NDLR : nous reproduisons ici, avec autorisation, le Projet de fin d’études (PFÉ) de Pierre-Luc Baril, étudiant maintenant fraîchement diplômé de notre programme en Histoire et civilisation. On peut aussi lire ce PFÉ en format .pdf (61 pages).
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Cégep de Trois-Rivières
Projet final d’évaluation
La Crise d’Octobre et la Loi sur les Mesures de guerre
Par Pierre-Luc Baril
Dans le cadre du cours Intégration
330-404-RI
Hiver 2015
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Table des matières
Résumé.
Abstract.
Introduction.
Chapitre 1 : La problématique.
- 1.1 Formulation de la problématique
- 1.2 Formulation de la thèse et de la méthodologie
Chapitre 2 : L’évènement et son contexte historique.
- 2.1 La Crise d’octobre 1970
- 2.2 La Révolution tranquille et la décennie 1960
- 2.3 Interprétation et signification de l’évènement
- 2.4 Synthèse
Chapitre 3 : Présentation du corpus.
- 3.1 Les Ordres de Michel Brault
- 3.2 L’œuvre et son contexte historique
- 3.3 Synthèse
Chapitre 4 : Analyse de l’évènement.
- Analyses théoriques
Perspective Dumont-Aquin.
Perspective Felquiste-Sartre.
Perspective Trudeau-Weber.
Perspective Lacoursière-Arendt
- Synthèse
Conclusion.
Bibliographie.
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Résumé
Cet essai traite de la Crise d’octobre 1970 au Québec et de l’application de la Loi sur les mesures de guerre. L’étude portera essentiellement sur la légitimité du gouvernement Trudeau et sur les réels objectifs derrière son application des mesures de guerre. La Crise d’octobre représente une période trouble dans l’Histoire du Québec dont les traces sont encore visibles aujourd’hui. Cette analyse dirigée vers le gouvernement canadien permettra d’obtenir une autre vision de la Crise comparativement à la plupart des réflexions sur le sujet qui s’interrogent majoritairement sur le Front de Libération du Québec. Suite à l’étude du contexte historique, soit la Révolution tranquille, du corpus artistique, le film Les Ordres de Michel Brault, et des réflexions faites par les témoins de l’époque et les chercheurs d’aujourd’hui, nous en viendrons à la conclusion que le gouvernement Trudeau a fait usage de la violence politique afin de briser le mouvement de contestation de plus en plus fort au Québec depuis les années soixante. Cette thèse se base sur les revendications populaires reprises par le FLQ, le processus de légitimation de l’État canadien et l’origine de la Crise pour en faire l’analyse.
Abstract
This essay is about the October crisis of 1970 and the enforcement of the War measures Act. This study will essentially be about the legitimacy of the Trudeau government and the real goals behind the enforcement of the War measures. The October Crisis represents troubled times in Quebec’s history whose traces are still visible today. This analysis headed to the Canadian government will give another vision of the Crisis comparatively to most of other reflexions on the subject who questions principally the Quebec Liberation Front. Following the study of the historical context, therefore the Quiet Revolution, of the artistic body, the movie «Les Ordres» by Michel Brault, and the reflexions made by the witnesses of the time and the researchers of today, we will come to the conclusion that the Trudeau government used political violence in order to break the protest movements that had become stronger and stronger in Quebec since 1960. This thesis is based on the popular claims taken over by the QLF, the process of legitimating the Canadian government and the origin of the Crisis in order to make the analysis.
La Crise d’octobre est un moment clef de l’histoire du Québec. Elle constitue une période d’agitation ayant eu des répercussions profondes sur la société québécoise. L’usage de la Loi des mesures de guerre, en particulier, durant cette crise soulève de nombreux questionnements sur la légitimité de l’État. L’étude de cette période ne représente donc pas uniquement l’étude de la tentative révolutionnaire menée par le Front de Libération du Québec, mais également une analyse sur la réaction de la société, mais surtout de l’État, face à elle. L’intérêt est encore plus grand lorsque l’on constate que l’on parle très peu aujourd’hui des Évènements d’octobre et, lorsqu’on en parle, la discussion est souvent accompagnée d’un malaise quant à la position à adopter face au sujet. Le présent essai aura donc pour objectif de démêler les différentes perspectives possibles face à la Crise et surtout d’en faire ressortir le rôle de l’État et des mesures de guerre.
Dans le but d’atteindre cet objectif, nous tenterons de regrouper les différentes réflexions et théories sur la Crise en quatre « écoles de pensée ». Notre conclusion proviendra de l’analyse et de la comparaison de ces quatre perspectives. Pour arriver à former ces visions de la Crise, nous ferons appel à divers témoins de l’époque tels William Tetley, Francis Simard, Louis Fournier, Pierre-Elliott Trudeau, Fernand Dumont et autres. Afin d’étoffer notre propos et d’offrir un autre aperçu de l’évènement, nous utiliserons entre autres les travaux d’intellectuels d’aujourd’hui tel Jean-Philippe Warren, Bernard Dagenais, Jacques Castonguay, Guy Bouthilier, Jacques Lacoursière. Les concepts de violence politiques, de révolution, de répression d’État, d’inégalités sociales et de légitimité de l’État seront au cœur même de l’analyse. Cet essai permettra donc d’établir un lien entre la perception de la Crise à l’époque et celle que nous en avons aujourd’hui, toujours en fournissant des visions différentes d’une période de trouble vécue par plusieurs acteurs. Il sera alors possible d’analyser ces évènements sous l’angle de l’État plutôt qu’uniquement sous l’angle du Front de Libération du Québec.
En somme, l’analyse se divisera en quatre parties : La problématique, le contexte historique, le corpus artistique et l’analyse. La première établira la problématique et les bases de notre thèse. La seconde permettra de comprendre les périodes historiques avant, durant et après la Crise. La troisième fournira la pertinence du sujet en montrant sa personnification artistique après l’évènement. Finalement, la quatrième partie nous permettra de mettre au jour les différentes perspectives possibles face à la Crise et d’en faire ressortir la justification de notre thèse.
Chapitre 1 : La problématique
La Crise d’octobre représente un tournant majeur dans l’histoire du Québec. L’espace de trois mois, la société québécoise sera complètement interpellée par l’enlèvement de deux personnalités politiques, puis l’assassinat de l’une d’elles, par le Front de libération du Québec. C’est toute une génération qui sera marquée par le climat de suspicion et de tension causé par la Loi des mesures de guerre. Suspension des droits civils, arrestations arbitraires et perquisitions sont relatées par les journaux de l’époque tandis que le Front de Libération du Québec mène un combat dont la conduite n’a jamais été appliquée au Québec.
Il s’agit ici de séparer l’évènement en deux volets : la tentative de révolution initiée par les felquistes et l’application de la Loi sur les mesures de guerre par le gouvernement Trudeau. La principale période d’analyse sera donc celle de la Crise elle-même, soit du 5 octobre 1970 au 28 décembre 1970. Par la suite, l’analyse couvrira la Révolution tranquille au Québec durant la décennie 1960 avant de s’attarder en partie sur la décennie suivante, c’est-à-dire les premières années de 1970. La couverture de ces périodes permettra d’extraire les causes de la Crise de la même manière que ses répercussions. Il sera donc possible d’étayer les deux volets du sujet en mettant en évidence chacun des éléments les composant.
L’un des points caractéristiques des Évènements d’octobre 1970 est la difficulté pour les témoins de l’époque et les observateurs d’aujourd’hui de prendre position face à cette crise. La violence est-elle légitime ? Si oui, dans quel cas ? L’État peut-il faire usage de la violence ? Le meurtre peut-il être justifié dans la poursuite d’un objectif collectif ? La politique peut-elle seconder un mouvement révolutionnaire sans en admettre la violence ? La démocratie réussi-t-elle réellement à provoquer des changements ? Ces questions ne forment qu’une infime partie du débat complexe qu’engendre l’étude de la Crise.
Parmi toutes ces questions, quelques-unes retiendrons davantage notre attention pour l’analyse. D’abord, il est possible de se demander pourquoi le Québec connait une Crise ? C’est une réflexion complète qui peut s’articuler autour de cette seule question afin de comprendre pourquoi le Québec en est venu à un tel bouleversement. Ensuite, derrière l’explication de la Crise elle-même, il y a la question de son déroulement en soi. La Crise aurait pu se dérouler de cinquante façons différentes, mais il aura fallu qu’il y ait deux otages, un mort et l’occupation partielle du Québec par l’armée canadienne. La question se pose alors de comprendre de quelle façon les principaux protagonistes de l’évènement ont sus agir pour mettre fin à la Crise. Dans le même ordre d’idées, la légitimité des forces en présence est à analyser. C’est-à-dire que le conflit implique un groupe révolutionnaire, une population et deux paliers de gouvernements. La question persiste à savoir à quelle limite chacun des acteurs peut se rendre et de quelle façon il compte interagir les éléments du conflit. Ces questions feront partie intégrante de la présente analyse où l’origine de la Crise, la légitimité de l’État, l’objectif visé par les belligérants et les impacts des méthodes pour y parvenir seront étudiés.
La compréhension d’un évènement comme celui-ci nécessite d’envisager plusieurs angles d’analyse. Dans un premier temps, comprendre la Crise et son origine nous obligera à faire appel aux théories du sociologue Fernand Dumont et à la pensée d’Hubert Aquin. Ils présenteront la manière dont l’inachèvement de la Révolution tranquille et son mauvais développement auront contribués aux Évènements d’octobre. Dans un second temps, nous ferons appel à Francis Simard et à Jean-Paul Sartre pour expliquer la position et l’objectif mené par le Front de Libération du Québec. Il va de soi que leurs réflexions viendront justifier les moyens employés par le FLQ de même que ses revendications face à la classe ouvrière et à l’indépendance du Québec. De la même façon, Max Weber, sociologue allemand, viendra rendre compte du processus de légitimation du gouvernement fédéral durant la Crise. Il viendra donc justifier l’application de la Loi sur les Mesures de guerre par Pierre-Eliott Trudeau et son gouvernement. Dans un troisième temps, nous utiliserons les propos de Jacques Lacoursière et d’Hannah Arendt pour expliquer l’abus que constitue la Loi sur les mesures de guerre. Cette idée sera soutenue par Bernard Dagenais dont la réflexion permettra de comprendre ce que cache le processus de légitimation de l’État.
Cette analyse sera imagée par un film de l’époque, Les Ordres de Michel Brault. Réalisé en 1974, le film relate le parcours de cinq individus arrêtés suite à l’application de la Loi sur les mesures de guerre. Ce récit fictif est cependant basé sur le recensement de cinquante témoignages de véritables personnes détenues pendant la Crise. Le film de Brault représente une démonstration claire de la répression politique faite par le gouvernement canadien durant la Crise. C’est justement l’objectif du film qui a suscité le choix de l’utiliser pour confirmer notre propos. Il s’avère que la thèse défendu par Brault illustre nettement la thèse que nous tenterons d’établir dans cet essai. C’est pourquoi Les Ordres sera notre corpus artistique pour l’analyse.
Le précédent point quant au corpus évoque clairement notre position. Nous tenterons à l’aide de cet essai de démontrer que le gouvernement Trudeau à fait usage de la violence politique envers la population québécoise de façon très opportuniste en adoptant le Règlement sur la Loi des mesures de guerre lors de la Crise d’octobre 1970 dans un objectif précis.
Dans le but d’établir une position et un argumentaire solide, nous analyserons les facettes majeures de la Crise en dressant un portrait des causes de la Crise, des objectifs revendiqués par chacun des acteurs et du développement de la Crise. Après avoir dressé le contexte historique de l’évènement, nous effectuerons l’analyse du corpus avant de se lancer dans l’interprétation des résultats selon les différents penseurs nommés ci-haut. Afin de faciliter la lecture et la compréhension, nous regrouperons en quatre perspectives les différentes visions et interprétations de la Crise. Nous procéderons donc premièrement sous une forme d’analyse de chaque perspective avant de mettre certaines d’entre elles en comparaison.
Nous croyons donc qu’il sera possible d’étayer notre thèse grâce l’analyse du contexte historique et la comparaison entre les théories des différents penseurs et témoins de la Crise. De cette façon, nous pourrons confirmer l’idée que le gouvernement Trudeau à bel et bien fait preuve d’opportunisme en usant de la violence politique pour briser les mouvements indépendantistes, dissidents et contestataires au Québec à la suite de la Révolution tranquille.
