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Décès de Gilles-Gaston Granger (2016)

Le 24 août 2016 est décédé à l`âge de 96 ans, le philosophe et épistémologue français Gilles-Gaston Granger. Ses obsèques par crémation se sont  déroulées au cimetière du Père-Lachaise à Paris, mardi le 30 août à 11h30.

Ancien élève de l’École normale supérieure, rue d`Ulm à Paris, où il a soutenu son DES sous la direction du philosophe français Gaston Bachelard (1884-1962). Il fut aussi l`élève du philosophe et logicien français Jean Cavaillès (1903-1944). Il est agrégé de philosophie, licencié en sciences mathématiques et docteur ès Lettres.

Il a envisagé les sciences humaines, les problèmes du langage et la question du statut de la philosophie sous un angle épistémologique. Spécialiste de Wittgenstein, dont il a traduit le Tractatus logico-philosophicus, croyant en la force de la raison, il était l’un des plus rigoureux analystes des méthodes des sciences.

Il a effectué de nombreuses missions internationales pour l’enseignement, dont une à l’Université de Sherbrooke, au Québec, en 1971. Ses travaux épistémologiques ont inspiré le comité chargé d’étudier la possibilité d’implanter de nouvelles disciplines à ce même établissement universitaire  dans le domaine des sciences humaines.

Il est considéré comme un des plus importants épistémologues du XXe siècle. Il fut également président d’honneur des Archives Jules Vuillemin.

Repères biographiques

 

 Il naît le 28 janvier 1920 à Paris. Son père est charpentier. Il a une fille Pascale Vigier Granger.

Durant la Seconde Guerre mondiale, il s’engage dans la résistance. Dans le maquis de la Creuse, il porte le prénom de « Gilles », prénom qu’il garde après la guerre.

En 1940, il est normalien. En 1943, il est agrégé de philosophie, classé troisième, après Jules Vuillemin (1920-2001), philosophe et épistémologue français et Tran Duc Thao (1917-1993), philosophe marxiste vietnamien. De 1947 et 1951, il occupe la chaire de philosophie de l’Université de São Paulo (Brésil) et, comme maints professeurs français (Lévi-Strauss, Braudel, Gueroult, Lebrun), il noue alors de solides liens avec le Brésil où son œuvre est toujours très influente.

En 1954, il signe un article intitulé « Langue universelle et formalisation des sciences. Un fragment inédit de Condorcet », dans Revue d`histoire des sciences et de leurs applications, vol. 7, no. 3, p. 197-219. En 1955, à son retour en France,  il soutient ses deux thèses, Méthodologie économique et La Mathématique sociale du marquis de Condorcet. La même année, il publie Méthodologie économique (PUF). Il s`agit de sa thèse de doctorat d`État soutenue sous le titre : Concept, structure et loi en science économique. En 1955 également, il publie La Raison (PUF; 7e éd., 1979;  rééd., 1984). De 1955 à 1962, il est professeur à la Faculté des lettres de Rennes (Bretagne).

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En 1956, il publie sa thèse complémentaire sous le titre La Mathématique sociale du marquis de Condorcet (PUF, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine, logique et philosophie des sciences », 178 p.).  Dans cet ouvrage, il retrace les obstacles, les réussites, les difficultés de transposer une science dans un domaine nouveau. En 1957, il signe un article intitulé « Événement et structure dans les sciences de l`homme », dans Cahiers de l`I.S.E.A. (Institut de science économique appliquée).

En 1960, il publie Pensée formelle et sciences de l’homme (Paris, Aubier, coll. « Analyse et raisons », no. 2, 226 p.; nouvelle éd. augmentée d`une préface, 1967; rééd. 1975; rééd. Éd. L`Harmattan, coll. « Archives Karéline », 2010, 226 p.). Dans cet ouvrage, il analyse le rôle des formes ou structures dans la pratique scientifique. De plus, il montre que la structuration du qualitatif fonde les sciences de l`homme, dans une approche orientée vers la pratique.

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De 1962 à 1964, il dirige l`École Normale Supérieure (ENS) d’Afrique centrale à Brazzaville (Congo). De 1964 à 1986, il est professeur à l’université de Provence (Aix-en-Provence) où il  fonde le Séminaire d’Épistémologie Comparative qui donne naissance en 1995 au Centre d’épistémologie et ergologie comparatives (CEPERC). En 1968, il publie Essai d`une philosophie du style (Armand Colin, 312 p.; rééd., Odile Jacob, 1988). Dans cet ouvrage, il cherche à déterminer le rapport de forme à contenu en tant que forme de travail. En 1969, il publie Ludwig Wittgenstein (Seghers, « Philosophes de tous les temps », no 54, 185 p.), ouvrage dans lequel il présente la pensée de Wittgenstein. En 1969 aussi, il signe un article intitulé « Épistémologie économique », dans Jean Piaget (dir.), Logique et connaissance scientifique. Paris, Gallimard, Encyclopédie de La Pléiade, p. 1019-1055.

