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Allocution amicale de Patrice Létourneau pour le départ à la retraite de Robert Drolet

Allocution amicale de Patrice Létourneau pour le départ à la retraite de Robert Drolet

 

Le vendredi 29 mai 2015

À la terrasse du Musée Boréalis

 

Robert,

Très cher Robert [1],

 

38 années de bons et loyaux services, comme on dit chez les fonctionnaires, ce qui ne t’impressionnera donc pas. Du moins, on ne pourra pas te reprocher de ne pas avoir suffisamment donné – et comme tes lectures sont éclectiques, peut-être était-ce pour figurer dans le livre des records Guiness ? Non, tu es beaucoup trop humble pour ça. 38 années, c’est un monde. Pour les plus jeunes du département, afin de vous donner une idée des mutations sociales en 38 ans… Vous, vous vous demandez à juste titre de session en session si vous aurez une tâche, s’il y aura du travail pour vous. Robert, lui, m’a raconté que lorsqu’on l’a appelé pour enseigner au Cégep de Trois-Rivières, il était en train de prendre une marche sur le bord du fleuve et a répondu qu’il allait y penser. Y penser ! C’était l’époque de l’abondance, pas de l’austérité, assurément.

Comme tu m’as dit qu’il y avait plusieurs «chapitres» à ton propre discours Robert, pour ma part et par soucie de ne pas trop faire attendre avant ton propre discours, comme dirait un ancien coordonnateur [2]… je serai bref. Mais d’abord, une petite confidence. Comme tu es plutôt introverti, j’avoue qu’il y a de ça environ un an, je me suis demandé quels détails croustillants je pourrais bien livrer le jour de ton hommage venu. J’avais pris note de ton mémorable discours tout en rimes [3] et incroyablement drôle pour le départ de Pierre Lemay. Mais à part ça, disons que de te voir aller à tes cours de préretraite synchonisé comme une horloge avec une banane à la main ne m’aurait pas permis de faire long feu. Et dire que tu marches vraiment vite dans les corridors, parfois même avec des bermudas jaunes sereins au printemps, n’aurait pas eu d’effet de surprise. Ni dire qu’il en est autant de ta conduite en voiture. Il y a bien sûr tes remarquables qualités d’enseignant juste, sincère et transparent qu’il faut souligner – mais je me suis dit que Jonathan, qui a été ton étudiant, pourrait mieux et plus sensiblement en témoigner dans son propre discours en ton honneur. Qu’est-ce qu’il me restait, alors ?

 

Puis, à l’automne dernier, j’ai eu l’occasion d’apprécier l’adage selon lequel le malheur des uns fait le bonheur des autres. Puisque d’une certaine manière, j’ai eu la «chance» que tu fasses une brève paralysie de Bell à l’automne dernier Robert – dont tout est maintenant réglé, heureusement. Ça nous a donné l’occasion de nous parler assez souvent au téléphone, et moi de faire le plein d’anecdotes. Ç’a été pour moi fulgurant ! Pour les personnes qui ne savent pas les détails, il faut dire comment ç’a débuté. C’était un lundi soir, vers 18h. Je vois arriver Robert au bureau de la coordination, me disant qu’il avait un problème personnel et gênant… Un problème personnel et gênant ? Vas-y Robert !!! J’en ai vu bien d’autres, mais là, ça tombe bien, j’avais justement envie de mieux de connaître… Il me dit que depuis qu’il s’était réveillé le samedi matin, il avait un côté du visage paralysé. Et que là, il avait de la difficulté à prononcer les «p». Il ne savait pas comment il expliquerait ça aux étudiants, parce qu’il aurait éventuellement à donner un cours sur Platon. C’était ça, son problème personnel et gênant ! J’avais déjà entendu plus croustillant. Robert… Moi, là, pendant ce temps, je me disais : le problème ce n’est pas les «p», c’est que t’es en train de paralyser et on ne sait pas pourquoi ! T’aurais pu être sur le bord d’un ACV ou je ne sais trop quoi qui me faisait alors angoisser pour toi, mais pas toi. Tu prenais simplement la mesure de jusqu’où tu pouvais pousser la mousse dans ton bain avec ta bouche à demi paralysée en soufflant. Par ta répartie, j’ai alors vite compris à quel point les étudiants avaient la priorité dans ton esprit, et aussi… que tu n’es certainement pas hypocondriaque !! Tu as accepté d’aller à l’hôpital, ce qui plus tard t’a permis de découvrir les joies d’avoir un faux rendez-vous. Bon, on sait tous que Robert est entier et qu’il peut aussi avoir un caractère un peu bouillant. On l’a tous déjà entendu parler fort seul dans son bureau, pour ne pas dire «péter les plombs» contre la chaleur excessive, le bruit à l’extérieur ou une poubelle déplacée. J’aurais donc aimé voir la face du médecin lors de ton «faux rendez-vous» où, après diverses épreuves dignes de la «Maison des fous» dans les douze travaux d’Astérix, celui-ci t’a dit qu’il allait prendre ta pression – et toi de lui répondre : «là, ça se peut qu’elle soit plus haute que la normale en ce moment» !

 

Ça devait être aussi drôle à voir, j’imagine, que lorsque tu as cassé la fenêtre à guillotine de ton bureau en la fermant trop brusquement, parce que Jean-Claude Leclair de taquinais en fumant à l’extérieur.

