ébauchée à Assos, près de Troie et à Mytilène, dans l`île de Lesbos), le Lycée ou Péripatos (un péristyle où l`on se promène en discutant et en argumentant et qui laisse son nom à l`école péripatéticienne). Dédiée aux Muses, la nouvelle école est située au nord-est de la cité dans un gymnase construit près du bois sacré d`Apollon Lycien. Le gymnase est déjà fréquenté, non seulement par des sportifs mais également par de nombreux intellectuels.

Légalement, ce n`est pas Aristote (qui est métèque et qui ne peut donc pas posséder de terrain en Attique) qui fonde l`« école péripatéticienne » mais le philosophe et savant grec Théophraste (372-287 av. J.-C.), natif d`Érésos dans l`île de Lesbos. En réalité, il s`appelle Tyrtamos, mais il est surnommé Théophrastosle Divin Parleur») par Aristote. À Athènes, il suit les leçons de Platon, puis d`Aristote, à qui il succède en 322 à la direction du Lycée quand ce dernier doit quitter Athènes pour Chalcis, sous le coup d`une accusation d`impiété, sous le prétexte que son hymne au philosophe et homme politique grec Hermias (IVe siècle) aurait mieux convenu à un dieu qu`à un homme.

Aristote enseigne pendant douze ans au Lycée, école rivale de l`Académie, dirigée depuis 339 av. J.-C. par le philosophe grec Xénocrate (v. 400-314), ami d`Aristote. Bien que ce dernier ait conservé une entière vénération pour la mémoire de Platon, toutefois, sur des points importants, sa pensée – puissamment originale – s`écarte de celle de son maître, de sorte que la création d`une autre école est amplement justifiée : Amicus Plato, sed magis amica veritas. À cet égard, c`est ce que l`on peut lire dans ce passage célèbre de l`Éthique à Nicomaque : « vérité et amitié nous sont chères l`une et l`autre, mais c`est pour nous un devoir sacré d`accorder la préférence à la vérité ». Ainsi, Aristote y professe « en se promenant » dans les allées d`un bosquet ou sous un portique : d`où le nom de péripatéticiens ou promeneurs, que reçoivent ses disciples. Pendant douze ans donc, un immense labeur philosophique et scientifique s`y accomplit. Le maître y donne un double enseignement. L`un, acroamatique (ou ésotérique) s`adresse à un groupe restreint d`élèves d`élite et dignes de recevoir son enseignement supérieur. Cet enseignement traite des parties les plus difficiles de la philosophie; il se tient le matin. L`autre, exotérique (ou extérieur) est ouvert au grand public; il a lieu l`après-midi. En même temps qu`il donne ses cours, Aristote compose la plupart de ses ouvrages. Seules les notes de cours qu`Aristote rédigea pour l`enseignement au Lycée et pour des leçons à Assos, en Troade (avant le préceptorat d`Alexandre) nous sont parvenues. D`ailleurs, tous les ouvrages que nous possédons correspondent à l`enseignement qu`Aristote donne à ses élèves les plus avancés, dans ses cours fermés (ou ésotériques). Ce ne sont pas des dialogues, mais des exposés du maître. Il semble probable qu`aucun d`eux n`a été publié par Aristote lui-même. Il a légué ses cahiers de cours à son successeur Théophraste. Ces cahiers passent de main en main jusqu`au jour où le général et homme politique romain Sylla (138-78 av. J.-C.), après la prise d`Athènes (86 av. J.-C.), les apporte à Rome; c`est à ce moment qu`ils sont publiés par Andronicus de Rhodes, qui dirige à l`époque le Lycée à Athènes, vers 60 av. J.-C.

