Sciences humaines, no. 189 (janvier 2008), 82 p. [10.50$]
Dossier « Géographie des idées. Les nouveaux pôles du savoir »
Le dossier de 30 pages qui comprend 11 articles est coordonné par Martine Fournier, rédactrice en chef. On y cherche à savoir comment naissent, circulent et se diffusent les idées de par le monde. Dans le premier article, Jean-François Dortier, dressant la carte du savoir, postule « qu`il y a eu dans l`histoire un lien étroit entre la vie des idées et les grands foyers de croissance économique » (p.30). S`intéressant aux routes de l`intelligence, Xavier de la Vega rappelle qu`un tiers des chercheurs et ingénieurs formés dans les pays du Sud travaillent dans les pays du Nord. Concernant ce phénomène, il mentionne que « La mobilité des hommes est de tout temps allée de pair avec l`activité scientifique. Celle-ci repose en effet sur le partage des méthodes d`investigation et d`expérimentation, ce qui implique pour les chercheurs des séjours prolongés au sein des » lieux à haute densité de savoir « , là où sont élaborées les normes de la pratique scientifique » (p.39). Catherine Halpern s`intéresse, elle, au débat qui divise aujourd`hui les sinologues (ici François Jullien et Jean-François Billeter) à propos de ce qui sépare la philosophie occidentale et la pensée chinoise. Billeter reprochant à Jullien de promouvoir « le mythe de l`altérité de la Chine ».
Pierrick Fillon-Ashida se demande si l`Asie deviendra la nouvelle usine à cerveau de la planète. Pour lui, l`Asie, déjà considérée comme le nouvel atelier du monde, s`annonce bel et bien à terme comme le nouveau laboratoire planétaire. Pour preuve, « Avec un rythme de progression de 25% par an, le nombre d`étudiants chinois est appelé à passer de 2,7 millions en 2005 à plus de 5 millions en 2009. Le nombre de chercheurs a pratiquement doublé entre 1996 et 2004 (contre 20% d`augmentation en Europe), dépassant le Japon et atteignant un million de postes aujourd`hui. Plus déterminant encore, plus de 60% des universitaires chinois étudient dans les domaines scientifiques, cruciaux pour l`innovation technologique » (p.42). Nicolas Journet signale que les révisions critiques de l`histoire universelle (lire occidentale) sont portées pour l`essentiel par des intellectuels issus d`ex-pays colonisés : Cheikh Anta Diop (linguiste sénégalais), Théophile Obenga (historien congolais), Ivan Van Sertima (anthropologue guyanais), Molefi Kete Asante (philosophe, professeur à Temple University, à Philadelphie)), Ranajit Guha (historien indien), Gayatri Chakravorty Spivak (femme de lettres indienne). Xavier de la Vega consacre un second article au Massachusetts Institute of Technology (MIT), lieu phare de la recherche en économie. Il rappelle dans son article la contestation dont le MIT a été l`objet: Cambridge/Royaume-Uni, Cepal, École de Chicago.
Jeanne Diot se penche sur le choc des classements internationaux en éducation, suite à l`étude internationale lancée par l`OCDE en 2000, nommée PISA (Program for international student assesment). Le deuxième article de Catherine Halpern porte sur les genders studies (étude sur le genre) qui ont aujourd`hui le vent en poupe en France et donnent un nouveau souffle aux études sur les femmes (women`s studies). Sur la reconnaissance institutionnelle, Halpern souligne que « Bien implantées aux Etats-Unis, les études sur les femmes et le genre restent encore relativement marginales en France malgré un intérêt soutenu du public sur ces questions, notamment dans les milieux éducatifs » (p.53). Pour sa part, Xavier Molénat traite des circuits de la pensée à travers le marché de la traduction d`ouvrages, notamment en sciences humaines et sociales. En référence à l`enquête menée par la sociologue Gisèle Sapiro, on y apprend que « les traductions de l`anglais dominent largement. Elles représentent plus de la moitié du total des traductions. Viennent ensuite l`allemand (25%), l`italien (10%) et l`espagnol (moins de 5%). Les autres langues ne dépassent pas 3%. Les traductions de l`anglais ont cependant moins progressé que les autres. […] Les pays du Sud, en particulier les pays africains, sont quasiment exclus de la circulation internationale des livres, qui est en revanche particulièrement intense entre les États-Unis et les pays du Nord-Ouest de l`Europe » (p.54).
Le dossier s`achève sur un tableau présentant quelques stars de la pensée mondiale (Axel Honneth, Antonio Negri, Joseph Stiglitz, Peter Sloterdijk et d`autres). Outre ce dossier, le numéro comprend également une rubrique « Références » ayant pour titre « Le retour de Spinoza » (p.58-63). On y trouve quatre articles consacrés au philosophe hollandais.
Info. : http://www.scienceshumaines.com
Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.