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Patrice Létourneau est enseignant en philosophie au Cégep de Trois-Rivières depuis 2005. Outre son enseignement, il a aussi été en charge de la coordination du Département de Philosophie pendant 8 ans, de juin 2009 à juin 2017. Il est par ailleurs l'auteur d'un essai sur la création, le sens et l'interprétation (Éditions Nota bene, 2005) ainsi que d'autres publications avec des éditeurs reconnus. Il collabore à PhiloTR depuis 2005.

Voici un exemple de paragraphe de problématisation, parmi d’autres possibilités :

Sujet posé (la question philosophique) :
Est-ce que le développement de nos capacités de réflexion critique accroît nos possibilités de bonheur ?

Démonstration du caractère philosophique de la question :

A) La démonstration du caractère fondamental de la question (pour ce faire, il s’agit d’identifier au moins une conséquence significative découlant de la question) :
Dans la mesure où l’on peut considérer que l’être humain cherche le bonheur, s’il s’avérait que le développement de nos capacités de réflexion critique accroît nos possibilités de bonheur, alors ça signifierait qu’il serait important de les développer le plus possible.  Ça peut sembler banal lorsqu’on le dit rapidement comme ça, mais en songeant à ce que ça implique, j’en viens à me dire que ça signifie qu’il serait alors capital de le faire, même si l’effort nécessité pour développer ces capacités n’est peut-être pas toujours plaisant en lui-même, dans l’immédiat… Puisqu’en définitive, en suivant cette perspective, même si cet effort peut parfois représenter une diminution du plaisir immédiat, voire parfois l’impression de devoir faire surchauffer notre cerveau, ça signifie que tout cela permettrait néanmoins l’atteinte d’un plus grand bien: l’augmentation globale de nos possibilités de bonheur.

B) La démonstration du caractère controversé de la question :
D’une part, certains diront qu’il est justifié de dire que le développement de nos capacités de réflexion critique ne permet pas vraiment d’accroître nos capacités de bonheur.  Car d’une certaine manière, on peut relier le bonheur à une capacité à saisir l’instant présent, ainsi qu’à un émerveillement et une certaine naïveté devant la vie.  Après tout, n’est-ce pas là que réside la joie aussi grande qu’insouciante de l’enfance ?  N’est-ce pas cet émerveillement qui se tarit trop vite ?  N’est-ce pas justement ce que «la raison» risque de venir désenchanter ?  De ce point de vue, la réflexion critique, c’est un empêcheur de jubiler en rond.

Mais d’autre part, certains diront qu’il est au contraire justifié de dire que le développement de nos capacités de réflexion critique permet véritablement d’accroître nos capacités de bonheur.  Car d’une certaine manière, comment considérer comme un réel bonheur de marcher à l’aveuglette dans la noirceur ?  Être libre, ce n’est pas seulement de choisir «soi-même» dans l’ignorance, c’est de choisir soi-même en toute connaissance de cause.  Sinon, ce n’est qu’une apparence de liberté.  Or, selon la position concurrente, c’est un peu comme si on disait que pour être heureux, il fallait ne pas être maître de notre vie, ne pas être véritablement autonome.  Ouch !  Étrange, non ?  Ainsi, selon cette perspective, la réflexion critique permettrait d’accroître nos possibilités de bonheur, en permettant d’aller au-delà des apparences parfois trompeuses.  Et ce, d’une part parce qu’elle permettrait des choix plus éclairés en pesant les «pour» et «contre» des diverses alternatives, ce qui nous éviterait d’être entraînés dans des situations fâcheuses qu’on n’avait pas vu venir (d’ailleurs, si on a qu’une vie à vivre, l’apprentissage par «essais et erreurs» a ses limites) ; et d’autre part, parce qu’elle nous rendrait plus conscient et, donc, plus libre des orientations fondamentales de notre vie, afin d’éviter d’être balloté au gré des événements, comme une coquille par les flots de la mer…

Ouf ! Méchant débat à approfondir et méditer…