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Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.

C`est jeudi, le 27 novembre 2014 à 18h00 à la Librairie-bistro Olivieri à Montréal qu`aura lieu une causerie intitulée « La pensée de Jacques Derrida aujourd`hui ». La rencontre sera animée par Nicolas Lévesque, des Éditions Nota Bene. On pourra y entendre Georges Leroux, professeur émérite au Département de philosophie de l`Université du Québec à Montréal  et Ginette Michaud. L`événement a lieu à l`occasion du lancement des trois livres ci-après.

 

D`abord, les Appels de Jacques Derrida, précédé de Justices, de Jacques Derrida. Ouvrage publié sous la direction de Danielle Cohen-Levinas et Ginette Michaud. Danielle Cohen-Levinas est philosophe et musicologue. Professeure à l’université Paris-Sorbonne et chercheure associée aux Archives Husserl de l’École normale supérieure (ENS), elle a fondé en 2008 le Centre Emmanuel Levinas – Collège des études juives et de philosophie contemporaine. Pour sa part, Ginette Michaud est professeure au département des littératures de langue française de l’Université de Montréal. Elle est membre du comité responsable de l’édition du séminaire de Jacques Derrida et a coédité les deux volumes du Séminaire La bête et le souverain (2008 et 2010). Puis, Jacques Derrida. L`art du contretemps par Ginette Michaud, publié aux Éditions Nota Bene, à Montréal. Ensuite, Penser à ne pas voir. Écrits sur les arts du visible (1979-2004) de Jacques Derrida. Il s`agit de textes réunis et édités par Ginette Michaud, Joana Maso et Javier Bassas, aux éditions La Différence, à Paris.

 

 

Jacques Derrida

 

 Jacques Derrida

 

Philosophe français, formé à la phénoménologie, il s`inspire des philosophes allemands Friedrich Nietzsche (1844-1900) qui critique les grandes oppositions conceptuelles et Martin Heidegger (1889-1976), qui critique la détermination du sens de l`être comme présence. Pour sa part, il prolonge la critique de ces deux derniers par une critique de la conception de l`écriture comme substitut de la parole. C`est ainsi que très tôt, il adopte une démarche de critique de la métaphysique (questionnement de ses présupposés) en tant que discours prétendant au savoir absolu.  Conséquemment, son projet consiste dans la « déconstruction » de toute la métaphysique traditionnelle et de ses conditions de fonctionnement considérée comme caractéristique de la pensée occidentale. La déconstruction désigne, chez lui, la critique qu`il fait du logocentrisme du discours philosophique et métaphysique. Sa réflexion tend à montrer que la tradition philosophique, de Platon à Hegel, a systématiquement privilégié la voix et l`oralité comme origine du discours et de la vérité sur l`écriture dans sa matérialité. Il est avec l`écrivain et sémiologue français Roland Barthes (1915-1980) et le philosophe français Michel Foucault (1926-1984) avec qui il publie en 1968 l`ouvrage collectif Théories d`ensemble (Seuil, coll. « Tel Quel »), un de ceux qui ont le plus réfléchi aux problèmes de l`écriture.

 

Jacques Derrida est l’auteur de plus de quatre-vingts livres. On lui doit de nombreux essais : l`Écriture et la différence, De la grammatologie, La Carte postale : De Socrate à Freud et au-delà. Il élargit aussi les sujets de sa réflexion jusqu`à un engagement moral et politique avec notamment : Psychè : Inventions de l`autre (Galilée, 1987), Du droit à la philosophie (Galilée, 1990), Spectres de Marx (Galilée, 1993), De l`hospitalité (avec Anne Dufourmantelle, Calmann-Lévy, 1997) et Donner la mort (Galilée, 1992). De plus, durant sa carrière, il donne de nombreuses conférences aux États-Unis (notamment en Californie et à New York) et reçoit vingt et une fois le titre de docteur Honoris Causa.

 

La pensée de Derrida a influencé un courant de critique littéraire aux États-Unis. Ainsi, Paul de Man (1919-1983), théoricien de la littérature américain d`origine belge, Geoffrey H. Hartman, également théoricien de la littérature, tous deux professeurs à l`Université Yale, située à New Haven, au Connecticut (États-Unis) et le critique littéraire J. Hillis Miller ont propagé les idées de Derrida dans les départements de littérature. Ces mêmes auteurs, relayant le New Criticism (courant dominant de la critique littéraire anglo-saxonne des années 1920 jusqu’au début des années 1960), ont mis en avant une véritable « éthique de la lecture » qui consiste à remettre en cause la présupposée cohérence de la pensée de l`auteur et les effets de vérité qu`il prétend produire. Or, comme le déconstructionnisme se répand alors dans les départements de littérature comparée, on accuse alors Derrida de dissoudre les valeurs fondatrices de la culture occidentale.