Chapitre 2 : L’évènement et son contexte historique
- 2.1 La Crise d’octobre 1970[1]
Le 5 octobre 1970, James Richard Cross, attaché commercial britannique, est enlevé par les membres de la cellule Libération du Front de Libération du Québec(FLQ) dans son domicile de la rue Redpath Crescent à Montréal. La cellule en question est composée de Louise Lanctôt, Jacques Cossette Trudel, Marc Carbonneau, Jacques Lanctôt et Pierre Séguin. Le jour même, la cellule Libération envoie un communiqué à la station CKAC à Montréal afin de faire valoir ses exigences : 1) la publication du manifeste du FLQ; 2) la libération de vingt-trois prisonniers politiques; 3) la disponibilité d’un avion à destination de Cuba ou l’Algérie; 4) la réembauche des travailleurs de Lapalme; 5) 500 000 dollars en lingots d’or; 6) le nom du felquiste ayant dénoncé à la police une cellule du FLQ; 7) l’arrêt des tentatives de retrouver les kidnappeurs de Cross. Dans les heures, voir le jour, qui suivent, tout un chacun allant du maire Jean Drapeau à l’éditorialiste Claude Ryan se positionne sur l’attitude à adopter face à l’enlèvement.
Le 6 octobre s’écoule avec la rencontre du cabinet du Premier ministre Bourassa, où il est décidé que les gouvernements provincial et fédéral s’attaqueront ensemble à la Crise.
Le 7 octobre, c’est le début de l’opération Night Hawk pendant laquelle les Forces armées canadiennes sécuriseront le camp Bouchard, où sont entreposés des explosifs et des munitions. De son côté, le Premier ministre Trudeau annonce « qu’une minorité ne saurait imposer, par la violence, ses volontés à la majorité » tandis que Robert Bourassa achève sa mission économique aux États-Unis. Le même jour, les médecins spécialistes entrent en grève générale, ajoutant à l’instabilité politique ambiante.
Le 8 octobre, le manifeste du FLQ est lu sur les ondes de Radio-Canada afin de gagner du temps. La veille, il avait été lu à CKAC par le journaliste Louis Fournier.
Le 10 octobre, le ministre de la Justice Jérôme Choquette prépare une proposition pour la cellule Chénier. En conférence de presse à 17h30, le Québec apprend qu’en échange de la libération de Cross, le gouvernement est prêt à donner un sauf-conduit vers n’importe quel pays aux ravisseurs et à libérer de façon conditionnelle certains prisonniers politiques. Dans le même laps de temps, la cellule Chénier, composée des frères Paul et Jacques Rose, Francis Simard et Bernard Lortie, enlève le ministre Pierre Laporte à son domicile[2].
Le 11 octobre, alors que le cabinet Bourassa dans son ensemble assiste à une réunion portant sur la crise, Julien Chouinard, secrétaire général du cabinet québécois, s’entretient avec Gordon Robertson, greffier du Conseil privé d’Ottawa, afin de lui communiquer la difficulté pour les autorités du Québec de garder prisonnier les présumés felquistes arrêtés depuis le 5 octobre. Durant la journée, Pierre Laporte écrit à Robert Bourassa, l’enjoignant de libérer les détenus felquistes en échange de sa libération.
Le 12 octobre, l’armée reçoit ordre de patrouiller dans la région d’Ottawa. Le soir même, l’avocat Robert Demers est chargé par le cabinet Bourassa d’entrer en contact avec le FLQ et de négocier avec eux, voire de gagner du temps. La cause felquiste commence à gagner un appui favorable dans l’opinion publique tandis que le procureur général de la ville de Montréal rédige une ébauche de la possible utilisation des Règlements sur la loi des mesures de guerre.
Le 13 octobre, le Premier ministre Trudeau affirme publiquement que « la société doit user de tous les outils à sa disposition pour se défendre contre l’émergence d’un pouvoir parallèle qui défie le pouvoir élu dans ce pays ». Il y a rencontre entre Robert Demers et Robert Lemieux, mandaté par le FLQ, où le gouvernement du Québec offre un sauf-conduit et la libération conditionnelle de cinq détenus. L’activisme de Lemieux rend difficile la négociation qui aboutit à un refus.
Le 14 octobre, les négociations reprennent dans les mêmes termes et sont rompues à nouveau. En soirée, à 21h précisément, se tient la conférence de presse des seize « éminentes personnalités » dirigé par René Lévesque qui ouvre la conférence en disant : « Le Québec n’a plus de gouvernement ». Les seize personnalités proposent en fait de négocier avec le FLQ à un moment où le gouvernement Bourassa semble s’effacer complètement devant le gouvernement Trudeau.
Le 15 octobre, devant l’Assemblée nationale, Robert Bourassa annonce que le gouvernement du Québec a fait appel à l’armée. En soirée, le gouvernement lance un ultimatum de six heures aux felquistes, maintenant son offre, mais ajoutant qu’elle est définitive.
Le 16 octobre, suite à la réception d’une lettre signée par Robert Bourassa demandant des « pouvoirs d’urgence », les membres du gouvernement Trudeau adoptent les Règlements en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, vers 3h15. À 4h, la Loi entre en vigueur, le FLQ devient un mouvement illégal. La veille, le 15 octobre, l’opération Essay avait déjà été lancée afin d’occuper les zones sensibles du territoire québécois.
Le 17 octobre, la station CKAC est informée, par la cellule Chénier, de l’exécution de Pierre Laporte. Tel qu’indiquer, le corps du ministre est découvert dans le coffre d’un Chevrolet vert près de l’aéroport de Saint-Hubert.
Le lendemain, 18 octobre, alors que les voix s’élèvent pour demander la reprise des négociations entre le gouvernement et le FLQ, 307 personnes sont détenues après avoir été arrêtés dans les trois derniers jours en vertu de la Loi sur les mesures de guerre.
Le 19 octobre, le ministre Choquette reçoit le rapport du coroner sur la mort de Laporte : la mort est survenue par strangulation. L’objet du meurtre est une chaine retrouvée sur Laporte. Le 20 octobre, l’église Notre-Dame de Montréal accueille les funérailles du défunt ministre.
Le 26 octobre, le ministre Choquette reconnait au nom du gouvernement la légitimité du Comité d’aide aux détenus qui doit assurer les liens entre les prisonniers et leur famille, aider les familles des détenus et veiller à la réputation des prisonniers jusqu’à preuve du contraire, notamment auprès des employeurs. À partir de ce moment, les détenus ont pour la première fois accès à un avocat. Tandis que s’étire la Crise, l’attention s’oriente vers la présence de l’armée et la Loi des mesures de guerre. Lévesque parle d’occupation du Québec alors que Trudeau prétend que le retrait de l’armée ne nécessite qu’une demande en ce sens du Québec.
Le 2 novembre, la Loi sur les mesures de guerre est modifiée. Jugé préjudiciable par plusieurs, elle sera en vigueur jusqu’au 30 avril 1971 avant d’être remplacée par une loi fixant l’arrestation arbitraire sans mandat à trois jours, pouvant être allongés à sept jours avec l’appui du coroner. L’appartenance et/ou la liaison au FLQ est un acte criminel pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison. Le même jour, le gouvernement du Québec et celui du Canada offre une prime de 150 000 dollars pour toutes informations pouvant amener à la libération de Cross.
Le 5 novembre, Carole de Vault, ancienne membre du FLQ et du Parti Québécois, devient informatrice pour le gouvernement. Le lendemain, 6 novembre, Bernard Lortie, membre de la cellule Chénier, est arrêté dans un appartement près de l’université de Montréal. Les autres membres de la cellule ne sont pas découverts. On apprendra plus tard qu’ils étaient cachés derrière l’un des murs du logement.
Le 3 décembre, l’endroit où Cross est emprisonné est découvert. Le diplomate, en bon état, est libéré en échange de l’exil vers Cuba des membres de la cellule Libération.
Le 12 décembre, on note quelques 450 personnes arrêtées sous les mesures de guerre. Selon Jacques Hébert, président du comité d’aide aux détenus, seul un petit nombre de prisonniers auraient été traités de façon incorrecte. Le 14 décembre, le gouvernement du Québec annonce une législation visant à indemniser les gens emprisonnés sous la Loi sur les mesures de guerre.
Les 27 et 28 décembre, les membres restants de la cellule Chénier sont retrouvés, soit Paul et Jacques Rose ainsi que Francis Simard. Après plusieurs heures de négociations, ils finiront par se rendre. La Crise est officiellement terminée, malgré le maintien des mesures de guerre jusqu’au 30 avril 1971.
· 2.2 La Révolution tranquille et la décennie 1960
La Crise d’octobre apparait à la suite d’une décennie où foisonnent les changements de tous genres. Depuis la répression de la révolution des Patriotes de 1837-1838, le Québec connait une pacification de son nationalisme. La violence semble inefficace dans les systèmes politiques nord-américains[3]. Pourtant, la fin des années 1950 ramène avec elle une vieille tension. Dans la foulée du gouvernement Duplessis, c’est le commencement, par la classe ouvrière, d’une prise de conscience de sa condition. Plus loin encore, c’est le début d’une considération à l’échelle nationale, la naissance du « Nous, les Québécois » et la disparition du « Canadiens-Français ». C’est dans ces conditions que s’ouvre la Révolution tranquille. Le coup d’envoi de la révolution résonne le 22 juin 1960 alors que le Parti Libéral accède au pouvoir avec à sa tête Jean Lesage[4]. Le nationalisme québécois connait alors une expansion hors du commun. Tandis que se mettent en place les réformes des Libéraux, le 10 septembre de la même année, le mouvement du Rassemblement pour l’Indépendance Nationale(RIN) voit le jour sous l’égide d’André D’Allemagne[5]. En février 1963, on assiste à la naissance du Front de Libération du Québec(FLQ)[6]. Au même moment, René Lévesque, alors ministre des Richesses naturelles, entame son projet de nationalisation de l’électricité dont le point culminant sera l’achat des différentes compagnies d’électricité privées du Québec, en date du 1er mai 1963[7]. Ce projet sera ardemment soutenu par le RIN qui, en mars 1963, passera de mouvement à parti politique.[8]
Les idées de Lévesque au sein du Parti Libéral en feront une figure de proue du nationalisme québécois. C’est justement cette attitude, associée à la montée « d’un nouveau nationalisme, axé sur l’indépendance totale du Québec et dirigé contre le Canada »[9], et à l’attachement des Libéraux au fédéralisme qui mène Lévesque à quitter le parti en octobre 1967. Mais l’ancien ministre de Jean Lesage n’a pas dit son dernier mot. Un mois plus tard, à Montréal, il fonde le Mouvement Souveraineté-Association(MSA) avec ses partisans[10]. En 1966, quelques partisans déçus du RIN ont fondés le Ralliement National(RN), voué principalement à la défense de la francisation du Québec[11]. Mais à l’automne 1968, à la suite d’une fusion avec le RN[12], le MSA devient le Parti Québécois(PQ)[13]. Avec René Lévesque à sa tête, le PQ devient l’organe politique majeur au sein du mouvement indépendantiste québécois. Le 26 octobre 1968, le RIN vote sa dissolution, permettant ainsi au PQ de prendre de l’ampleur, notamment en absorbant bon nombre de ses membres[14].
Avant 1960, et ce depuis la Confédération en 1867, le Québec a connu quelques groupes et mouvements indépendantistes. Mais une floraison particulière de ces groupes s’effectue à la veille de la Révolution tranquille. Il est possible d’en citer quelques-uns comme l’Alliance Laurentienne(1957), l’Action socialiste pour l’indépendance du Québec(1960), le Comité de libération nationale(1962) et le Parti républicain du Québec(1962)[15], entre autres. Dans les années 60, alors que le mouvement de la décolonisation grandit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale[16], l’indépendance du Québec devient légitime face au colonialisme anglais. De plus, au Québec, le colonialisme transparait essentiellement dans le monde ouvrier où les cadres sont anglophones, les ouvriers francophones; les riches anglophones, les pauvres francophones. Dans ce même ordre d’idées, trois groupes s’imposeront, durant la Révolution tranquille, par leur influence, mais aussi par leur distinction mutuelle, soit le Rassemblement pour l’Indépendance Nationale, le Front de Libération du Québec et le Mouvement Souveraineté-Association qui deviendra le Parti Québécois.
