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100e de l`ouvrage Le formalisme en éthique et l`éthique matérielle des valeurs

L`année 2013 marque le centième anniversaire de publication de l`ouvrage Le formalisme en éthique et l`éthique matérielle des valeurs (Der Formalismus in der Ethik und die materiale Wertethik), œuvre maîtresse du philosophe allemand Max Scheler, l`un des représentants de l`esprit phénoménologiste. Il s`agit d`un recueil d`essais, dont une partie se consacre à la critique de l`éthique formaliste du devoir kantienne. L`autre partie présente une phénoménologie appliquée à saisir divers « actes affectifs » dans leur qualité intentionnelle.

SA PENSÉE

Plusieurs courants de pensée influencent son évolution intellectuelle et spirituelle. Parmi les philosophes allemands, pensons en cela à l`historicisme de Wilhelm Dilthey (1833-1911), au spiritualisme de Rudolf Eucken (1846-1926), à la philosophie de Friedrich Nietzsche (1844-1900). Mentionnons aussi l`influence du philosophe français Henri Bergson (1859-1941). Toutefois, sa pensée demeure originale et a une profonde influence sur ses contemporains, en particulier dans le domaine moral et religieux. D`ailleurs, le philosophe, théologien protestant et sociologue allemand Ernst Troeltsch (1865-1923), parlant de Scheler, le nomme « le Nietzsche catholique », bien que Scheler se soit éloigné définitivement du catholicisme en 1922.

Hanté toute sa vie par le problème religieux et la théorie des valeurs, il est profondément marqué par la philosophie du philosophe allemand Edmund Husserl (1859-1938) dont il utilise la méthode d`analyse (intuition des essences) pour essayer de résoudre l`opposition de la vie naturelle et de la vie spirituelle. Disciple de ce dernier, il développe une phénoménologie du « cœur » (Fühlen), de l`intentionnalité émotionnelle dont les objets sont les « a priori éthiques », valeurs objectives, immuables et hiérarchisées (que le jugement de valeur individuel ne modifie pas), substituant ainsi une éthique matérielle des valeurs à l`éthique formelle du devoir du philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804). Les valeurs représentent pour Scheler des essences dans la mesure où celles-ci (extra-temporelles et idéales) peuvent être expérimentées immédiatement. Son analyse révèle que la valeur est indépendante du sujet et des désirs. Il distingue quatre types de valeurs : l`agréable et le désagréable, les valeurs vitales, les valeurs spirituelles et les valeurs religieuses. Ainsi, en matière de connaissance, Scheler insiste sur un apriorisme, différent de celui de Kant par l`intervention des émotions (apriorisme émotionnel). Pour Scheler, la connaissance est la visée des essences et des valeurs. Elle atteint sa perfection dans l`amour de Dieu et dans la sympathie.

La pensée schélérienne, orientée toujours plus vers l`anthropologie, en arrive à considérer comme complémentaire la « poussée vitale » et la liberté de l`esprit, dont la « pénétration réciproque » caractérise, selon Scheler, la nature de l`homme, le seul être qui puisse être qualifié d`« animal métaphysique ». Toutefois, si Dieu est d`abord la clé de voûte du système de Scheler, c`est à la personne humaine et à sa vocation que Scheler accorde finalement la place prépondérante.

Max Scheler fut l`un des philosophes les plus importants de l`Allemagne de la première moitié du XXe siècle. Grâce à son originalité, il occupe une place à part parmi les philosophes influencés par Edmund Husserl. En effet, sa pensée tente une synthèse de ce qu`il y a de plus original et de plus nouveau dans la philosophie allemande de l`époque. Bien que sa force réside principalement dans le domaine de l`éthique, il s`intéresse aussi à la philosophie de la religion, à la sociologie. Sa pensée exerce une influence importante sur le philosophe allemand Nicolaï Hartmann (1882-1950) qui formule un certain nombre de critiques envers le néo-kantisme. Même influence en ce qui concerne le philosophe juif allemand Paul-Louis Landsberg (1901-1944), disciple de Scheler à Cologne, qui contribue au personnalisme de la revue Esprit.

Signalons qu`en 1953, Karol Wojtyla (1920-2005), futur pape Jean-Paul II, consacre sa thèse de doctorat en philosophie à Max Scheler sous le titre : Ocena mozliwosci zbudowania etyki chrzescijanskiej przy zalozeniach systemu Maksa Schelera (Le système phénoménologique de Max Scheler peut-il être employé comme instrument d`élaboration de l`éthique chrétienne ?).

Repères biographiques

Max Scheler [1]

Max Scheler naît le 22 août 1874 à Munich, en Bavière. Il est le fils d`un protestant converti au judaïsme et d`une mère juive orthodoxe. En 1888, il est baptisé dans la religion catholique, au gymnase de Munich, sous l`ascendant du prêtre chargé de l`instruction religieuse. Il fait ses études de philosophie à l`Université d`Iéna, où enseigne le philosophe allemand Otto Liebman (1840-1912) dont l`enseignement constitue une réaction contre le positivisme et le naturalisme et préconise un retour à la philosophie critique de Kant. De 1900 à 1906, il est privat-docent (assistant) à l`Université d`Iéna, en Thuringe. C`est d`ailleurs dans cette même université qu`enseignèrent les philosophes allemands Johann Gottlieb Fichte (1762-1814), Georg Wilhelm Hegel (1770-1831) et Friedrich Wilhelm Joseph Schelling (1775-1854).