 

Repères biographiques

 

 Il naît le 15 juillet 1930 à El-Biar, sur les hauteurs d`Alger, dans une famille de Juifs séfarades. Il est le troisième fils d’Aimé Derrida et de Georgette Sultana Esther Safar. Son patronyme de naissance est Jackie. Jusqu`à l`âge de quatre ans, il  habite rue Saint-Augustin, à Alger. En 1942, il est victime des lois antisémites instaurées par le gouvernement de Vichy et expulsé du Lycée Ben Aknoun. En 1947, davantage intéressé au football qu`aux études, il échoue au baccalauréat. En 1948, il s`inscrit en lettres supérieures au Lycée Bugeaud, à Alger. En 1950, il fait ses études à l`École normale supérieure (ENS) où il a notamment suivi les enseignements des philosophes français Jean Hyppolite (1907-1968) et Maurice de Gandillac (1906-2006), ce dernier ayant dirigé les premiers travaux de Derrida. En 1952, après trois années de classe préparatoire au Lycée Louis-le-Grand, à Paris, il réussit le concours d`entrée à l`École normale supérieure, cela au terme de la troisième tentative. Il y devient alors l`ami du philosophe français Louis Althusser (1918-1990). En 1953-1954, il rédige sous la direction de Jean Hyppolite, son mémoire de maîtrise sur Le problème de la genèse chez Husserl (PUF, coll. « Epiméthée », 1990. Rééd. 2010).

 

De 1954 à 1983, il enseigne à l`École normale supérieure. En 1956, il est reçu à l`agrégation de philosophie et obtient une bourse special auditor qui lui permet d`aller étudier à l`Université Harvard, à Cambridge dans l`État du Massachusetts (États-Unis). De 1957 à 1959,  au cours de son service militaire, il enseigne comme enseignant dans une école d’enfants de troupe près d’Alger.

 

De 1960 à 1964, il enseigne, comme assistant, la philosophie générale et logique à la Sorbonne, à Paris, avant de venir enseigner à l`École normale supérieure (où il devient le collègue de Louis Althusser) jusqu`en 1984. Au début des années 1960, il met en place l`essentiel de la problématique qui sera connue plus tard sous le nom de « déconstruction ». En 1961, il obtient le prix Jean-Cavaillès (prix d’épistémologie) pour son introduction à l’Origine de la géométrie d’Edmund Husserl. En 1962, il publie Introduction à l`origine de la géométrie de Husserl (PUF). De 1965 à 1971, il collabore à la revue littéraire Tel Quel de l`écrivain français Philippe Sollers, moment où il se brouille avec ce dernier. En 1966, il participe, à l`Université Johns Hopkins, située à Baltimore, au Maryland (États-Unis), au colloque international sur la critique initié par le philosophe français René Girard, où il fera la connaissance de Paul de Man. En 1967, il publie son livre le plus célèbre l`Écriture et la différence (Seuil, coll. » Tel Quel »; aussi Seuil, coll. « Points Essais, no. 100, 2014). Le livre contient dix articles déjà publiés entre 1963 et 1966. En 1967 également, il publie De la grammatologie (Éd. de Minuit). Dans ce texte qui est son œuvre maîtresse, il est essentiellement question de mettre en acte une science de l’écriture sur le modèle de la linguistique, qui est la science du langage. Il y affirme que : « La prétendue dérivation de l`écriture […] n`a été possible qu`à une condition : que le langage « originel », « naturel », n`ait jamais existé, qu`il n`ait jamais été intact, intouché par l`écriture, qu`il ait toujours été lui-même une écriture ». En 1967 toujours, il publie La Voix et le phénomène : Introduction au problème du signe dans la phénoménologie de Husserl (PUF), où il rappelle la distinction faite par le philosophe   autrichien Edmund Husserl (1859-1938) dans Recherches logiques (trad. Hubert Elie, 4 tomes, PUF, collection » Epimethée », 2002) entre les deux sens du mot signe : « expression » (Ausdruck) et « indice » (Anzeichen). En 1968, il publie Sémiologie et grammatologie. En 1968 aussi, il prononce une célèbre conférence intitulée « La différance », texte repris, en 1972, dans Marges de la philosophie (Éd. de Minuit).