D’abord, le Rassemblement pour l’Indépendance Nationale prône une indépendance totale et sans équivoque du Québec. Ce parti politique qui, à l’origine, n’était qu’« un simple mouvement et non un parti »[17] se distingue par ses positions claires, fermes et concrètes. La principale raison d’être du RIN se résume par la tentative de « favoriser et d’accélérer l’instauration de l’indépendance nationale au Québec. »[18] L’opinion publique classera rapidement le RIN dans les mouvements de tendance plus radicale, en grande partie à cause de son orientation socialiste, souvent associée aux révolutionnaires, mais aussi par sa détermination à appliquer coûte que coûte sa vision indépendantiste dans ses idées et ses actions. Le RIN perçoit la lutte du Québec en partie comme une lutte des classes. L’indépendance apparait chez le RIN comme un objectif « légitime et nécessaire »[19] pour un peuple perçu comme une minorité. Il va donc de pair que le RIN rejette toute tendance fédéraliste, en plus de dénoncer la centralisation du fédéralisme canadien qui, selon lui, empêche le Québec d’accéder aux outils permettant son épanouissement et son développement[20]. C’est donc dans une vision d’un peuple qui n’a pas « besoin d’excuses pour vouloir être libres »[21] que le RIN défend l’indépendance du Québec.
Ensuite, le Mouvement Souveraineté-Association est de loin le plus modéré de tous les groupes indépendantistes présents dans les années 60[22]. Le parti ayant été enfanté par l’idée de souveraineté, c’est cette même idée qui donne sa modération au parti. En effet, le projet d’une souveraineté politique du Québec face au Canada dans un rapport « d’interdépendance économique »[23] constitue la base de ce qui deviendra le Parti Québécois. Lévesque jette les bases de cette association Québec-Canada avec son Option Québec[24], publié en 1968. L’indépendance, où le Québec réclame une indépendance totale, passe à la souveraineté, où certains projets et/ou domaines restent partagés avec le Canada suite à l’indépendance, comme la monnaie et le marché économique. La coupure avec le Canada est alors moins drastique, mais on reproche justement une grande ambiguïté au PQ sur sa position officielle quant à l’indépendance totale du Québec. Avant tout, le PQ se présente comme un parti très interventionniste, où l’État doit prendre une place importante dans le développement nationale[25]. Il présente également une politique très technocratique au sens où le pouvoir doit être assuré par des spécialistes et des gens formés à ce propos[26]. L’orientation très social-démocrate du parti contribue grandement à sa popularité[27]. Rapidement, le PQ devient le phare en matière de souveraineté, attirant ainsi bon nombre de militants des autres partis et mouvements. Par contre, le rassemblement d’autant d’orientations différentes dans le même parti entrainera des frictions entre les diverses tendances au sein même de la formation politique[28]. Suffit de penser à la menace de démission de Lévesque, en 1971, devant la réticence des membres du parti à adopter une résolution reconnaissant les droits linguistiques de la minorité anglophone ou encore le refus majoritaire de son cabinet, en 1984, de faire adopter un projet de loi instaurant un mode de scrutin proportionnel pour les régions[29]. Malgré le passage, initié par le MSA, de l’indépendance vers la souveraineté[30], il ne faut pas oublier que le PQ reste l’un des seuls partis politiques d’orientation indépendantiste d’importance encore présent aujourd’hui.
Prenant compte de sa nouvelle identité, le Québec s’orientera vers la gauche avec la nationalisation de l’électricité, la création du réseau de santé et du ministère de l’éducation. Quant à ce dernier point, on constate alors le fossé séparant l’éducation des francophones et celle des anglophones[31]. Il en va de même pour les conditions de travail où les anglophones sont nettement favorisés dans leurs négociations à l’inverse des francophones qui peinent à survivre[32]. Pierre Dubuc, en parlant de son père, n’est donc pas dans l’erreur en affirmant qu’« il y avait beaucoup de frustrations accumulées, de colère refoulée au sein de la classe ouvrière québécoise des années 1960 et 1970. »[33] La Révolution tranquille fût donc l’élément déclencheur d’une prise en considération des Québécois de leur propre valeur.
D’un autre côté, le mouvement révolutionnaire international bouillonne. Un peu partout dans le monde, on retrouve un idéal de libération et d’indépendance où la violence semble être l’unique façon d’arriver à terme. On parle ici des Blacks Panthers aux États-Unis, du Front de Libération Nationale(FLN) en Algérie, d’Euskadi ta Askatasun au Pays basque espagnol et de l’Irish Republic Army(IRA) en Irlande du Nord[34]. Ces mouvements visent essentiellement à la libération nationale face à la domination coloniale et/ou à la reconnaissance des droits et de l’égalité des peuples vis-à-vis d’un mouvement ségrégationniste. Ces luttes de libérations sociales et nationales sont très souvent associées à l’idéologie marxiste, apparaissant comme une solution aux régimes de l’époque. Les guerres du Vietnam et d’Algérie viennent en plus soutenir l’idée que la violence peut donner des résultats et vaincre les grandes puissances[35]. En termes de résultat, les gains sont énormes. En Afrique seulement, on parle de dix-sept pays devenus indépendants dans la seule décennie 1960[36]. Nous pourrions nommer le cas du Congo Belge avec son premier gouvernement dirigé par Patrice Lumumba, le 30 juin 1960. Ces mouvements de luttes nationales pavent également la voie à la montée de la gauche. Le socialisme, amalgamé aux luttes vers l’indépendance, projette l’image d’être la solution progressiste aux masses populaires et l’unique défenseur des travailleurs[37]. Partout ailleurs, on voit donc réussir les révolutions populaire, on voit grandir les mouvements indépendantistes, on voit se propager l’idéologie socialiste, créant ainsi un climat propice à l’émergence d’un tel mouvement au Québec.
C’est évidemment dans ce climat que prend racine le Front de Libération du Québec. « Né de la désespérance et de l’espoir entremêlés d’une poignée de jeunes gens »[38], le FLQ est issu avant tout d’un autre groupe : le Comité de libération nationale(CLN)[39]. Les jeunes réunis dans ce comité mettront en œuvre des moyens pour stimuler l’appui à l’indépendance[40]. Pour eux, la violence constitue un moyen légitime de se libérer. Le groupe cherche à combiné ses actions de façon à avoir une couverture légale, mais des méthodes moins légales, disons. Graffitis, vandalisme, formations sur la théorie politique et diffusion de l’information font partie de l’œuvre du comité. D’un autre côté, sur la scène politique, le Rassemblement pour l’Indépendance Nationale(RIN) vient de faire son entrée en scène, avec André D’Allemagne[41]. Il connait une grande popularité auprès des indépendantistes. Bon nombre joindront également le CLN avant de passer dans le Réseau de Résistance(RR)[42]. Le Réseau sera fondé en 1962 par d’anciens rinistes, soucieux d’offrir aux indépendantistes des moyens plus radicaux pour que le Québec devienne indépendant. C’est en février 1963 que trois anciens membres du RIN, rencontrés au Réseau, fonderont le Front de Libération du Québec. Il s’agit de Raymond Villeneuve, Gabriel Hudon et Georges Shoeters[43]. Largement inspiré par le Réseau et toujours en contact avec le Comité, le FLQ passera à l’action dès mars, commençant avec des vols de dynamites. La rédaction de manifestes croit aussi rapidement que les assauts contre les casernes militaires canadiennes. La police commence à enquêter. La statue de Wolfe sur les Plaines d’Abraham est renversée. Le FLQ est désormais dans la partie. Cependant, après la mort d’un homme durant l’attaque d’une caserne et les attentats de Westmount, les autorités offrent des récompenses en échange d’informations et la police procède à des arrestations[44]. Cette vague d’arrestation met fin à la première génération du FLQ. Mais dès l’été 1963, des felquistes qui n’ont pas été emprisonnés décident de remettre sur pied l’organisation, dont l’histoire se souviendra de ses attentats et de ses vols qui marqueront la décennie 1960 jusqu’en octobre 1970[45].
À la veille de la Crise d’Octobre, c’est un Québec encore en mouvement qui voit Robert Bourassa devenir son chef d’État. À la suite de l’adoption de l’assurance hospitalisation, on voit les médecins entrer en grève, quelques jours seulement après l’enlèvement de James R. Cross. C’est donc le système de santé pratiquement en entier qui se retrouve paralysé. Les accusations d’« enlèvement du peuple » fusent de toutes parts tandis que le gouvernement doit gérer la pression populaire, la grève des médecins et la Crise. En plus, le gouvernement doit faire face au Front commun de l’industrie de la construction qui négociait alors ses contrats dans le secteur public. Ensuite, c’est au tour du Parti Québécois d’offrir à la population une position ambiguë envers le FLQ, reconnaissant son objectif, mais pas ses actions, créant ainsi un climat profondément instable face à l’attitude à adopter envers la Crise. À Montréal, les élections municipales prévues le 25 octobre, opposant le Front d’action politique(FRAP) à Jean Drapeau, créer des remous tandis que le premier appuie le FLQ. Finalement, les médias auront largement contribués à excités les camps durant la Crise, y allant de supposition, de prise de position ou encore d’anticipation face aux évènements à venir[46].
· 2.3 Interprétation et signification de l’évènement
La Crise d’octobre est un tournant dans la société québécoise et du jamais vue dans son histoire. L’ampleur et la profondeur de l’évènement en fait un objet d’étude aux significations multiples.
D’abord, Fernand Dumont est convaincu d’une chose : La Crise d’octobre est le fruit d’un malaise persistant dans la société québécoise. Le Québec ayant connu des changements drastiques durant les années soixante, la Crise est en fait le résultat d’« une société qui a changé très vite, et qui n’a pas digéré à mesure ses transformations rapides »[47]. Les actions des felquistes constituaient l’aboutissement le plus logique à l’évolution saccadée de la société québécoise durant la Révolution tranquille[48]. Dumont conclu donc que si la majorité des québécois avaient été charmés par la transformation du mode de vie traditionnel, très peu avaient acceptés les changements d’institutions et de structures sociales qui sont venues avec la Révolution[49].
Ensuite, il y a la version des felquistes. Le Québec avait besoin de s’affranchir de la domination canadienne. Le Québec avait besoin d’être indépendant et de se révolutionner. Dans un désir d’aider la classe ouvrière et de prendre conscience de ce que vaut le peuple québécois, il fallait agir pour faire du Québec un pays. C’est la vision que représente Francis Simard, membre de la cellule Chénier, dans Pour en finir avec octobre[50]. « Certains nous ont laissés. Ils rêvaient de tout faire sauter. Ils voulaient que ça pète et au plus vite. Ils n’étaient que contre un système. Nous,[la cellule Chénier,] nous étions plus pour une autre façon de vivre. » Écrit-il à la page cinq-quarante-sept. Il y a donc derrière la Crise une recherche d’un monde meilleur à travers la révolution.
D’un autre côté, il y a la vision défendu par les Trudeau, Tetley et Castonguay de ce monde : La Crise d’octobre n’est qu’un vulgaire dérapage dans un contexte politique fragile où le banditisme et le terrorisme ont cru pouvoir se faire une place. Trudeau criait à l’attaque envers la démocratie et à l’expansion de l’anarchisme. Tetley ne parle pas de révolutionnaire, mais bien de terroristes[51]. Castonguay quant à lui justifie la Loi sur les mesures de guerre en arguant lui aussi un assaut contre la démocratie. C’est donc l’idéologie de la peur, celle de la destruction de l’état et du « maintien de la paix » qui domine cette interprétation que l’on retrouve essentiellement chez les fédéralistes.
À l’inverse, Jacques Lacoursière se fait défenseur d’une vision qui ne demande pas pourquoi nous en sommes venus à la Crise, mais à qui elle a réellement profitée. La Crise n’a été qu’une opportunité pour le gouvernement Trudeau de frapper d’un grand coup le mouvement indépendantiste. L’armée et les mesures de guerre ne sont qu’une démonstration de force sans équivalent afin de susciter un climat de peur bien entretenu. Lacoursière y va même de quelques exemples quant au maintien du climat de tension psychologique que l’on impose aux québécois durant la Crise dans son article Octobre 70 : l’occasion rêvée![52]
· 2.4 Synthèse
La Crise d’octobre survient à l’automne 1970. Elle marque l’histoire par l’enlèvement de deux personnalités politiques, James Richard Cross, attaché commercial britannique, et Pierre Laporte, ministre québécois du Travail, par le Front de Libération du Québec. La mort de Laporte et l’application de la Loi sur les mesures de guerre frapperont encore davantage le souvenir de ces quelques mois qui ont tenus le Québec en haleine avant de se solder par l’exil d’un premier groupe felquiste et l’arrestation d’un second.