En 1902, il rencontre, à Halle, le philosophe allemand Edmund Husserl (1859-1938), fondateur de la phénoménologie. En 1907, il présente sa thèse d`habilitation, à Munich. De 1907 à 1910, il est chargé de cours à l`Université de Munich, où il prend contact avec un groupe de phénoménologues qui commencent à récolter les fruits du travail de Husserl. En 1910-1911, il donne un cours à la société philosophique de Göttingen, en Basse-Saxe. Entre 1912 et 1914, il rédige divers essais et articles, réunis en volumes en 1915, et réédités en 1919 sous le titre Le Renversement des valeurs. En 1913, il publie le fruit de ses méditations avec De la phénoménologie et de la théorie des sentiments sympathiques et de l`amour et de la haine, qui, dans la seconde édition remaniée de 1923, devient Nature et forme de la sympathie (Wesen und Formen der Sympathie). De 1919 à 1928, professeur titulaire, il enseigne la philosophie et la sociologie à l`Université de Cologne, en Rhénanie-Westphalie. À cette époque, on le considère comme le maître de la pensée catholique allemande.

En 1922, il rompt avec l`Église et développe une anthropologie philosophique qui donne davantage d`espace aux pulsions libidinales dans le processus d`hominisation. En 1924, il marrie Marie Scheu, sa troisième épouse. En janvier 1925, à l`occasion de la fête anniversaire de la Lessing Academie, il prononce une conférence sur Les formes du savoir et de la culture, où il affirme que : « L`histoire de l`homme n`est pas un simple spectacle que contemple et juge un Dieu éternellement parfait, mais elle est tissée dans le devenir même de la divinité ». Or, jadis considéré comme le défenseur du christianisme et de l`Église, certains n`ont pas hésité à parler de « rupture » suite à cette dernière affirmation. Il meurt à 54 ans d`une attaque d`apoplexie à Francfort-sur-le-Main, le 19 mai 1928 au moment où il allait occuper la chaire de philosophie sociale à l`université de cette ville. De 1954 à 1998, son œuvre (Gesammelte Werke), éditée à Berne (Suisse), par les soins de Mme Maria Scheler, compte 16 volumes.

PUBLICATIONS

Il est l`auteur d`importantes analyses phénoménologiques dont Nature et formes de la sympathie (1923; traduction française, Paris, 1928). Dans ce même ouvrage, il présente la sympathie sous la forme d`un sentiment premier, originel. Pour lui, c`est au niveau de l`esprit, du respect des différences, et de ce qu`il pense être la communion que Scheler situe la sympathie proprement dite. Dans la seconde partie, il tente le passage de l`amour (véritable fondement de l`expérience morale) à l`éthique.

Il étend également ses analyses aux valeurs morales et religieuses avec des ouvrages comme Le Formalisme en éthique et l`éthique matérielle des valeurs (1913-1916; trad. franç. de M. de Gandillac, Paris, Gallimard, 1955; rééd., 1991), L`homme de ressentiment (Vom Ressentiment im Aufbau der Moralen, 1915; Gallimard, 1971), Le Renversement des valeurs (Vom Umsturz der Werte, Leipzig, 1919; trad. franç., Paris, 1955), De l`Éternel dans l`homme (Vom Ewigen im Menschen, Leipzig, 1921 et 1923; trad. franç., Paris, 1961), Nature et formes de la sympathie (Wesen und Formen der Sympathie, 1913. 2e éd., 1923; trad. franç., Paris, Payot, 1971; Éd. Payot-Rivages, 2003), Les formes du savoir et la société (Die Wissenformen und die Gesellschaft, Leipzig, 1926), La Situation de l`homme dans le monde (Die Stellung des Menschen im Kosmos, Darmstadt, 1928; trad. franç. de M. Dupuy, Paris, Aubier, 1951), L`Idée de la paix éternelle et le pacifisme (Die Idee des ewigen Friedens und der Pazifismus, 1931), Le sens de la souffrance (Vom Sinn des Leides, trad. P. Klossowski, Aubier, 1936), La Pudeur (trad. M, Dupuy, Aubier-Montaigne, 1952), L`Idée de paix et le pacifisme (trad. R. Tandonnet, Aubier-Montaigne, 1953), Problèmes de sociologie de la connaissance (Probleme einer Soziologie des Wissens, trad. S. Mesure, PUF, 1993).

ICONOGRAPHIE

imagesCAEPVO64 [2]                       Nature et sympathie-Max Scheler [3]

    La Philo de Max Scheler [4]

Tombe de Max et Maria Scheler [5]

Tombe de Max et Maria Scheler