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Patrice Létourneau est enseignant en philosophie au Cégep de Trois-Rivières depuis 2005. Outre son enseignement, il a aussi été en charge de la coordination du Département de Philosophie pendant 8 ans, de juin 2009 à juin 2017. Il est par ailleurs l'auteur d'un essai sur la création, le sens et l'interprétation (Éditions Nota bene, 2005) ainsi que d'autres publications avec des éditeurs reconnus. Il collabore à PhiloTR depuis 2005.

NDLR : Le printemps 2012 marque le départ à la retraite de trois précieux collègues et amis : Roger Toupin, Michel Guertin et André Boyer.  Avec les autorisations nécessaires, nous reproduisons dans la section « Départs à la retraite » de PhiloTR les textes de quelques-uns des discours prononcés lors de la soirée du 25 mai 2012 au Moulin Seigneurial de Pointe-du-Lac.


  

Discours pour le départ à la retraite de Roger Toupin

Cher Roger,

 

C’est un moment unique – et je dirais doublement unique : d’abord parce qu’une prise de retraite l’est, évidemment – et c’est un grand moment pour toi et Thérèse –, mais aussi parce que dans les prochaines minutes, tu ne pourras presque pas parler.

 

Sérieusement Roger, ça va être vraiment très étrange d’arriver au département à l’automne prochain sans que tu sois là à arpenter le corridor en nous parlant de Kant, d’Hubert Reeves et d’André Comte-Sponville.  D’autant que par-delà ton plaisir à partager tes réflexions – et parfois à penser à voix haute –, je crois que tous conviendront avec moi que ça témoignait de quelque chose d’admirable en toi : malgré toute une carrière à enseigner et tout le plaisir que tu avais à parler d’enseignement et de pédagogie (ou du DVD du Monde de Sophie), tu n’as jamais perdu le goût de la recherche – et du partage de cette recherche constante.

 

Même si tes fonctions – et l’institution – ne l’exigeaient pas, tu as décidé d’entreprendre avec courage des études de doctorat il y a de ça quelques années.  Je sais que tu l’as entrepris d’abord et avant tout par goût, mais considérant la structure académique parfois contraignante pour un électron libre, je tiens à souligner ton énergie.  D’ailleurs, si certains d’entre nous ont été surpris par l’annonce de ton départ à la retraite, c’est en partie dû à cette énergie qui te place presque dans une catégorie sans âge – d’ailleurs, rassure-moi, tu n’as pas signé un contrat avec Faust, j’espère…  Non, j’ai dit que tu avais l’air sans âge, mais outre la biologie – tu es matérialiste, après tout ! –, le secret de ta jeunesse ne tient sans doute pas à un pacte avec Faust, mais parce que tu as su vivre constamment le moment présent, pour reprendre une idée d’André Comte-Sponville, que tu aimes bien.

 

Je ne sais pas si beaucoup le savent, mais on m’a soufflé à l’oreille que tu as été l’un des premiers au Cégep à t’approprier le Web à des fins pédagogiques – et à bâtir des sites Web, à l’époque où il fallait bidouiller avec le code HTML ou passer par Dreamweaver.

 

Tu as aussi toujours été proche des jeunes.  Et ici, je pense non seulement à nos étudiants, mais aussi aux tout-petits de la garderie de Thérèse dont tu as contribué à nourrir l’imaginaire, ainsi qu’aux scouts…  Parce que oui, Roger s’est aussi beaucoup impliqué avec les scouts.  Quand je suis arrivé au Cégep en 2005, l’automne a été ponctué d’une grève.  Et je me souviens d’une journée de piquetage en décembre, où Roger avait sa tuque enfoncée sur les oreilles, plusieurs tours de foulard, un chaud manteau, de grandes bottes sibériennes…  Et qu’il nous avait dit que c’était le genre de trucs qu’il portait lorsqu’il faisait des Jamborees d’hiver avec les jeunes.  Je ne sais pas si ça vient de ta position résolument matérialiste Roger, mais en tout cas tu t’es manifestement soucié des conditions matérielles où se développent des apprentissages, à tout âge.

 

Il faut dire que tu n’as pas de difficulté non plus à nouer des relations.  Et tu es certainement du nombre des personnes qui ont fait du département un lieu convivial, amical.  En fait, à voir ta spontanéité on avait rapidement l’impression d’être en famille.  À ce sujet, je vais évoquer qu’un seul exemple qui sera suffisant je crois, pour bien illustrer ça – attention aux images mentales que ça pourrait éveiller en vous !  Imaginez : vous allez dîner à la salle des profs, et il y a là Roger.  Qui mange un spaghetti concocté avec amour par Thérèse, tout en étant revêtu d’un tablier qui le protège des éclaboussures de sauce.  Et qui vous parle d’André Comte-Sponville, du moment présent, de la fois où il a achevé un brochet à coups de marteau, qui fait quelques jeux de mots dont lui seul a le secret, ou encore qui vous parle du début de sa carrière, c’est-à-dire lorsqu’il enseignait au Cégep de la Gaspésie et des Îles et qu’il se rendait donner ses cours aux Îles de la Madelaine dans un petit avion de brousse vacillant – dont une fois où l’avion avait dû rebrousser chemin.  Après ça, comment ne pas se sentir comme si vous étiez en famille ?  Comment croire en une vision légaliste de nos tâches, alors que la convivialité a bien meilleur goût ?

 

Si je me suis ici permis de t’agacer un peu cher Roger, c’est qu’on agace ceux qu’on aime.  Et il est impossible de ne pas aimer cet homme jovial, qui n’a que des bons mots pour tous (tu en dis des choses Roger, mais je ne t’ai jamais entendu dire le moindre mal de qui que ce soit !) et qui est perpétuellement de bonne humeur – perpétuellement, comme le moment présent !

 

Bonne retraite et bonne continuité dans ton art de vivre Roger !

 

 

Patrice Létourneau

Coordonnateur du Département de philosophie