La Crise éclate après une décennie de tensions de toutes sortes. Alors le Québec s’engage dans la Révolution tranquille, le mouvement révolutionnaire international créer un terreau fertile à la naissance de groupes indépendantistes comme le Comité de Libération national, le Réseau de Résistance et finalement le Front de Libération du Québec. Ces groupes amènent avec eux, dans l’air du temps, l’idéologie de gauche, comme le socialisme, tandis que la classe ouvrière québécoise prend en main l’amélioration de sa condition face aux anglophones. L’automne 1970 est également marqué par toutes sortes de conflits de second ordre comme la grève des médecins, les élections municipales de Montréal et les négociations dans l’industrie de la construction.
Après coup, l’évènement est analysé sous toutes les loupes. Certains, comme Fernand Dumont, y voient une réaction symptomatique de la société québécoise face à une Révolution tranquille trop rapide ou d’autres, comme Francis Simard, y voient un moment charnière où la société québécoise doit se libérer. Il y aura aussi des visions « trudeauiste » où la Crise ne fût qu’une tentative d’atteinte à la démocratie ou encore une vision comme Jacques Lacoursière, où la Crise servit de prétexte pour s’attaquer au camp indépendantiste.
Chapitre 3 : Présentation du corpus
· 3.1 Les Ordres de Michel Brault
En 1974, Michel Brault termine son film Les Ordres. Quatre ans après les évènements de la Crise d’octobre, Brault réalise un long-métrage portant sur la répression policière durant la Crise. Le film retrace l’arrestation de Clermont Boudreau et de sa femme, Marie, du docteur Jean-Marie Beauchemin, de Richard Lavoie et de Claudette Dusseault au lendemain de l’adoption de la Loi sur les mesures de guerre, le 16 octobre 1970. Ces citoyens ordinaires connaitront la suspicion de l’État sur la seule cause de leurs valeurs, de leur travail et/ou de l’arbitraire de la police. La détention des cinq personnages compose la plus grande partie du film où le spectateur peut constater les conditions de vie et le climat régnant autour des prisonniers des mesures de guerre[53].
L’une des scènes les plus représentatives du film est l’arrestation de Marie Boudreau. Mère de trois filles, Mme Boudreau est seule avec ses enfants le matin où débarque la police. La scène s’ouvrant sur la demande du maire Drapeau d’obtenir des pouvoirs supplémentaires pour faire face à « l’insurrection appréhendée », elle se poursuit dans l’appartement de la famille Boudreau. Le silence de la nuit est brisé par le tapage des gendarmes qui cognent simultanément aux portes avant et arrière. Les enfants se réveillent suivit de la mère qui finit par ouvrir aux policiers, qui entrent sans cérémonie ni considération pour les habitants du logement. Marie s’insurge et demande à voir le mandat ce à quoi on lui réponde : « Pu besoin de mandat, une loi spéciale ». L’appartement est fouillé. On questionne la femme sur son mari. Après un moment, on annonce à Mme Boudreau qu’elle va suivre les policiers. Les enfants vont chercher la voisine qui s’offusque d’un tel traitement fait à une honnête citoyenne come Marie. Les agents la menace de l’embarquer elle aussi avant de quitter les lieux, en désordre, avec la mère de famille.
Cette scène décrit toute l’instabilité qui suit l’entrée en vigueur de la Loi sur les mesures de guerre. Votée à 3h du matin, appliquée à 4h, le soleil n’est pas encore debout que l’on procède déjà à des arrestations. Les policiers entrent dans les maisons sans mandat et font usage d’un profond manque de civisme et de professionnalisme envers la population. Les suspects sont rudoyés et menacés, on menace également les proches et on laisse derrière eux famille et enfants sans plus de détails sur leur situation. Ces éléments sont les fondements même du climat d’insécurité et de peur que génèrent les mesures de guerre. Désormais, c’est l’État qui gère la Crise et toute personne susceptible de lui montrer une résistance subira les effets de la Loi sur les mesures de guerre. Cette scène représente donc la critique même de Brault avec son film envers l’usage de la force et de la violence répressive de la part de l’État.
Michel Brault est un réalisateur québécois né à Montréal en 1928. Il débute dans le cinéma de façon amateur. Il sera ensuite critique et photographe avant de devenir réalisateur à l’Office Nationale du Film(ONF) en 1956, au moment où le siège de l’organisme passe d’Ottawa à Montréal. Avec l’essor d’une nouvelle génération de réalisateurs francophones, Brault fera partie de ce groupe qui cherche à montrer au monde la réalité du Québec de l’époque telle qu’elle est. En 1958, il réalise avec Gilles Groulx le film Les Raquetteurs. Le court-métrage sera le coup d’envoi avant l’heure du cinéma dit « cinéma vérité » qui deviendra plus tard le cinéma direct ou documentaire. Ce genre, qui se développera immédiatement après en France et aux États-Unis, fera la renommée de Brault. Il passera justement quelques temps en France où il travaillera avec la réalisatrice Annie Tresgot, le réalisateur Mario Ruspoli et le photographe William Klein, tous trois figures emblématiques du cinéma et de la photographie français des années 1960, avant de revenir au Québec. C’est à son retour qu’il signera son plus grand film de cinéma direct : Pour la suite du monde(1963). La captation du retour de la pêche traditionnelle à l’Isle-aux-Coudres sera la consécration du développement de ses techniques. Ses gros plans, sa caméra-épaule, son synchrone, enregistrant simultanément son et image, et son souci de la représentation réelle des évènements révolutionneront les techniques et l’esthétique de la prise d’image, autant dans le documentaire que dans la fiction. Les Ordres viendra soutenir la thèse d’un artiste ayant développé son art au maximum tout comme il fera de Brault un emblème du cinéma nationale à une époque où le Québec est bousculé par son nationalisme et la prise de conscience de son identité[54]. En lançant le cinéma direct, Michel Brault apportera donc son lot d’innovation au monde du cinéma tout en contribuant au développement culturel du Québec.
Les Ordres a été produit avec un budget approximatif de 260 000$. Le tournage eut lieu entre novembre 1973 et mars 1974 avant sa sortie le 26 septembre 1974. Les scènes ont été tournées en grande partie à Montréal, Sorel et Saint-Antoine sur Richelieu. Le film représente un produit innovateur du fait du mélange entre le documentaire et la fiction[55]. Dans le domaine du cinéma documentaire, on reconnait la présence des gros plans et la longueur des plans qui accompagnent les gestes des personnages. L’utilisation de cette technique permet de créer une proximité avec les personnages et de faire partie intégrante du long-métrage[56]. L’influence du documentaire se ressent du point de vie du scénario : Le récit est calqué sur des évènements historiques. Dans la mesure où l’on peut reconnaitre les évènements, Brault reste toutefois dans l’ambiguïté à propos à propos de ceux-ci. Il ne donne aucune date, aucun nom de ville et prend soin de ne pas nommer les personnalités connues de la Crise d’octobre(exemples : le ministre de la Justice, le maire de la ville). Il serait possible de penser que Brault utilise cet aspect dans le but de donner un caractère universel, soit la répression politique, aux évènements du film tout en les campant dans le contexte facilement reconnaissable de l’Octobre québécois.
Du côté de la fiction, Brault innove encore une fois. Il est l’un des premiers à créer une fiction documentée[57]. C’est-à-dire que le contexte historique est véritable, mais Brault s’inspire d’une cinquantaine de témoignages de personnes emprisonnées sous la Loi des mesures de guerre pour recréer cinq personnages qui revivront les plus intenses parties de ces témoignages[58]. Ce balancement entre les faits et la fiction est à la source d’une des particularités du film : la narration. Brault joue avec la voix off et hors-champ afin de permettre au spectateur de créer une distance entre lui et le film tout en gardant un lien étroit avec l’action qui s’y déroule. D’une même façon, en présentant les acteurs en interview tandis qu’ils abordent les évènements vécus par leur personnage, Brault s’assure ainsi de montrer à l’audience que son histoire est fictive, mais issue de faits bien réels[59]. L’endossement par les acteurs de leur personnage, les commentaires en voix off et l’actualisation d’un évènement passé conjuguées aux interviews et aux textes de Trudeau et Drapeau constituent l’essentiel du jeu que tente Brault en mélangeant documentaire et fiction.
La seconde particularité du film est l’alternance entre la couleur et le noir et blanc. Innovant encore une fois, Brault utilise ce procédé afin de marquer la distinction entre le réel, noir et blanc, et la fiction, en couleur. La technique ajoute toutefois beaucoup d’originalité au film étant donné qu’il est l’un des premiers à être construits de la sorte.
En 1958, Michel Brault tourne son film Les Raquetteurs. En collaboration avec l’ONF, le film de Brault raconte simplement le déroulement d’un congrès de raquetteurs. Cependant, la technique employée, c’est-à-dire l’utilisation de matériel expérimental comme la caméra mobile et la prise de son directe, amène une révolution dans le monde du cinéma. Bien que le « cinéma vérité » ou « cinéma réel » existe depuis 1922 avec Robert Flaherty et son Nanouk l’Esquimau, l’œuvre de Brault viendra consolider le mouvement cinématographique et lancer le documentaire. Derrière la technique qui permet de filmer sans déranger l’action en cours, il y a une recherche du réel et de sa représentation exacte. On évacue la mise en scène pour ne conserver que l’authentique. C’est dans cette optique de montrer une réalité précise et honnête aux faits que Brault réalisera Les Ordres[60].
D’un point de vue artistique, les années 60 jusqu’à la fin 70 sont marquées par le développement du cinéma documentaire. On assiste à la naissance d’un mouvement à mi-chemin entre l’artistique et le scientifique. C’est le début d’une recherche de la vérité, de la représentation de la réalité, qui, souvent, servira d’outils à la dénonciation et aux revendications sociales.
Les Ordres est un film réalisé par l’un des pionniers du cinéma direct. L’intention première de Michel Brault est donc de montrer une réalité précise. Dans ce cas, il s’agit de la détention arbitraire faite par les autorités envers une partie de la population lors des évènements d’octobre 1970. Depuis le début des années 1950, l’ère est aux changements et à la dénonciation. C’est exactement ce que cherche à faire Brault en tournant Les Ordres. Il souhaite démontrer l’illégitimité d’une mesure portant atteinte à la démocratie. C’est avant tout le récit d’un abus de pouvoir phénoménal face au peuple québécois que dénonce le réalisateur de Les Ordres. D’un autre côté, Brault à la réputation d’un nationaliste convaincu[61], attitude marquée dans l’air du temps. Le Québec, comme on l’a vue, connait une consolidation fulgurante de son nationalisme à partir de la décennie 1960. À la suite d’octobre 1970, il devient alors tout à faire compréhensible de réaliser un film sur les arrestations liées à la Loi sur les mesures de guerre, sachant qu’un certain nombre d’historiens, à l’instar de Jacques Lacoursière, y voit là une attaque mal déguisée envers le mouvement nationaliste indépendantiste québécois.
Les Ordres parait sur les écrans en septembre 1974, c’est-à-dire presque quatre années après la Crise. Nous sommes alors à une époque où la police et la Gendarmerie Royale du Canada(GRC) mettent sur pied diverses opérations afin de neutraliser une fois pour toute le mouvement felquiste ainsi que certains mouvements politiques dissidents du Québec. L’élément central du film de Brault étant l’application de la Loi des mesures de guerre et les conditions d’emprisonnement des citoyens arrêtés de façon arbitraire, sur un fond de répression politique, le film s’avère donc brillamment pertinent dans la période « post-octobre ». Suite à cette période, la thèse de l’abus du pouvoir fédéral dans un climat propice à poursuivre une manœuvre opportuniste visant à écraser le mouvement indépendantiste prend de l’ampleur.