 

En 1972, il publie La Dissémination (Seuil, coll. « Tel Quel »), recueil de quatre articles dont les premières versions datent des années 1968-70. En 1974, il publie Glas (Éd. Galilée, coll. « Digraphe »), qui est une méditation parallèle sur l`œuvre de l`écrivain et auteur dramatique français Jean Genet (1910-1986) et sur celle du philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831). À partir de cette date, il mêle philosophie et fiction autobiographique. La même année, il fonde la collection « La Philosophie en effet », hébergée par divers éditeurs. En 1975, il crée le Groupe de recherches sur l`enseignement de la philosophie (Greph), qu`il dirige jusqu`en 1979. En 1978, il publie La Vérité en peinture (Flammarion; coll. « Champs Essais », 2010) où il s`intéresse au problème des relations entre signes picturaux et signes scripturaux. En 1979, il participe aux États généraux de la philosophie, à la Sorbonne, où il contribue avec le philosophe français Valdimir Jankélévitch (1903-1985), à sauver l’enseignement de la philosophie en Terminale en France.

 

En 1980, il publie La Carte postale : De Socrate à Freud et au-delà (Flammarion; coll. « La Philosophie en effet », 2004), où à partir du philosophe grec ancien Socrate (v. 470-v.399) et du médecin neurologue autrichien Sigmund Freud (1856-1939), il formule son rapport au psychiatre et psychanalyste français Jacques Lacan (1901-1981) – rapport de proximité et d`éloignement, dans une lecture du Séminaire sur La Lettre volée. En 1981, il fonde l’Association Jean-Hus avec l`historien français Jean-Pierre Vernant (1914-2007), spécialiste de la Grèce antique, organisme qui aide les intellectuels tchèques dissidents. Il est arrêté et brièvement emprisonné à Prague (des agents des services tchèques ont dissimulé de la drogue dans ses bagages) à la suite d’un séminaire clandestin. C’est le président français François Mitterrand (1916-1996) qui le fera libérer. En 1983, il est directeur d`études à l`École des hautes études en sciences sociales. En 1983 toujours, il fonde, avec un groupe de chercheurs et de professeurs, le Collège international de philosophie, qui permet à des enseignements de toutes disciplines et de toutes nationalités de mener des recherches inédites.

 

En 1990, il publie Du droit à la philosophie. Le livre  rassemble des textes écrits entre 1975 et 1990 sur la question de l’enseignement philosophique, de l’institution académique et de la politique de la philosophie à l’école et à l’université. En 1992, l`Université Harvard lui décerne un titre honorifique pour son œuvre. Cette distinction déchaîne les passions et déclenche un véritable tollé parmi les philosophes, qui reprochent – entre autres – à ses travaux leur manque de rigueur et de clarté. En 1994, il publie Politiques de l`amitié (Galilée, coll. « La Philosophie en effet »). En 1997, il publie, avec la philosophe et psychanalyste française Anne Dufourmantelle, De l`hospitalité (Calmann-Lévy, coll. « Petite bibliothèque des idées »).

 

En 2000, il publie États d`âme de la psychanalyse (Galilée), conférence prononcée aux États généraux de la psychanalyse. En 2001, il publie Foi et savoir (Seuil, coll. « Points Essais, no. 447 ») où il s`entretient avec le sociologue français Michel Wieviorka. En 2001 également, il publie L`Université sans condition (Galilée, coll. « Incises »), conférence prononcée en anglais à l’université de Stanford, en Californie, en avril 1998, dans la série des Presidential Lectures. À partir de 2003, il souffre d’un cancer du pancréas et réduit considérablement ses conférences et ses déplacements. En 2004,  il meurt le 8 octobre, dans un hôpital parisien, à l’âge de 74 ans. Il est enterré le 12 octobre; il repose au cimetière municipal de Ris-Orangis, dans le département de l’Essonne en région Île-de-France.

 

En 2006, on publie L`Animal que donc je suis (Galilée), dernier livre publié par Derrida à titre posthume. Ce livre a été édité par Marie Louise Mallet à partir de textes et d’enregistrements de conférences données à Cerisy (Picardie).  En 2011, on publie Politique et amitié (Galilée), entretien avec Michael Sprinker autour de Marx et d`Althusser. En 2012, on publie Histoire du mensonge : Prolégomènes (Galilée). Ce texte est issu d’une conférence donnée en avril 1997 au Collège International de Philosophie. Il a été traduit en anglais en 2002, et publié en français dans le Cahier de l’Herne Jacques Derrida dirigé par Marie-Louise Mallet et Ginette Michaud en 2004.