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Patrice Létourneau est enseignant en philosophie au Cégep de Trois-Rivières depuis 2005. Outre son enseignement, il a aussi été en charge de la coordination du Département de Philosophie pendant 8 ans, de juin 2009 à juin 2017. Il est par ailleurs l'auteur d'un essai sur la création, le sens et l'interprétation (Éditions Nota bene, 2005) ainsi que d'autres publications avec des éditeurs reconnus. Il collabore à PhiloTR depuis 2005.

En ce mois d’août 2016 vient de paraître le 10e numéro du magazine Nouveau Projet – magazine qui, depuis sa fondation, publie des textes soignés pour une lecture lente, où se côtoie au sein d’un même magazine philosophie, littérature, reportages, essais, lettre de l’étranger, commentaires, reprise de «Grands essais» (dans le 3e numéro était publié De la brièveté de la vie de Sénèque, alors que dans le 7e numéro était publié De ce que l’on représente de Shopenhauer, par exemple), poésie et bande dessinée.

 

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La jeunesse de la vieillesse2017 marquera les 50 ans des cégeps. Aussi, à l’approche imminente de ce 50e anniversaire, ce 10e numéro de Nouveau Projet ouvre ses pages à un intéressant commentaire de Jérémie McEwen sur le passé, le présent et l’avenir de cette institution originale du Québec. Dans un commentaire de quatre pages intitulé «La jeunesse de la vieillesse» (selon le qualificatif que Victor Hugo donnait à la cinquantaine), Jérémie McEwen (professeur de philosophie au Cégep Montmorency) aborde sans complaisance la perpétuelle crise identitaire des cégeps et la place de la formation générale en son sein. Rappelant la conférence de Guy Rocher de l’an dernier où ce dernier soulignait l’exception historique qu’avait constituée la commission Parent (dont il fut membre) dans l’histoire du Québec, Jérémie McEwen prend au sérieux le risque de liquidation des acquis des années 1960. Aussi, face aux critiques des cégeps et de la formation générale, il écarte d’emblée la réponse qui consiste à faire l’éloge de «l’inutile», puisque cet éloge ne convainc que les convaincus, quoiqu’elle ait quelque chose de romantique. Aux critiques en ces matières, il faut répondre en empruntant le langage des critiques, affirme-t-il. Donc, sans complaisance il faut dire «à quoi ça sert, le cégep» et les disciplines qui forment le socle commun de la formation générale (philosophie, littérature, anglais, éducation physique) qui lui est propre. Ce qui donne quatre pages empreintes d’une fort intéressante réflexion, dont voici de brefs extraits :

 

«Quand on y songe, les membres de la commission Parent avaient raison de craindre que leur idée soit rejetée. C’était un projet fou et terriblement dispendieux.

 

[…]

 

C’est un moment fort de notre parcours national où l’humanisme a triomphé, avant d’être grugé petit à petit par la logique de l’efficacité.

 

[…]

 

Le socle commun proposé par le rapport Parent était fondamentalement lié à la réalité linguistique et historique québécoise. Il appartenait aux Québécois de définir les éléments essentiels de leur culture. C’est ce qui a été fait. Et c’est là qu’il faut chercher l’utilité de la formation générale.

 

En lisant un corpus tiré d’une tradition partagée, les jeunes prennent conscience de leur appartenance à une communauté de langue française, aux origines européennes, enracinée en Amérique.

 

[…]

 

Se définir soi, sans s’inscrire au sein d’une société, ça a quelque chose de vide. Définir une société, sans y inclure les points de vue de chacun, ça a quelque chose d’aliénant.

 

[…]

 

C’est en faisant des choses comme ça qu’on s’outille pour conjuguer l’individuel et le collectif.»

 

Dans les quatre pages du commentaire de Jérémie McEwen sur «La jeunesse de la vieillesse» des cégeps et de sa formation générale, il y a là une intéressante et stimulante réflexion, dont il serait dommage de passer à côté. Un texte à lire lentement, donc, et à décanter – que l’on peut lire aux pages 139 à 142 du 10e numéro de Nouveau Projet.

 

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Identités victimairesPar ailleurs, les personnes qui s’intéressent à l’éthique et au politique trouveront matière à réflexion en lisant «Les identités victimaires» de Ralph Elawani – aussi publié dans ce 10e numéro de Nouveau Projet. Que penser, par exemple, du trigger warning, où des étudiants à l’université (aux États-Unis, d’abord) exigent qu’un avertissement soit émis par leurs professeurs lorsqu’un contenu de cours pourrait engendrer une réponse émotionnelle ressentie négativement par certaines personnes dans la classe ? Où est la limite, si l’on a à donner un cours sur le nihilisme, par exemple ? Est-ce que l’atomisation des revendications ne risque pas de placer sur un même pied des «bagatelles» (quoique ce n’est jamais une bagatelle pour la personne qui le ressent) et des mouvements comme «Black Lives Matter» ? Est-ce que l’atomisation des revendications ne risque pas de rendre impossibles toute lutte collective, toute préoccupation collective et sociale ? Est-ce que cela ne peut pas en venir à étouffer, voire censurer les communautés «alternatives» elles-mêmes ? Et que penser, avec ce qui était avancé dans le projet de loi 59 ? Que penser de certaines safe spaces, qui veulent assurer un lieu sans bruit, ni odeur parfumée de quelque nature que ce soit ? Est-ce qu’il n’y a pas un oubli que la démocratie, c’est aussi d’assumer que l’on peut être confronté à l’altérité ? Et puis encore, est-ce sain, d’héroïser la délation au nom de la rectitude ? Et qu’en est-il de toutes les microagressions qui peuvent être déclinées ? En bref, dans «Les identités victimaires», Ralph Elawani pose la question : «ce désir sincère de protéger les minorités et les exclus n’est-il pas en train de se transformer en mouvement de censure et d’anti-intellectualisme ?» Il s’agit là d’un sujet complexe et délicat, où au travers divers cas de figure l’auteur soulève des considérations et des questions importantes – dans un commentaire que l’on peut lire aux pages 148 à 151 du 10e numéro de Nouveau Projet.

 

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Montréal 375 NPEnfin, puisque 2017 marquera aussi le 375e anniversaire de la fondation de Montréal, ce 10e numéro de Nouveau Projet contient un riche dossier de plus de 50 pages sur le passé, le présent et l’avenir de cette métropole québécoise. Incluant un bel essais d’Olivier Choinière sur le quartier Parc-extension et l’immigration ; incluant dans la catégorie «Grands essais» un texte republié de Gabrielle Roy ; incluant une carte du Montréal littéraire ; incluant un reportage d’Emmanuelle Walter sur la montréalisation du migrant français ; et plus, encore.

 

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Un numéro à lire !