À la veille de l’adoption de la Loi sur les mesures de guerre, une vague de sympathie à l’égard du FLQ se répand à travers la population québécoise[62]. Le 16 octobre, le cabinet Trudeau adopte la Loi. Les arrestations de masse et les perquisitions surviennent immédiatement au Québec, à Montréal en particulier. Au lendemain de la Crise, les témoignages abondent à propos des conditions dans lesquelles eurent lieux les arrestations et les perquisitions. On parle ici de vandalisme, d’intimidation, de violences physique et psychologique et d’interrogatoires inadéquats[63]. Le gouvernement fédéral refuse de répondre aux exigences du FLQ, demandant la libération des prisonniers felquistes, en arguant qu’ils ne sont pas des prisonniers politiques. Toutefois, les gens emprisonnés par les mesures de guerre ne sont pas traités comme des prisonniers de droit commun. On assiste donc à un glissement pernicieux de la part du gouvernement vers une ambiguïté de plus en plus grande face au statut des prisonniers.
Bien que les membres de la cellule Chénier furent arrêtés à la fin de décembre 1970, l’application de la Loi sur les mesures de guerre fût en vigueur jusqu’à la fin d’avril 1971[64]. Le corps policier et l’armée eurent donc à loisir d’employer toutes les méthodes jugées nécessaires afin d’appréhender les derniers ressortissants du mouvement felquiste. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Dans les années qui suivirent, la GRC effectua diverses actions afin d’incriminer un Front de Libération du Québec supposément revenu en service. En 1972, trois policiers dérobent deux-cent livres de dynamite dans une poudrière de Saint-Grégoire alors que trois autres incendient une grange à Sainte-Anne-de-la-Rochelle. Dans les deux cas, le but de la manœuvre aura été de laisser croire à une intervention du FLQ ou à une opération contre lui alors qu’il n’en était rien[65].
D’un point de vue politique, les années qui suivirent la Crise et qui entourèrent la création du film Les Ordres en fût une où la répression élevée contribua à accentuer un climat de peur. Il est permis de croire que le film de Brault est une réponse directe à cette manœuvre gouvernementale visant à susciter l’effroi dans la population. Les conditions de détention sous les mesures de guerre ou encore dans les années qui suivirent firent en sorte d’écraser toute forme de soulèvement populaire ou révolutionnaire tout en s’assurant un contrôle implacable de la population. Hugh Segal, sénateur canadienne étudiant en histoire au moment de la Crise, résume ainsi l’attitude du gouvernement fédéral : « Contre leurs propres compatriotes, Trudeau, Mackasey et Lalonde ont fait usage des plus terrifiantes méthodes policières – comme dans les régimes totalitaires »[66].
Dès le début de la mise en application de la loi sur les mesures de guerre, des groupes comme le Comité d’aide aux détenus ou le Mouvement pour la défense des prisonniers politiques du Québec(MDPPQ) s’élevèrent contre les traitements infligés aux prisonniers[67]. Le mouvement prit de l’ampleur et on assista à la création d’un réel mouvement social en faveur des détenus. Alors que l’on revendique de meilleures conditions de détention, l’idée des « six millions de prisonniers » fait surface. En prison ou non, l’idée veut que ce soit tous les Québécois qui soient prisonniers du joug fédéral et du « système mis en place par l’empire britannique avec la Conquête. »[68] À travers ces revendications contre le système, c’est le système lui-même qui se met en marche pour étouffer les sources de ces revendications. Les éléments nommés ci-hauts, comme les interventions policières post-octobre, finiront par venir à bout de l’engagement envers les prisonniers politiques. Comme le mentionne Warren, la police ciblera directement les organismes liés à ce mouvement social. Le MDPPQ subira une entrée par effraction durant l’opération Bricole lancée par la GRC en collaboration par la SQ et la police de Montréal[69]. L’opération cherche à nuire au mouvement de solidarité civil en frappant les organismes le chapeautant.
D’un point de vue social, la décennie 1970 qui s’est ouverte sur l’essor d’une prise de conscience sur l’attitude du gouvernement fédéral envers le peuple québécois s’est terminée par un désengagement envers la notion de « prisonnier politique » au sens individuel ou national. La répression sournoise mise en place par le gouvernement et les institutions politiques sont pratiquement venues à bout de limiter la vague de contestation et de revendication.
En somme, Les Ordres de Michel Brault résume la détention subie par les citoyens arrêtés sous la Loi des mesures de guerre. Le film est un mélange entre le documentaire et la fiction où le réalisateur créer cinq personnages inspirés de témoignages réels. Le film utilise les gros plans et les voix off et hors champ afin de créer un lien entre le spectateur et le personnage en plus de démontrer à la fois son côté fictif et documenté.
La période où est réalisé le film coïncide avec la montée d’un mouvement de solidarité sociale envers la condition des prisonniers politiques, auxquels on associe le peuple québécois dans son ensemble. De ce fait, c’est également une époque marquée par l’essor considérable de la répression gouvernementale envers les groupes révolutionnaires, sociaux ou indépendantistes. Cette répression entrainera un désengagement pratiquement complet envers la cause des prisonniers politiques tout en suscitant un climat infertile à la contestation et à la revendication. C’est également une période de développement important dans le domaine du cinéma directe ou documentaire. L’idée de représenter une réalité concrète à l’écran prend de l’expansion durant la décennie 1970 et devient un genre où Michel Brault sera l’un des pionniers.
Les Ordres est donc un film de son temps au sens où il s’inscrit dans le contexte sociopolitique de l’époque et relate un évènement de grande importance dans l’histoire du peuple québécois. Il est également un reflet de la pensée de celui-ci alors qu’il dépeint la dénonciation faite envers l’application de la Loi sur les mesures de guerre. Le film représente l’attitude d’un peuple face à l’arbitraire d’un état qui juge non nécessaire la préservation des droits et des libertés au moment où il prétend lui-même que la démocratie est en péril. En dehors d’une œuvre artistique issue du cinéma directe, Les Ordres image la pensée d’une société face aux actions émises contre elle dans le passé, actions qui se poursuivirent dans cette même décennie. Plus qu’un film, c’est le pouls d’une époque bouleversée par l’évolution d’une pensée sociale et d’un besoin d’affranchissement nationale.
Chapitre 4 : Analyse de l’évènement
La Crise d’octobre est un sujet complexe. Un sujet dont l’étendue des analyses disponibles n’a d’égale que la diversité des points de vue qui les composent. Utilisant comme ligne directrice l’application du Règlement sur la Loi des mesures de guerre par le gouvernement fédéral, nous avons regroupé les penseurs et les théories sous quatre « écoles de pensée » abordant la Crise d’octobre. Ces quatre perspectives fourniront le contenu nécessaire à une analyse complète et profonde de la Loi sur les mesures de guerre lors d’Octobre 1970.
Perspective Dumont-Aquin
Sociologue de formation, Fernand Dumont est un penseur et intellectuel influent de la société québécoise. En 1971, il publie son livre La Vigile du Québec[70]. Dans son essai traitant des évènements d’octobre 1970, Dumont soutient une thèse : la Crise est l’aboutissement logique d’une Révolution tranquille mal achevée ayant bouleversé le peuple québécois. Dumont s’appuie sur un point particulier pour construire sa thèse : il prétend que la Révolution tranquille s’est fait beaucoup trop rapidement qu’elle ne l’aurait dû. Bien que ce soit pour cette raison que l’on nomme ainsi la décennie 1960 au Québec, dix ans semblent trop courts pour établir un changement social aussi drastique que celui effectué à partir de l’élection du gouvernement Lesage. À l’aube de 1970, le Québec est « une société qui a changé très vite, et qui n’a pas digéré à mesure ses transformations rapides, [elle] devait [donc] se heurter tôt ou tard à un bilan dont le prétexte pouvait être n’importe quoi. »[71] L’Histoire aura donc donné au « prétexte » de Dumont le nom de Crise d’octobre. La Crise dans la pensée dumontienne est révélatrice du mal être ambiant de la société québécoise dont « les bouleversements de nos styles de vie traditionnels avaient séduit la plupart, [mais dont] peu de gens avaient acceptés les profondes réformes de structures qui devaient logiquement s’ensuivre. »[72] On retrouve chez Dumont une critique virulente de la coupure entre l’ancien et le nouveau régime. Cette rupture avec notre passé serait la source même du malaise de la société québécoise, au sens où notre passé, en permettant le développement de notre identité, ne peut être évacué sans détruire les repères auxquels est attaché la société. Somme toute, Dumont soutient que le passage de l’ancien régime, mort avec Duplessis, au nouveau régime, naissant avec le gouvernement de Jean Lesage, aura été mal conduit. Il justifie cette thèse en disant que les crises sont toujours instigatrices de remises en question sur leurs origines. C’est pourquoi Octobre serait le fruit de la Révolution tranquille inachevée.
Qu’entend-t-on par inachevée ? Cette réponse nous est fournie par l’écrivain et intellectuel Hubert Aquin. Précurseur de la position de Dumont, il met en garde le Québec contre la Révolution tranquille. Cependant, il y a des nuances à apporter. En 1962, Aquin publie un article titré « La fatigue culturelle du Canada français »[73]. Dans son article, il n’émet pas une mise garde face aux changements qu’apporte la Révolution, mais bien sur le risque de ne pas aller jusqu’au bout de cette Révolution. Au cours de la Révolution, on assiste à une très forte consolidation du nationalisme québécois, où naissent des idées et des conceptions modernes. C’est ce même nationalisme qui va soutenir la Révolution tranquille tout au long de son développement, allant même jusqu’à en être son origine et son moteur. Chez Aquin, la Révolution n’a qu’un seul but : mener à la création d’un Québec État-nation. L’avènement de l’État-nation doit être le seul but de la Révolution, sans quoi moderniser le Québec ne nous rendra pas plus « maître chez nous ». L’article en question d’Aquin est une réponse directe à l’individualisme et au cosmopolitisme vanté par Trudeau. Aquin estime que la création d’un État-nation est le seul moyen de sortir du cercle sans fin de la comparaison avec l’universalité comme norme globalisante. Dans un état propre à elle, la société québécoise cesserait de se comparer à la société canadienne issue de la culture anglo-saxonne. De cette façon, un Québec hors du Canada échapperait au piège d’un gouvernement fédéral qui cherche à uniformiser deux cultures non homogènes ensemble. La fatigue culturelle décrite par Aquin se résume par ce court extrait : « Qu’adviendra-t-il finalement du Canada français? A vrai dire, personne ne le sait vraiment, surtout pas les Canadiens français dont l’ambivalence à ce sujet est typique, ils veulent simultanément céder à la fatigue culturelle et en triompher, ils prêchent dans un même sermon le renoncement et l’ambition. »[74] La création d’un Québec État-nation permettrait alors de sortir la culture québécoise de sa fatigue culturelle, car nous ferions le choix de l’ambition au détriment du renoncement.
Ce dernier point reflète une large part des revendications soulevées lors de la Crise : redonner le Québec aux Québécois afin qu’ils puissent prospérer et épanouir la culture francophone. Toutefois, il ne faut pas oublier un point important que soutient Dumont. Selon lui, la Crise fût effectivement instrumentalisée par le gouvernement fédéral de Trudeau. Il ne fait donc pas qu’expliquer l’origine de la Crise, mais aussi son déroulement. C’est un propos qu’il illustre avec le recensement des vols de dynamite sur les chantiers, dont le nombre aurait supposément pu faire sauter Montréal[75]. Il s’avère que cette tactique est pour lui ridicule, car elle n’illustre pas grand-chose autre que le désir des fédéralistes d’amplifier le climat de terreur. Nous verrons cette instrumentalisation de la Crise plus en détail dans les perspectives qui suivent. Il s’agit donc ici de retenir que la Crise d’octobre est le résultat logique d’une Révolution tranquille trop rapide, trop grande, drastique et inachevée. On entend par inachevée qu’elle n’ait pu contribuer à mettre sur pied le Québec comme État-nation, ce qui se veut être l’une des solutions pour permettre le développement de la culture québécoise.
Perspective Felquiste-Sartre
Cette perspective regroupe les principaux acteurs de la Crise : Les felquistes de toutes cellules confondues. Au début de la Crise, l’une des principales revendications du FLQ est la réembauche immédiate des travailleurs de l’industrie Lapalme, en grève face au gouvernement depuis février 1970[76]. Cette demande reflète l’essence même du mouvement que représente le Front de Libération du Québec, c’est-à-dire l’amélioration du niveau de vie des travailleurs québécois. Depuis le début de la décennie 1960, les francophones du Québec prennent conscience de l’inégalité des droits, des salaires et des avantages qu’ils possèdent face à la bourgeoisie anglophone. C’est contre cette inégalité que s’élèvent les groupes révolutionnaires et les partis indépendantistes du Québec à l’époque, en particulier le FLQ. La lutte des classes entre francophones et anglophones viendra par le fait même gonfler l’argumentaire en faveur de l’émancipation nationale. Le terme « émancipation » est même un peu faible; on parle plutôt de libération du Québec face au joug du Canada.