En 1972, il publie une traduction en français du Tractatus logico-philosophicus (1921) du philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein (1889-1951). En 1976, il publie La Théorie aristotélicienne de la science (Aubier, coll. « Analyse et raison », no. 22; 2e éd. revue, 2000, 382 p.). Dans cet ouvrage, il cherche à considérer la logique d`Aristote « dans l`organisation complexe des vues de celui-ci sur le savoir et en particulier, sur le savoir scientifique ». Le 6 octobre 1978, il est professeur honoris causa de l’université de Sherbrooke (Québec). En 1979, il publie Langages et épistémologie (Klincksieck). Dans cet ouvrage, il met déjà en garde contre deux erreurs symétriques possibles des sciences de l’homme : la modélisation spéculative sans pratique et le recours à l’expérience vulgaire sous prétexte que l’objet de ces sciences est l’homme individuel.

En 1986, il est élu au Collège de France pour une chaire d`épistémologie comparative. Il y sera professeur jusqu`en 1990. En 1987, un premier hommage lui est rendu avec la publication au Brésil d`un volume spécial de la revue philosophique Manuscrito, vol. X, no. 2 (octobre 1987). Ce volume est dédié à sa pensée et réalisé à l’initiative de son ancien élève Marcelo Dascal, professeur de philosophie à   l`Université de Tel Aviv (Israël). L’occasion en est la traduction et la publication en anglais du livre Pensée formelle et sciences de l’homme, livre devenu classique dans le domaine de l’épistémologie des sciences humaines. En 1988, il publie Pour la connaissance philosophique (Odile Jacob, 288 p.). La philosophie est-elle un savoir ? Y a-t-il des vérités philosophiques ? Peut-on démontrer en philosophie ? Deux tentations opposées sont ici dénoncées. L’une porte à présenter la philosophie comme une sorte de science éminente et dogmatique ; l’autre à la confondre avec l’exposé poétique et passionné de quelques états d’âme. Dans cet ouvrage, au contraire, il essaie d’établir que la philosophie, à travers sa diversité, constitue une véritable connaissance, irréductible à celle que fournit la science et n’y suppléant en aucun cas : une connaissance capable de rigueur, quoique non démonstrative, une connaissance paradoxalement sans objets.

En 1992, il publie La vérification (Odile Jacob, 314 p.). Dans cet ouvrage, le concept de vérification est la clé de toute œuvre scientifique et le fil conducteur qu`il a choisi de se donner pour explorer les fondements de la prétention des sciences à nous faire connaître une réalité. En 1992 aussi, il signe un article intitulé « À quoi sert l`épistémologie ? », dans Droit et société, vol. 20, p. 39-44. Ce texte est la rédaction résumée d`un  exposé fait à l`Institut Internationale de Sociologie Juridique (IISL) d`Onati (Espagne), le 17 avril 1990. En 1994, il publie Formes, opérations, objets (Vrin, 402 p.). Dans cet ouvrage, la plupart des textes concernent la question centrale du rôle et des modes d`intervention de la « pensée formelle » dans la connaissance scientifique. En 1995, il publie Le probable, le possible et le virtuel (Odile Jacob). Dans cet ouvrage, analysant la construction de l’objet scientifique et le rapport du non-actuel avec l’expérience, il y poursuit son exploration de la rationalité moderne. En 1995 également, un deuxième hommage a lieu en France, sous la forme d’un recueil de textes organisés sous la responsabilité de deux de ses anciennes élèves, soit les professeures Joëlle Proust et Élisabeth Schwartz. Le thème général proposé reprend le titre même du livre de Granger : Pour une connaissance philosophique (Odile Jacob). Le recueil est paru en tant que livre sous le titre   La connaissance philosophique : Essais sur l`œuvre de Gilles-Gaston Granger (PUF). En 1996, il signe un article intitulé « Jean Cavaillès et l`histoire », dans Revue d`histoire des sciences, vol. 49, no. 4, p. 569-582. En 1998, il publie L`irrationnel (Éd. Odile Jacob, 286 p.). Dans cet ouvrage, il considère le rôle et le sens de l`irrationnel dans certaines œuvres humaines, dans certaines créations majeures de l`esprit humain, et tout particulièrement dans les œuvres de la science. En 1999, il publie La Pensée de l`espace (Odile Jacob, 238 p.). Dans cet ouvrage, il aborde la question suivante : comment la géométrie nous permet-elle de passer de l’intuition des choses dans l’espace à la pensée de l’espace ? Ainsi, à travers une réflexion épistémologique et historique sur l’étude mathématique de l’espace, il procède à la genèse des catégories de la spatialité – Forme, Texture, Repérage, Mesure – constituantes de tout objet géométrique naturel.

