Geo Histoire no. 6
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Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.

Geo Histoire, no. 6 (juin-juillet-août 2008), 136p. [14.00$]

Dossier « La Grèce antique ».

Ce numéro estival est consacré à la civilisation hellénique. Le lecteur y explore des lieux (Péloponnèse, Attique, Cyclades) mais voyage aussi entre légende et réalité, entre mythes et histoire. Ce dossier spécial se divise en trois parties : 1. Une civilisation bénie des dieux 2. Des héros beaux et braves 3. Athènes, l`invention de la cité. Dès les premières pages, on rappelle que le monde hellénique inventa la cité et la démocratie tout comme le théâtre et la poésie. Si bien que cette même culture imprègne toujours notre société, vingt-cinq siècles plus tard.

Dans le chapitre traitant du patrimoine, l`historien Marcel Detienne, professeur à la Johns Hopkins University, à Baltimore (États-Unis), balaie les idées reçues sur nos lointains ancêtres. Il se demande ici de quoi sommes-nous réellement redevables aux anciens grecs ? Et ce dernier de répondre : peut-être simplement de l`art de savoir questionner le monde. Dans son article intitulé « Le mythe de l`idéal grec », il affirme que la « civilisation grecque » (celle dont parle les manuels) est une invention du XIXe siècle européen. Pour lui, ces 1500 cités-villages qui composent la Grèce entre le VIIIe s. av. J.-C. et le IVe s. ap. J.-C. étaient rarement urbanisées. De sorte que chacune avait la possibilité de mettre en œuvre des pratiques singulières, de choisir des « institutions » de la vie commune, de s`inventer au cours du temps.

Il remet en cause la domination universelle qu`exerce les Grecs dans deux domaines : la philosophie et la démocratie. Dans le premier cas, philosopher signifie, en grec, se poser des questions, cultiver la discussion, réfléchir à une série de problèmes. Or, même dans les groupes ou les sociétés les plus démunis, il y a eu de la pensée inventive et créative. Par conséquent, l`obsession occidentale d`une « Grèce des origines » a longtemps empêché de reconnaître que l`on pense ailleurs (Chine, Afrique, Océanie).

La première partie traite des dieux grecs et des hauts lieux de leur présence surnaturelle : Mont Olympe, Délos, Samothrace. Ainsi, Pierre Sineux, professeur d`histoire grecque à l`université de Caen, rappelle que l`unité du monde grec classique repose d`abord sur un panthéon commun. Pour lui, les rites sont autant de manières d`entrer en relation avec les dieux, pour les réjouir, s`attirer leurs bonnes grâces ou les remercier des faveurs accordées. Il souligne également que « si le sacrifice est un rite qui établit une communication avec le divin, il marque aussi la séparation entre les dieux et les hommes, tout en renforçant les liens qui unissent entre eux les membres d`une communauté […] Dans leur relation au divin, les Grecs ne recherchent pas, en règle générale, une communion. Par les actes du culte, ils s`inscrivent plutôt dans une relation d`échange et de réciprocité avec les dieux » (p.53). L`article suivant, qui traite du polythéisme, montre que les dieux de l`Olympe ont des caractères similaires à ceux des simples mortels (désir, ruse, colère). Dans le dernier article, Vincent Borel souligne que sur la terre natale de Zeus, chaque recoin de la Crète a donné naissance à l`un des grands mythes de la Grèce antique.

La deuxième partie s`intéresse aux héros (Hercule, Ulysse, Jason, Achille) qui forgent les grandes épopées mythologiques et qui dessinent l`idéal grec qui sera au cœur de toute l`éducation classique. Dans un article consacré au mythe des pères fondateurs, Francis Prost, maître de conférences à l`ENS, montre que les héros grecs jouent un double rôle clef dans la société hellénique : d`une part, ils illustrent des valeurs, comme la gloire ou la grandeur; d`autre part, ils assurent la cohésion des lignées. En ce qui a trait aux « cultes héroïques », Prost mentionne que les historiens distinguent deux catégories : le culte aux morts et le culte rendu au fondateur d`une colonie. Chacune des catégories se distinguent par le degré d`implication de la communauté dans la pratique cultuelle. Selon l`auteur, c`est la seconde catégorie qui révèle particulièrement les valeurs politiques de ces cultes. En ce sens, Prost affirme que « la cité grecque n`existe qu`à partir du moment où l`ensemble de ses membres actifs a conscience de partager une identité commune. Le héros joue ce rôle fédérateur, en regroupant dans son sanctuaire tous les participants de la cité-État » (p.73).

La troisième partie met l`accent sur le rayonnement de la cité-État d`Athènes, qui impose sa puissance impériale à ses rivales. Dans son article, Pierre Brulé, professeur d`histoire à l`université de Rennes II, revient sur l`invention et l`évolution de la démocratie à Athènes. Il s`intéresse ici au fonctionnement et aux principes qui régissent les institutions grecques. Le chapitre suivant, signé par Evan Hadengham, est consacré au Parthénon, installé au sommet de l`Acropole, ainsi qu`aux outrages du temps qu`il a subi en 2500 ans d`existence. Au terme de cette dernière partie, l`écrivain athénien Takis Théodoropoulos parle du souvenir de la culture antique encore présent dans la mégalopole. Pour lui, les Grecs d`aujourd`hui « digèrent mal et gèrent encore plus mal leur rapport à cette Antiquité. Le gouffre qui sépare la manière, toute moderne, de produire des symboles et la réalité d`un passé qui a survécu à la dégénérescence produit une sorte de cocktail historique aux relents nationalistes » (p.111). À son avis, « En Europe, la Grèce ne fait plus partie des lieux communs de la sensibilité, une qualité que lui attribuait Marguerite Yourcenar. Elle ne concerne plus que quelques spécialistes, historiens, anthropologues ou philosophes. Pour nous autres Européens, elle ne porte plus qu`une faible charge symbolique : elle n`est plus qu`une sorte d`idéal qui a subi le sort des idéalismes qui l`ont soutenu, des absolutismes qu`il a engendrés » (p.112). À propos du Parthénon, il affirme qu`il « n`est plus qu`un cadavre exquis ankylosé par les stéréotypes dont il est investi ! » (p.114).

Le dossier comprend également un dépliant au recto duquel on retrouve la carte des hauts lieux de la Grèce antique. Alors qu`au verso, on prend connaissance des grandes figures de l`Athènes classique. De plus, le lecteur bénéficie d`adresses utiles pour visiter Athènes et le nouveau musée de l`Acropole. En dernier lieu, une sélection d`ouvrages et de sites internet pour accompagner la lecture dudit dossier.

Info. : www.geo.fr