Les dernières décennies auront démontrés l’évidence : l’action démocratique ne fonctionne pas face à la machine oppressive que représentent le Canada et le monde anglophone. C’est pourquoi « la violence politique apparait inéluctable pour accélérer la marche vers l’indépendance du Québec »[77] et offrir une meilleure existence au peuple québécois enfin libérer de son esclavage. Cependant, il faut comprendre que la violence est un outil pour aider à la libération et non un motif en soi. Francis Simard, felquiste et membre de la cellule Chénier, était en faveur d’un changement de système plutôt que la destruction sans contredit du système établi : « Certains nous ont laissés. Ils rêvaient de tout faire sauter. Ils voulaient que ça pète et au plus vite. Ils n’étaient que contre un système. Nous[La cellule Chénier]. nous étions plus pour une autre façon de vivre. »[78] Il faut garder en tête que le mouvement nationaliste est d’abord issu du mouvement ouvrier. Quelques politiciens promouvaient l’indépendance, mais les réels ténors du mouvement sont issus de la masse ouvrière. Pensons justement à Francis Simard, mais également à Pierre Vallières ou encore à André D’Allemagne comme des exemples d’indépendantistes nés du monde ouvrier. C’est pour cette raison que le FLQ, à l’instar des groupes révolutionnaires du temps, prône l’instauration d’un régime socialiste. L’implantation d’un tel régime représente selon lui le gouvernement idéal dans un Québec indépendant et libéré du Canada. Le régime socialiste permettrait également d’éviter de refaire les mêmes erreurs et de générer les mêmes inégalités que dans le modèle capitaliste.
S’inspirant justement des divers mouvements révolutionnaires internationaux, dont un grand nombre est anticolonialiste, militants à la même époque, le FLQ choisi d’utiliser la violence politique sous la forme du terrorisme. Destructions de monuments commémoratifs, attentats à la bombe et enlèvements viendront ponctuer la décennie 1960 dans le but de sensibiliser le peuple québécois à reprendre ses droits et ses biens, notamment en procédant à l’indépendance nationale. Ces moyens d’actions sont représentatifs du terrorisme comme étant « l’arme du faible contre le puissant »[79]. C’est à l’époque le seul moyen qui s’offre aux felquistes d’atteindre leur objectif suite à leur considération de l’inefficacité du système démocratique pour faire entendre leur voix. C’est justement ce qui distingue le terrorisme postérieur à 1945 : la recherche de l’attention médiatique[80]. L’enlèvement du diplomate James Cross et celle du ministre Pierre Laporte sera l’un des volets majeurs de cette campagne de médiatisation de leur cause. Bien entendu, les attentats à la bombe et la destruction de certains monuments commémoratifs seront répertoriés par les médias, mais les enlèvements d’octobre 1970 amèneront à un tout autre niveau la considération des médias pour le FLQ. D’abord, les enlèvements d’une personnalité britannique et d’une personnalité québécoise impliquent dans la Crise le gouvernement fédéral ainsi que provincial[81]. La population réagit très peu à l’enlèvement de Cross pour ensuite contester dans une moindre mesure celle de Laporte. De plus, l’ouverture des négociations avec les deux paliers de gouvernements permettra au FLQ de faire lire son manifeste sur les ondes télévisées, ultime visibilité pour un groupe comme le FLQ. La violence relève donc d’un outil pour éveiller les masses à un message s’adressant à l’ensemble de la société. Elle devient donc une méthode de ralliement à la cause des révolutionnaires.
Le 2 janvier 1971, Jean-Paul Sartre donnait un entrevue à Jean-Pierre Compain, ce dernier ayant comme mission de la part du MDPPQ (Mouvement de défense des prisonniers politiques québécois) de recueillir les impressions de Sartre sur le FLQ, les mesures de guerre et l’usage de la violence[82]. Sartre se positionne sur trois éléments qui rejoignent la présente analyse. Premièrement, l’usage de la Loi sur les mesures de guerre prouve l’existence d’une répression[83]. Chez Sartre, l’application de la Loi sur les Québécois fait de ceux-ci les adversaires du gouvernement canadien puisque cette loi doit être utilisée uniquement en temps de guerre, mais également contre des groupes susceptibles de représenter une menace. Il y a donc là, selon Sartre, l’idée même que le Québec possède une position d’altérité face au Canada et représente pour lui une menace, une nuisance, dont l’usage de la force envers lui ne semble pas répréhensive étant donné qu’il appartient à l’ennemi. Deuxièmement, le Canada, à titre d’état colonial, est à sa source même porteur du système oppressif[84]. À cela s’ajoute le modèle économique capitaliste qui favorise la relation d’exploitation entre les individus, comme il est possible de le voir dans la relation entre les ouvriers francophones et les cadres anglophones. Il soutient donc ainsi que le Canada est un État répressif et que la répression se fait plus forte dès le moment où la masse oppressée prend conscience de sa position, prise de conscience dont le FLQ est l’instigateur. Troisièmement, Sartre défend qu’à la vue des luttes de l’époque, où le réformisme et le progressisme sont inefficaces en partie à cause des efforts de la bourgeoisie d’écraser ces mouvements, la violence est le seul moyen d’obtenir gain de cause auprès des forces dominantes[85]. En résumé, le FLQ est dans son droit de faire usage de la violence face à la répression commise par l’État oppressif et colonialiste qu’est le Canada.
Cette violence de l’État, on la retrouve au cinéma. C’est celle-ci que Michel Brault dénonce. Les scènes de Les Ordres rappellent les méthodes du gouvernement pour mater la contestation. Dans le film, on ne se contente pas d’enfermer les dissidents politiques et les indépendantistes, on leur fait vivre un calvaire. Par exemple, le personnage de Richard Lavoie se voit annoncer son exécution dans trois jours. Suivant ce délai, on vient le chercher en pleine nuit pour le conduire dans une pièce vide, probablement au sous-sol. On charge une arme devant lui avant de lui ordonner d’avancer droit devant. Les gardiens tirent, une balle blanche, puis ils ramènent dans sa cellule le prisonnier inconscient, convaincu d’avoir vécu sa dernière heure. Par la suite, Lavoie devra obtenir du soutien psychologique pour se relever de ce traumatisme, ce qui démontre l’énergie déployée pour briser le moral des détenus.
En somme, la Crise d’octobre représente pour le Front de Libération du Québec l’opportunité de libérer le Québec du Canada, par le fait même les Francophones de l’exploitation anglophone, dont la répression, combiné à l’inefficacité du système démocratique, ne peut qu’avoir la violence en réponse à ses abus. Cette vision est supportée par les réflexions de Jean-Paul Sartre selon laquelle la considération du Québec comme étant « l’autre » ainsi que la répression politique et militaire vient légitimer l’usage de la violence, non pas comme le meilleur choix, mais le comme le plus efficace.
Perspective Trudeau-Weber
Pierre-Elliott Trudeau effectuera son premier mandat à titre de Premier ministre du Canada dans la période allant de 1968 à 1972. Trudeau, dans « son personnage de célibataire séduisant et non conformiste »[86], possède un charisme qui lui vaut le soutien d’un grand nombre de Canadiens. C’est avec cette attitude de chef charismatique et fort, mais également ferme, qu’il entre dans la Crise qui secoue le Québec en 1970.
Suite au déclenchement de la Crise, Trudeau est questionné à propos de la limite à laquelle il est prêt à se rendre dans la suspension des droits civils pour mettre un terme au conflit. Sa réponse aux journalistes de la CBC est sans équivoque et passera à l’Histoire : « Just watch me »[87]. Cette courte phrase en dit long sur la détermination du Premier ministre et sur son intransigeance face aux felquistes. Quelques jours plus tard, soit le 16 octobre, vers 3h du matin, le gouvernement Trudeau adopte le Règlement sur la Loi des mesures de guerre en vue de son entrée en vigueur à 4h du matin. Cette décision cependant n’émane pas d’un seul homme. Dans la journée du 15 octobre, Trudeau reçoit les demandes de Jean Drapeau, maire de Montréal, et de Robert Bourassa, Premier ministre du Québec, afin que leur soit octroyés des pouvoirs supplémentaires pour faire face à la possibilité d’une « insurrection appréhendée »[88]. Le mouvement de sympathie envers la cause felquiste, notamment par les étudiants, les intellectuels et les travailleurs, poussent les autorités québécoises à faire appel au gouvernement fédéral. La Loi sur les mesures de guerre permettait toute perquisition jugée nécessaire, l’arrestation de toute personne susceptible d’être liée aux Front de Libération du Québec, aux gouvernements de gouverner par décret et aux soldats d’obtenir le statut d’agent de la paix[89]. L’application de la Loi mena à l’arrestation quasi immédiate de près de cinq-cents personnes liées au mouvement indépendantiste, dont plusieurs personnalités nationalistes comme Michel Chartrand et Gaston Miron.
Le Nouveau Parti Démocratique(NPD) reprochera, comme bon nombre de Québécois, au gouvernement Trudeau d’avoir été excessif dans sa gestion de la Crise. La fermeté avec laquelle on tente de neutraliser le mouvement felquiste est, selon lui, générateur d’un plus grand nombre de dommages collatéraux que de réelles réussites. D’un autre côté, la Commission royale d’enquête sur la sécurité(Commission Mackenzie), présidé par Maxweel Weir Mackenzie, avait établie en 1969 que « le gouvernement a le devoir de protéger l’intégrité de la fédération »[90]. Ce devoir s’établissait sur la nécessité de faire face aux influences extérieures néfastes, comme le communisme à l’époque. Avec la création du Parti Québécois, la montée du separatism semble être une porte ouverte aux « éléments subversifs » comme l’idéologie socialiste. Lors de la Crise, la revendication du FLQ d’un État socialiste pour le Québec confirme cette idée. Le gouvernement doit donc faire face à une menace, combattue par les États-Unis depuis le début de la décennie, dont les racines proviennent de l’extérieur. Le gouvernement Trudeau conçoit donc assez facilement l’urgence de conserver la stabilité du Québec afin de préserver l’unité canadienne qu’une insurrection provinciale viendrait briser. Il en va de même pour Robert Stanfield, chef de l’opposition officielle à Ottawa lors de la Crise, qui croit que le gouvernement a le devoir de protéger son pays et ses institutions face à une menace armée[91]. Stanfield de son côté était moindrement surpris de l’usage des mesures de guerre par le gouvernement et y voyait là l’apparition d’un autoritarisme presque totalitaire, à l’inverse de sa surprise totale liée à la relative acceptation de la part des Québécois de la suspension de leurs droits civils. William Tetley, ministre libéral du gouvernement Bourassa durant la Crise, n’y croyait pas, lui, au totalitarisme. Il y voyait plutôt une collaboration honorable entre Ottawa, Québec et Montréal. Il donne l’exemple de l’Union soviétique qui n’a su donner une certaine souveraineté aux zones extérieures au Bloc socialiste. Là était présent le totalitarisme, car il y avait convergence du pouvoir ainsi que domination. Le totalitarisme n’aurait pu naitre au Canada, car la présence d’un fédéralisme sain ne peut laisser d’espace à une telle dérive…[92]
La méthode de Trudeau utilise, consciemment ou inconsciemment, les idées de Max Weber. Sociologue allemand, Weber s’est intéressé à l’organisation de l’État et à ses rapports avec ses composantes et le peuple. Il donne comme définition de l’État « une entreprise politique de caractère institutionnel lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime, […] à l’intérieur d’un territoire géographique déterminable »[93]. En résumé, l’État possède le monopole de la violence. Il explique également que « l’État consiste en un rapport de domination de l’homme par l’homme fondé sur le moyen de la violence légitime »[94]. L’institution étatique est donc en mesure d’user de la violence dans un cadre légitime au moment où elle le juge opportun afin d’assurer à l’État la stabilité nécessaire à son bon fonctionnement. La violence doit cependant être considérée comme un ultime recours et non comme un outil, auquel cas il serait alors question de totalitarisme. Cet usage de la violence nécessite toutefois la détention d’une certaine légitimité, concept que Weber défini de trois façons; soit la légitimité légale, où l’on reconnait aux dirigeants le droit d’user de la législation pour user du pouvoir, la légitimité traditionnelle, où l’on reconnait jour après jour l’aspect exceptionnel des gens en position d’exercer l’autorité, et la légitimité charismatique, où l’on accepte la soumission à une personne disposant de qualité extraordinaire ou héroïque[95]. Weber explique clairement ces états de légitimité par le fait que « toute socialisation passe par une forme de domination, d’adhésion proche de la soumission volontaire qui dépend des qualités que le dominé prête à celui qui commande. »
Dans cette vision, l’application de la violence par la Loi des mesures de guerre est tout à fait légitime en vertu de la demande des autorités provinciales de faire appel à un pouvoir supérieur à eux. Trudeau est alors en toute légitimité d’user de cette loi en faveur de laquelle consentent une large part des Québécois non pas par leur concrète permission, mais plutôt par leur non-opposition. Somme toute, la perspective Trudeau-Weber vient clarifier l’intention du gouvernement fédéral, soutenu par le gouvernement provincial, d’utiliser les mesures de guerre en réponse à une attaque envers l’État. L’instabilité causée par les actions du FLQ est la source de remous qui peuvent laisser présager l’insurrection de la population et/ou le renversement du gouvernement en place. C’est donc dans la vision de protéger l’unité canadienne et la fédération que s’articulent les actions de Trudeau durant la Crise d’octobre.