En 2001, il publie Sciences et réalité (Odile Jacob, 264 p.). Les sciences font-elles découvrir la réalité des choses ? Ou bien construisent-elles le monde de toutes pièces ? Poursuivant son étude de la rationalité scientifique, il aborde de front ces questions qui sont au coeur du débat soulevé par la critique post-moderne. En analysant ce qui se passe en logique, en mathématiques, en physique et en économie, il se demande si la réalité scientifique n’était qu’un mode d’accès à un certain type d’objets, bel et bien réels ? En 2000, il est professeur invité au Conservatoire national des arts et métiers. En 2004, il signe un article intitulé « La spécificité des actes humains », dans Espaces Temps, vol. 84, no.1, p. 51-61. Il s`agit d`un numéro thématique qui a pour thème « L`opération épistémologique. Réfléchir les sciences sociales ». En 2007, un troisième hommage a lieu au Brésil, à l`Université de Campinas (État de São Paulo). Un colloque de trois jours est organisé autour du thème «« Alguns aspectos do pensamento formal – Homenagem a G.-G. Granger » (Quelques aspects de la pensée formelle – Hommage à G.-G. Granger). En 2008, deux Journées sont organisées sur sa pensée, en collaboration avec Arley R. Moreno, professeur de philosophie retraité de l`Université de Campinas. D`abord, le 23 janvier à la Maison de Sciences de l`Homme. Puis, le 24 janvier, à l`École Normale Supérieure, rue d`Ulm. L`événement donne naissance, en 2010, à la publication suivante : Antonia Soulez et Arly R. Moreno (dir.). La Pensée de Gilles-Gaston Granger. (Éd. Hermann). Pour présenter cette pensée aux multiples facettes, différentes contributions de philosophes, scientifiques et musiciens sont réunies dans cette publication : Guilherme Carvalho, Philippe Lacour, Arley R. Moreno, Michel Paty, Joëlle Proust, Antoine Ruscio, Hourya Sinaceur, Norma Claudia Yunez Naude, Anne Sedès, Antonia Soulez, Horacio Vaggione. Presque tous les thèmes de la pensée formelle de Gilles-Gaston Granger sont abordés dans ce même volume : le rôle de la pensée formelle et ses liens avec le symbolisme dans les sciences, les sciences humaines et la philosophie ; le style et la pensée de la création dans la science comme en art ; la manière dont se présente, notamment dans la musique, l’opératoire dans la constitution de systèmes d`objets.

Parmi ses nombreux articles publiés, signalons entre-autres :

« Estilo e objetividade nas ciências físicas », Cadernos de historia e filosofia da ciência, série 3, vol. 5, n° especial, 1995, p. 17-33.

« Jean Cavaillés et l’histoire », Revue d’histoire des sciences, no. 49-4, 1996, p. 569-582.

« Objets, actions, langages », in M. Astroh, D. Gehrardus, G. Heinzmann, Dialogisches Handeln, Heidelberg, Spektrum, 1997, p. 33-41.

« Analyse des œuvres, analyse d’idées » (mai 1991), in Philosophie analytique et tradition, Vrin, 1997, p. 121-125.

« Vérités mathématiques, vérités empiriques » in R. Quillot (dir.), La Vérité, Ellipses, 1997, p. 144-149.

« Le problème du fondement selon Tarski » in F. Nef & D. Vernant (dir.), Le formalisme en question, Vrin, 1998, p. 37-47.

« La normativité scientifique », in N. Ramognino & G. Houle (éds), Sociologie et normativité scientifique, 1999, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, p. 20-25.

« L’âge de la science », Sciences et avenir, novembre 1999.

« La doctrine de la science chez Aristote », in R. Rashed & J. Biard (éds), Les doctrines de la science de l’Antiquité à l’Age classique, Peeters, 1999, p. 1-8.

« Le double sens de la notion d’invariance », in F. Beets & E. Gillet (éds), Mélanges offerts à P. Gochet, Bruxelles, Ousia, 2000, p. 302-311.

« La finalité aristotélicienne », Sciences et avenir, septembre. 2000.

« Le lieu » (Centre Pompidou, sept. 1999), in Quelle philosophie pour le XXIe siècle, Gallimard, 2001, p. 183-198.

« Découverte et expérience de pensée », Sciences et avenir, mars 2001.

« Déterminisme et nécessité », in Philosophes en liberté, 2001, p. 9-23.

« Il est possible de constituer une science des faits humains », in J.-P. Droit, La compagnie des contemporains, 2002, p. 111-117.