Le Lycée ne tarde pas à éclipser l`Académie de Platon et les autres écoles contemporaines. Il se caractérise par des recherches savantes très variées, littéraires, scientifiques et philosophiques. Aristote collectionne manuscrits et cartes, et il constitue la première bibliothèque d`importance de l`Antiquité en même temps qu`un musée d`objets naturels, entreprise dont on dit qu`elle bénéficie de l`aide d`Alexandre le Grand (356-323), qui subventionne et documente Aristote, son ancien précepteur. À côté de son œuvre éducative et d`enseignement, le Lycée semble avoir eu, de manière plus marquée que l`Académie, le caractère d`une union ou d`une société dans laquelle les penseurs mûrs poursuivent leurs études et leurs recherches. C`est en effet une université ou un institut scientifique équipé de bibliothèques et de maîtres, dans lequel des cours réguliers sont donnés. L`école péripatéticienne n`a pas pour but de préparer à la vie politique. Elle est un choix de vie et une manière d`être heureux. Le corpus des leçons d`Aristote forme le patrimoine conceptuel de l`école, au même titre que le Corpus hippocratique pour Cos, île du Dodécanèse, célèbre à cause de son école médicale illustrée par Hippocrate (v.460-v.377). Fuyant la chasse aux disciples, Aristote ne témoigne pas non plus de cette tendance à l`autocélébration propre aux Sophistes. L`existence d`Aristote et celle de son école ne dépendent pas des salaires payés par les disciples au maître, mais uniquement du patrimoine personnel des membres du groupe, ou de l`école.

En 322, Aristote meurt à Chalcis, en Eubée, à l`âge de 62 ans d`une maladie d`estomac dont il souffre depuis longtemps. Théophraste est son légataire testamentaire. Aristote lui lègue ses livres et ses manuscrits. Ceux-ci comprennent la totalité de ses notes de cours, lesquelles n`ont pas été préparées en vue de leur publication. Sous la direction de ce dernier, de 322 à 287, le nombre des élèves est croissant et atteint le nombre de deux mille. Le Lycée, qui devient alors une association culturelle consacrée aux Muses, connaît de nombreuses difficultés. À la fin du IVe s. av. J.-C., l`enseignement de la philosophie est plusieurs fois soumis à des interdictions, rapidement rapportées, de la part des hommes politiques, qui lui reprochent notamment son indépendance par rapport à la religion. Théophraste est inquiété à diverses reprises. Puis Straton de Lampsaque (? – 268), surnommé le Physicien, lui succède comme directeur de 288 à 268. Il oriente alors les recherches et l`enseignement surtout vers les sciences de la nature. Contrairement à Aristote, il nie les causes premières et finales dans l`explication des phénomènes. Il se rapproche du philosophe grec Démocrite (v.460-v.370) sans néanmoins aboutir à l`atomisme, s`orientant vers un certain mécanisme, mais ne renonçant pas au qualitativisme. À la mort de Straton, l`orateur et écrivain grec Lycon de Troade (268-224) lui succède à la tête du Lycée jusqu`en 225. Il semble que le Lycée ait été ruiné par ses prodigalités; le nombre des élèves tombent alors très bas. Le moraliste et orateur Critolaos de Phasélis lui succède et devient alors le cinquième scolarque du Lycée; il meurt en 143. Selon lui, le bien de l`âme, les biens du corps et les biens extérieurs sont tous trois nécessaires à une vie conforme à la nature.

Les disciples d`Aristote s`installent de plus en plus à Alexandrie, le grand foyer de la civilisation hellénistique. Sa bibliothèque, la plus célèbre de l`Antiquité, compte 700,000 volumes. À partir du 1er siècle après J.-C., Aristote n`a plus de continuateurs, mais seulement des commentateurs. En proie à des malheurs de toutes sortes, plusieurs fois pillé pendant les guerres, le Lycée est détruit en 84 ap. J.-C. Plus tard, l`empereur romain d`Orient Justinien 1er (482-565 ap. J.-C.) fait fermer les écoles philosophiques d`Athènes. À partir de ce moment, la pensée grecque cherche un refuge en Orient avant de réapparaître en Occident vers le XIIe siècle.

Bibliographie

BRUN, Jean. Aristote et le Lycée. 10e éd. Paris, PUF, coll. « QSJ ?, no. 928 », 2004. 127p. [ISBN : 2-13-053657-3; EAN : 9782130536574]

DELORME, Jean. Gymnasion. Études sur les monuments consacrés à l`éducation en Grèce, des origines à l`Empire romain. Paris, De Boccard, coll. « Bibliothèque des Écoles françaises d`Athènes et de Rome, fasc. 196 »,1960. 537p.

MOREAU, Joseph. Aristote et son école. 2e éd. Paris, PUF, coll. « Dito », 1985, c1962. 334p. [ISBN : 2130392210]

THUILLIER, J. P. Le Sport dans la Rome antique. Paris, Éditions Errance, coll. « Collection des Hespérides », 1996. 190p. [ISBN : 2877721140]