Perspective Lacoursière-Arendt
Cette perspective constitue la contre-thèse de la perspective Trudeau-Weber. Il s’agit ici de concevoir que l’application de la Loi sur les mesures de guerre n’est pas un outil pour défendre l’État face à un assaut, mais bien une arme utilisée pour soumettre un peuple et écorcher son mouvement nationaliste.
L’historien Jacques Lacoursière, vingt-cinq ans après la Crise, en vient à la conclusion que l’usage des mesures de guerre sert moins à capturer les felquistes qu’à maintenir les Québécois dans un climat constant de crainte et de terreur. Lorsqu’il dit que « l’important est de profiter de la situation pour décapiter les forces indépendantistes, de semer la crainte, sinon la terreur »[96], Lacoursière soutient que le gouvernement fédéral fait preuve d’opportunisme en utilisant la Crise comme prétexte pour renflouer son autorité et centraliser son pouvoir. Dès le moment où le gouvernement Bourassa laisse entendre le besoin d’utiliser un pouvoir supérieur, le gouvernement Trudeau saisi l’occasion; à l’instant même le gouvernement provincial s’efface devant le fédéral. C’est le début d’une manœuvre bien articulée afin de « faire souffler un vent de panique sur la province, de désorganiser les mouvements populaires et de briser le moral de la jeune génération. »[97]
Dès les premières heures de l’application de la Loi, les figures emblématiques du mouvement populaire, syndical et indépendantiste sont arrêtées. Les Pierre Bourgeault, Michel Chartrand, Gaston Miron et Gérald Godin du Québec sont enfermés sans nulles autres soupçons que leurs idées opposées au système en place[98]. Au total, on procède à quelques 3068 fouilles, dont les résultats seront loin de corroborer l’idée d’une « armée felquistes », et 497 arrestations, dont la moyenne d’emprisonnement sera approximativement d’une semaine[99]. Dans certains cas, prenons l’exemple de Michel Chartrand, l’emprisonnement s’échelonnera sur plusieurs mois, et les détenus seront gardés sans aucune forme d’accusation. Lentement fait surface l’idée que les personnes arrêtées puissent servir d’otages dans les négociations avec les cellules du FLQ. Alors que l’on parle des « six millions de prisonniers politiques » arrêtés par le gouvernement fédéral, les réels prisonniers politiques, ceux détenus dans les prisons, subissent des traitements pires que les criminels de droit commun[100]. On leur refuse les journaux, le papier, les rasoirs, les cigarettes, les crayons et même la douche.
L’État, de son côté, ne tergiverse pas à maintenir ce climat de peur dans la population. Au lendemain de « l’exécution » de Laporte par la cellule Chénier, la cellule Libération s’empresse de rédiger un communiqué pour assurer qu’aucun mal ne sera fait à Cross[101]. Bien que cette information ait pu contribuer à diminuer la tension et à ramener un climat propice à la négociation, le communiqué ne sera rendu public que le 8 décembre. Cependant, lorsque le maire Drapeau tient ses élections municipales (en pleine Crise ?), la police laisse échapper un communiqué dans lequel on « déclare que, si on ne libère pas certains prisonniers politiques, le sang va couler dans les rues de Montréal. »[102] Lacoursière assure que ce communiqué est un faux, il ne sert qu’à maintenir l’instabilité et le climat de peur[103].
Bernard Dagenais, professeur à l’université Laval, explique merveilleusement bien comment l’état s’y prend pour légitimer sa violence[104]. Comme mentionné dans la perspective Trudeau-Weber, la légitimité est la clef de voûte d’une telle manœuvre de violence envers un peuple par un État. Dans le but d’établir sa légitimité, l’État agit selon six étapes. Premièrement, faire savoir que la démocratie est menacée. En présentant le Québec comme un modèle de société démocratique, les autorités s’assurent d’envoyer la violence dans l’altérité; le violent, c’est l’Autre. Ainsi, toute contestation de la « société libre et civilisée », selon Bourassa, est une forme de violence cherchant à détruire l’ordre. Deuxièmement, déclarer la crise imprévisible de la sorte à créer un « jour 1 », occultant de cette façon toutes les causes antérieures du conflit. Troisièmement, convaincre d’agir dans la légitime défense. Présenter l’ordre social comme un modèle irréprochable permet d’invalider toute violence envers elle. La démocratie, ou encore l’État et l’ordre social, est donc en droit de se défendre puisque l’attaque envers lui est illégitime. Quatrièmement, diaboliser l’ennemi. L’adversaire commet les actes les plus abominables qu’il soit, sa violence ne semble connaitre aucune limite. Son organisation est puissante, il n’est qu’un criminel de droit commun doublé d’un anarchiste. Cinquièmement, injustifier la violence envers la société en la présentant sous l’image d’une société qui ne génère pas d’inégalités. La menace ne provint donc pas de l’intérieur, mais de l’extérieur. Sixièmement, prôner la supériorité de la raison d’État, soit protéger la démocratie et la liberté, évoquer la nécessité d’intervenir pour éviter la reproduction d’une telle crise et préserver le modèle social de toute forme de violence, surtout de la part d’un petit groupe d’individus. La procédure ci-haut mentionnée permet à l’État de légitimer son usage de la violence et de la mettre en application.
La légitimité de l’État est souvent compromise lors de profondes mutations sociales, comme ce fût le cas au Québec lors de la Révolution tranquille. Cette période au contraire a vu naitre la légitimité du mouvement indépendantiste. L’objectif des mesures de guerre dépasse donc largement le seul cadre de la lutte au terrorisme et représente bel et bien une manœuvre politique de grande envergure visant à briser la dissidence politique du Québec[105]. L’analyse post-Crise aura démontré que seuls 35 personnes étaient membres du FLQ au moment des évènements tandis que ceux-ci étaient déjà connus des policiers et que seules les méthodes policières conventionnelles ont permis de retrouver les ravisseurs[106]. Pour cause, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Alors que 22,4% des Québécois se sentaient menacés par le FLQ, 34,4% craignaient qu’eux ou leur famille soit arrêtés par l’armée ou la police, selon un sondage de Michel Bellavance et et Marchel Gilbert fait en 1971[107]. C’est donc peu dire à quel point la critique de Michel Brault dans Les Ordres est puissante face aux mesures de guerre. L’arrestation et la détention d’un si grand nombre de gens, dans des conditions inacceptables, ne fait que démontrer toute la violence dont est responsable l’État.
Bien avant la Crise, Hannah Arendt, philosophe du XXème siècle, expliquait les rouages de la crainte et de la terreur comme moteur du totalitarisme. Tiré d’une œuvre[108] dirigé par Dagenais, on comprend que la terreur dans une société est un phénomène qui est exponentiel dès son apparition. Bien souvent, l’impossibilité d’identifier la source de cette peur permet au régime en place de prétendre apporter des solutions alors que son discours et ses actions ne font que l’augmenter davantage. Donc, selon Arendt, la terreur, dans cette vision, n’est pas le fruit d’un quelconque mouvement terroriste, mais bien des autorités en place, des idéologues, qui maintiennent le contrôle sur la population grâce à un discours basé sur la nécessité de la protection et de la sécurité. C’est exactement la stratégie employée par le gouvernement Trudeau durant sa Crise à travers sa tentative de légitimation de l’emploi de la Loi sur les mesures de guerre.
En somme, l’application de la Loi sur les mesures de guerre ne répond pas à la nécessité de défendre l’unité canadienne et la sécurité nationale face à un ennemi extérieur, mais bien à la saisie de l’opportunité de frapper violemment les mouvements politiques dissidents présents au Québec. Le mouvement indépendantiste sera la cible prioritaire de ces mesures, tandis que les mouvements populaire et syndical le seront dans moindre degré. Il s’agit donc ici d’appliquer un maintien du contrôle sur la population québécoise en usant de mesures d’exception face à une société désemparée par une Crise qu’elle appuie d’abord avant de la rejeter sous les manœuvres du gouvernement fédéral.
Suite à l’analyse de ces quatre perspectives, il est possible d’en tirer quelques conclusions. D’abord, la Crise d’octobre est un produit d’une Révolution tranquille n’ayant pas atteint ses objectifs et ayant effectué une rupture avec le passé. Ensuite, les revendications du FLQ sont issues directement de cette période. C’est-à-dire qu’ils proviennent de la prise de conscience de l’oppression économique, politique et sociale de la part des anglophones et du Canada. Le désir de vaincre la doctrine coloniale est au cœur même de ces revendications. Ensuite, les évènements ont obligés le gouvernement Trudeau à mettre en branle une vaste opération de légitimation de l’État dans le but d’établir une justification de l’application de la Loi des mesures de guerre. Finalement, cette même opération de légitimation démontre l’intérêt de la part du gouvernement fédéral d’user de la violence politique dans un but précis.
Ce but en question vient compléter notre thèse. Il est évident après analyse que la Crise d’octobre a représentée une opportunité sans égale pour le gouvernement Trudeau afin d’instaurer un climat de peur et d’insécurité au sein de la population. Cette instrumentalisation, pour reprendre l’idée de Dumont, n’avait pour but que de s’attaquer aux mouvements dissidents du Québec, en particulier l’indépendantisme. Cette vaste manœuvre, hautement politique bien plus que militaire, aura servie à briser la vague de contestation mise en branle durant la Révolution tranquille. L’orientation prise par le Québec durant les années soixante, doublé de la naissance d’une considération nationale du peuple Québec face à lui-même, avait toutes les raisons possibles d’inquiéter les autorités canadiennes. C’est pourquoi la répression du mouvement contestataire vient dès lors expliquer l’usage des mesures de guerre dans un contexte de paix où l’intervention militaire n’est pas nécessaire. Cet objectif explique également pourquoi l’on procède à l’arrestation de gens comme Michel Chartrand et Gaston Miron qui à première vue ne représentent aucune menace. Il s’agit ici de s’attaquer aux figures emblématiques des divers mouvements dissidents du Québec. De cette façon, les autorités s’assurent de briser la force du mouvement en question.
L’œuvre de Michel Brault, Les Ordres, réalisé quelques années après la Crise témoigne de la validité de notre thèse. Il faut dire que la dénonciation de la répression politique, notamment par l’arrestation arbitraire de cinq-cents personnes, présente dans le film de Brault représente une réaction directe à la manœuvre du gouvernement. Cette dénonciation cinématographique constitue un témoignage vibrant de l’époque face aux actions d’un État qui cherche à reprendre le contrôle sur une population qui échappe lentement à son emprise depuis la décennie précendente.
Il s’avère donc que notre thèse est vérifiée par l’analyse des faits et des théories des penseurs vue dans ce chapitre. La Crise d’octobre fût donc un prétexte pour le gouvernement Trudeau de faire usage de la violence politique envers les Québécois. Notre recherche aura permis d’ajouter que cette manœuvre est dictée par un objectif dépassant la « protection de la démocratie » et qu’il s’agit plutôt de s’attaquer à la vague contestataire qui grandit au Québec depuis la Révolution tranquille.
