Étudiante en Sciences, lettres et arts au Cégep de Trois-Rivières, récipiendaire du Prix 2021 au Concours d'écriture sur les Femmes Philosophes (Prix 2021)

NDLR : Nous publions ci-dessous le texte d’Amélia St-Louis, récipiendaire du 2e Prix au concours d’écriture Femmes Philosophes 2021 qui s’est déroulé dans le cadre de la 9eSemaine de la philosophie. Nous remercions René Villemure, Éthicien, pour son soutien à ce concours. Toutes nos félicitations à Amélia St-Louis !


Les dentellières

 

« Si le féminisme a été un progrès incontestable de la condition féminine, il y a eu des effets pervers qui plongent la femme dans une situation historiquement inédite. La société lui inflige le défi quotidien d’être la femme parfaite, l’épouse parfaite, la mère parfaite, la salariée parfaite, le corps parfait. Rien ne lui est pardonné, tout lui est demandé et reproché. »

– Éliette Abécassis

 

La condition féminine, c’est-à-dire la position des femmes dans l’organisation sociale, est un sujet qu’Éliette Abécassis aborde avec passion. Scénariste, femme de lettres et réalisatrice, Abécassis, dans son livre Le Corset invisible, dénonce les injustices et pressions que subissent les femmes. Elle pointe du doigt les lacunes de notre société qui ont d’immenses répercussions sur la vie de celles-ci. Elle ose dire tout haut ce que toutes pensent tout bas.

 

Le masculin l’emporte sur le féminin. On appelle « elles » un groupe de cent femmes. Toutefois, à l’instant où un homme s’y joint, il devient obligatoire de les nommer « ils ». Il s’agit d’une des premières règles que les filles, tout comme les garçons, apprennent dès l’entrée à l’école. En d’autres termes, on inculque aux enfants que les hommes sont supérieurs aux femmes, et ce, au début de leur phase d’apprentissage. Comment pense-t-on être en mesure de dire aux femmes qu’elles sont libres dans une société où la misogynie est ancrée jusque dans ses plus profondes racines? La vérité est que les femmes n’en feront jamais assez. Elles ne seront simplement jamais à la hauteur, car, selon nos lois grammaticales, un seul homme vaut plus que l’ensemble des quasi 4 milliards de femmes qui occupent cette planète. Les quelques courageuses qui osent marcher la tête haute sont rapidement descendues de leur nuage de rébellion, tombant souvent plus bas qu’elles étaient au départ. D’une sourde oreille, on leur fait croire qu’elles sont libres de parler, de penser. Pendant ce temps, chacun de leurs mouvements est analysé. On leur impose de franchir la frontière séparant le possible et le surhumain. Comment réussissent-elles à prendre leur place et à demeurer au piédestal où se retrouvent les hommes? La réponse est fort simple: elles n’y arrivent pas. Que font-elles alors? Elles cèdent et participent aux attentes et désirs destructeurs des hommes. Elles font tout ce qui est en leur pouvoir afin d’atteindre l’excellence exigée par ceux-ci. Il s’agit de l’ultime espoir alimentant leur secret désir de liberté et d’égalité qu’elles possèdent.

 

Ainsi, les femmes sont telles des dentellières; elles fignolent avec minutie un impeccable réseau de caractéristiques et comportements, particulièrement sélectionnés pour satisfaire le sexe opposé. Chaque fil, chaque nœud, chaque motif nécessite la perfection. Leur complexe labeur est observé, critiqué, jugé. Un seul faux geste, tous remarquent l’erreur. Les hommes, sans même pouvoir s’imaginer la difficulté de la tâche qu’ils leur imposent, profitent de leur domination immorale et s’entrelacent dans ce fragile produit. À la merci de ceux qu’elles ont engendrés, les dentellières travaillent silencieusement, discrètement. Chacun des innombrables fuseaux qu’elles doivent diriger simultanément demande un effort constant, voire permanent. Elles n’ont d’autre choix que d’y concentrer la totalité de leur énergie. Ainsi, la quête de la perfection empêche les femmes de se révolter et de prendre la place qui leur est due dans ce monde.