 

J’ai dit que lors de nos conversations téléphoniques, j’ai pu faire le plein d’anecdotes. Je me suis cependant tout de même demandé si je devais consulter le Comité d’éthique de la recherche sur les êtres humains pour savoir jusqu’où je pouvais aller. Pas simple. Malheureusement pour toi, celui-ci est en fin de session. Par exemple, dois-je dire que tu as déjà dansé sur une table ? Ah, en passant, Robert avait deux suggestions pour aujourd’hui : qu’il y ait de la lumière et peut-être même une piste de danse. Le comité a donc trouvé un endroit à Trois-Rivières où il y avait l’électricité pour assurer l’éclairage. Pour la piste de danse, je t’ai soumis le Coconut Bar, mais tu semblais insinuer que le passé était lourd d’échanges en ces lieux. Aujourd’hui, il n’y a pas de piste de danse au Boréalis, mais il y a des tables – et c’est ta soirée, donc n’hésite pas à te laisser aller, puisque tu as déjà dansé sur des tables. Par ailleurs, en me demandant jusqu’où je devais aller et pour rester dans la thématique de la danse, je me suis dit que je te regarderais du coin de l’œil pour voir si je pouvais révéler que tu m’as aussi dit que Jean-Claude Leclair t’a déjà payé une danseuse ? En fait, ce qu’il y a de savoureux dans ça, c’est la manière dont tu me l’as conté : lorsque tu m’as dit en te «plaignant» que oui mais là, toi, tu ne pouvais pas avoir une vue d’ensemble, parce qu’elle était bien trop proche et que tu n’avais accès qu’aux effluves ! Et par ailleurs, devrais-je révéler les actrices au cinéma qui semblent te plaire ?

 

À bien y penser, je pense que le reste va rester entre nous et la CIA, puisque l’on n’était pas certain si on était sur écoute.

 

Sincèrement Robert, chacune de ces conversations a été de merveilleux moments me faisant rire sans bon sang ! Ta façon de raconter tes anecdotes délicieuses. Ta lecture de l’histoire d’Adam et celle d’Ève de Mark Twain. Le fait que tu as déjà présenté devant une classe un extrait des Bijoux de la Castafiore, toi personnifiant Tintin et ton coordonnateur barbu de Chicoutimi en Haddock, avec un petit chien sur roulettes que tu avais apporté. Ton sens naturel de showman. Et puis, dans un tout autre ordre d’idée, j’ai trouvé émouvant, très émouvant la manière dont tu parlais de l’étudiant que tu avais découvert mort dans une classe au début de ta carrière à Chicoutimi. J’y ai retenu ton humanité, ta sensibilité, ta réserve de celui qui avait été touché, troublé. Et puis, j’ai aimé découvrir ton érudition sur le cinéma, notamment sur les séries d’espionnage. Ta passion pour les atlas. La manière dont tu avais géré tes péripéties lorsque MED, on t’avait envoyé à Garneau. Que tu joues au bonhomme pendu avec les étudiants pour les mettre à l’épreuve de concepts. Ta méfiance des idéologies – combinée à tes remarques sur les renvoient d’ascenseur en politique, dont la conscience de la realpolitik vient peut-être de ton père qui fut longtemps maire de Neuville et qui a aussi déjà harangué des foules debout sur une auto se souciant de la politique québécoise lors de la Révolution tranquille. Et puis, ta connaissance profonde de la littérature et de l’histoire, dont tu retrouves avec une facilité déconcertante les sources dans les plus de 7500 livres qui calfeutrent les murs de ta maison – sans compter tes innombrables CD de musique et DVD de films.

 

J’ai découvert en toi un homme universel, mais tout autant humble et près des gens.

Étant simplement toi-même.

 

Et puis, si j’ai dit tantôt que tu pouvais être bouillant, comme coordonnateur je sais que tu as toujours fait preuve d’un très grand respect et d’une très grande attention aux étudiants. Jonathan en témoignera après moi.

 

Et je sais aussi que tu sais faire preuve de beaucoup d’autodérision. Ce dont témoigne le fait que tu as déjà mis en classe un chandail de Mr. Bean après avoir découvert que les étudiants t’avaient donné ce surnom. Et il fallait voir ton visage d’enfant et tes rires, lorsque tu me montrais la caricature de toi que l’une de tes étudiantes t’avait donnée. Ou encore ton autodérision sur l’aspect excessif de ton penchant de collectionneur. Ou ton amusement pour tes surnoms.

 

Je ne m’en fais pas pour ta santé Robert. Tu as l’air encore aussi jeune que sur la photo d’il y a une vingtaine d’années qui traine au département. Aussi, je te souhaite une belle et longue retraite !

 

Et puis, j’espère que tu pourras enfin percer le monde interlope pour te procurer le matériel dont tu as besoin pour l’une de tes addictions, c’est-à-dire l’enregistrement légal de films en format adapté.

 

Dorénavant, tu ne pourras plus plaider le risque de double emploi, lorsque Marcel t’invitera aux activités des retraités — mais attention à leur initiation.

 

Je te souhaite un très bon nouveau chapitre à ta vie, Robert !

 

Patrice Létourneau

Coordonnateur du département de Philosophie