Conclusion
À la lumière des résultats de notre analyse, il est possible de constater que la Crise d’octobre est issue directement de la décennie 1960. D’abord au Québec, la Révolution amène avec elle l’épanouissement de la considération nationale de la population québécoise. Elle accentue la prise de conscience par le mouvement ouvrier francophone de sa situation en comparaison de celle des anglophones de la province. Puis, son inachèvement face à l’instauration d’un État nationale québécois explique le climat de tension présent au moment de la Crise. À l’international, la montée des groupes révolutionnaires, souvent lié au mouvement de décolonisation, tout comme l’expansion de l’idéologie socialiste, amène la formation de groupes du même genre au Québec.
L’œuvre choisie pour le corpus artistique représente sans équivoque l’opinion de la population face aux mesures de guerre. La virulence de la critique émise par Brault à travers son œuvre témoigne de la répression faite par l’État durant cette période. On retient que cette répression ne s’est justement pas arrêtée avec la Crise, mais a persistée dans les années qui suivirent 1970. Les Ordres répond donc très clairement à cette répression en la dénonçant à l’aide du cinéma.
L’analyse de nos quatre perspectives possibles face à la Crise aura cernés quelques points intéressants : la Crise est issue d’un mauvais développement de la Révolution tranquille par sa rupture avec le passé; le FLQ représente la colère populaire envers une situation que les Québécois ne peuvent plus tolérer et l’usage de la violence représente l’un des seuls moyens disponibles pour faire bouger les choses dans la lutte pour la libération nationale et contre l’oppression politique; le Canada doit user d’un méticuleux processus de légitimation de l’État pour justifier ses actions politique durant la Crise; les mesures de guerre constituent un abus de pouvoir et tendent à briser la vague de contestation présente au Québec plutôt que de protéger la population.
En conclusion, le gouvernement Trudeau utilise la Crise comme prétexte à l’usage de la violence politique envers les Québécois. Notre analyse met au jour l’objectif derrière l’utilisation de cette violence : briser les mouvements de contestation qui ont acquis en force depuis la Révolution tranquille. Notre thèse s’avère donc exacte à la vue des faits et des théories étudiés.
On ne cessera jamais de s’intéresser à la Crise, car il reste encore beaucoup à écrire sur le sujet. Outre de tenter d’éclaircir les évènements afin de rendre aux Québécois cette dignité qui semble perdue, du moins à la vue des malaises que provoque une prise de position sur la Crise, il serait intéressant de voir si la manœuvre de Trudeau a atteint son objectif. Les mouvements de contestation du Québec ont-ils réellement connus une régression ou une disparition suite à l’application de la Loi sur les mesures de guerre ? C’est une question dont l’intérêt serait bénéfique pour le débat.
Malgré tout, chaque analyse de la Crise aura comme effet de permettre au Québec de mieux comprendre son histoire. Elles lui permettront de mieux se positionner face à son passé et, même, de renouer avec lui. Mais de toutes ces analyses, c’est Gaston Miron qui en fera la meilleure. Il n’aura jamais été aussi prévoyant qu’en 1956 lorsqu’il écrira dans un poème qu’il renommera L’Octobre : « les hommes entendront battre ton pouls dans l’histoire / c’est nous ondulant dans l’automne d’octobre ». Ce pouls, décrit par Miron, bat toujours dans le Québec d’aujourd’hui et, l’espère-t-on, pour longtemps encore.
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Warren, Jean Philippe. Les prisonniers politiques au Québec. Montréal, VLB Éditeur, 2013, 229 pages
Article de périodiques
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Compain, Jean-Pierre. « Octobre 1970 : 20 ans : entretien avec Jean-Paul Sartre », Moebius : écriture / littérature, n◦ 46, 1990, p. 7-18
Mussi, Sébastien. « Le contrôle, c’est la liberté », Spirale : arts – lettres – sciences humaines, n◦ 195 (2004), p. 46 d’après Hannah Arendt, le totalitarisme et le monde contemporain, sous la direction de Daniel Dagenais, Presses de l’Université Laval, 2003, 611 pages
Dubuc, Pierre. « La signification des évènements d’Octobre pour le mouvement ouvrier », L’Aut’journal, 1 octobre 2010
Lacoursière, Jacques. « Octobre 1970 » : l’occasion rêvée! », Cap-aux-Diamants : La revue d’histoire du Québec, n◦ 41 (Printemps 1995), p. 58-60
Lavoie, André. « Le RIN : à chacun sa vérité », Ciné-Bulles, vol. 20, n◦ 4, 2002, p. 48-49
Marsolais, Gilles. « Repousser les faux maitres… », 24 images, n◦ 81, 1996, p. 17-19
Marsolais, Gilles. « Octobre au cinéma : la mouvance révélatrice d’une démocratie en péril », 24 images, n◦ 93-94, 1998, p. 20-22
Thérien, Gilles. « Un évènement politique et sa représentation cinématographique », Voix et Images, vol. 1, n◦ 1975, p. 135-142
En ligne
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NOTES :
[1] Cette section est en grande partie soutenue par les informations des sources suivantes : Castonguay, Jacques. Les opérations militaires de l’armée et la crise d’Octobre. Outremont, Carte Blanche, 2010, 139 pages et Tetley, William. Octobre 1970, dans les coulisses de la Crise. Saint-Lambert, Éditions Héritage, 2010, 408 pages
[2] Front de Libération du Québec. Manifeste d’octobre 1970. Postface et notes par Christophe Horguelin, Lux Éditeur, 2010, p. 50
[3] Warren, Jean-Philippe. Les prisonniers politiques au Québec. Montréal, VLB Éditeur, 2013, p. 118
[4] Bourdon, Yves et Jean Lamarre. Histoire du Québec, une société nord-américaine. Laval, Beauchemin, 1998, p. 223
[5] Lavoie, André. « Le RIN : à chacun sa vérité », Ciné-Bulles, vol. 20, n◦ 4, 2002, p. 48
[6] Front de Libération du Québec, Op. Cit., p. 42
[7] Lacoursière, Jacques. Histoire populaire du Québec, 1960 à 1970. Sillery, Les Éditions du Septentrion, 2008, p. 68-69
[8] Martin, Michel. « Chronologie de l’histoire du RIN ». 2013, dans Robert Comeau et Ivan Carel, Bulletin d’histoire politique, http://www.bulletinhistoirepolitique.org/le-bulletin/numeros-precedents/premier-dossier-presentation/ (page consultée le 25 septembre 2014)
[9] Bouthillier, Guy. « Lévesque René (1922-1987) », Encyclopædia Universalis, http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/rene-levesque/ (consulté le 8 septembre 2014)
[10] Bédard, Éric. L’Histoire du Québec pour les nuls. Paris, First-Gründ, 2012, p. 268
[11] Hamelin, Jean et Jean Provencher. Brève histoire du Québec. Montréal, Boréal, 1997, p. 116
[12] Ibid., p. 118
[13] Bélanger, Yves, Robert Comeau, et Céline, Métivier. La Révolution tranquille, 40 ans plus tard : Un Bilan. Montréal, VLB Éditeur, 2000, p. 136
[14] Martin, Michel. Loc. Cit.
[15] Noël, Mathieu. « L’indépendantisme québécois ». Musée McCord, http://www.mccord-museum.qc.ca/scripts/explore.php?Lang=2&tableid=11&elementid=105__true&contentlong (consulté le 8 septembre 2014)
[16] Ageron, Charles-Robert. « Décolonisation », Encyclopædia Universalis, URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/decolonisation/ (consulté le 8 décembre 2014)
[17] Bélanger, Yves, Robert Comeau, et Céline, Métivier. Op Cit., p. 133
[18] Ibid, p. 134
[19] Ibid.
[20] Ibid.
[21] Ibid, p. 135
[22] Comeau, Robert, Charles-Philippe Courtois, et Denis Monière. Histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois, tome II 1968-2012. 1ère édition, Montréal, VLB Éditeur, 2012, p. 13
[23] Ibid.
[24] Lévesque, René. Option Québec, Montréal, Édition de l’Homme, 1968, 173 pages
[25] Hamelin, Jean et Jean Provencher. Op Cit., p. 119
[26] Ibid.
[27] Bélanger, Yves, Robert Comeau, et Céline, Métivier. Op Cit., p. 136
[28] Laporte, Gilles, Luc Lefebvre, et David Milot. Fondements historiques du Québec contemporain. 4ème édition, Montréal, Chenelière Éducation, 2013, p. 173
[29] Godin, Pierre. René Lévesque, vol. 2 : Héros malgré lui (1960-1976), Montréal, Boréal, 1997. p. 390 (Via Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_qu%C3%A9b%C3%A9cois#cite_note-12)
[30] Bélanger, Yves, Robert Comeau, et Céline, Métivier. Op cit., p. 135
[31] Denis, Roch. Luttes de classes et questions nationale au Québec, 1948-1968. Montréal, Presses socialistes internationales, 1979, p. 228
[32] Ibid.
[33] Dubuc, Pierre. La signification des évènements d’Octobre pour le mouvement ouvrier. L’Aut’journal, 1 octobre 2010
[34] Warren, Op. cit., p. 119
[35] Ibid.
[36] Fournier, Louis. F.L.Q. : Histoire d’un mouvement clandestin. Montréal, Québec-Amérique, 1982, p. 24
[37] Denis, Op. cit., p. 524
[38] Fournier, Op. cit., p. 14
[39] Fournier, Op. cit., p. 29
[40] Ibid.
[41] Fournier, Op. cit., p. 17
[42] Fournier, Op. cit., p. 32
[43] Fournier, Op. cit., p. 33
[44] Fournier, Op. cit., p. 44-46
[45] Fournier, Op. cit., p. 50-51
[46] Pour le dernier paragraphe: Tetley, William, Op. cit., p. 36-48
[47] Dumont, Fernand. La vigile du Québec, Octobre 1970 : L’impasse ? Montréal, Hurtubise, 1971, p. 164
[48] Ibid., p.165
[49] Ibid., p. 167
[50] Simard, Françis. Pour en finir avec Octobre. Paris, Stanké, 1982, 221 pages
[51] Tetley, Op. cit., p. 72
[52] Lacoursière, Jacques. « Octobre 1970 » : l’occasion rêvée! », Cap-aux-Diamants : La revue d’histoire du Québec, no◦ 41 (Printemps 1995), p. 58-60
[53] Thérien, Gilles. « Un évènement politique et sa représentation cinématographique », Voix et Images, vol. 1, n◦ 1975, p. 140
[54] Prédal, René, « BRAULT MICHEL (1928-2013) », dans Encyclopædia Universalis, http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/michel-brault/ (consulté le 1 avril 2015)
[55] Marsolais, Gilles. « Octobre au cinéma : la mouvance révélatrice d’une démocratie en péril », 24 images, n◦ 93-94, 1998, p. 21
[56] Thérien, Gilles. Loc. cit., p. 135-142
[57] Marsolais, Gilles. « Repousser les faux maitres… », 24 images, n◦ 81, 1996, p. 18
[58] Ibid.
[59] Ibid.
[60] Gauthier, Guy. « CINÉMA (Cinémas parallèles) – Le cinéma documentaire », dans Encyclopædia Universalis, http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/cinema-cinemas-paralleles-le-cinema-documentaire/ (consulté le 3 avril 2015)
[61] Prédal, René, Loc. cit.
[62] Tetley, William, Op. cit., p. 325-330
[63] Warren, Jean Philippe. Op. cit., p. 160-163
[64] Tetley, William, Op. cit., p. 339
[65] Fournier, Louis. Op. cit., p. 444-446
[66] Bouthillier, Guy et Édouard Cloutier. Trudeau et ses mesures de guerre, vus du Canada anglais. Québec, Septentrion, 2011, p. 267
[67] Warren, Op. cit., p. 191
[68] Ibid, p. 186
[69] Ibid, p. 191
[70] Dumont, Fernand. Op. cit.
[71] Ibid., p. 164
[72] Ibid., p. 167
[73] Aquin, Hubert. « La fatigue culturelle du Canada français », Liberté, vol. 4, no◦ 23, 1962, p. 299-325
[74] Ibid., p. 321
[75] Dagenais, Bernard. La crise d’octobre et les médias : le miroir à dix faces. Montréal, VLB Éditeur, 1990, p. 187
[76] Tetley, Op. Cit., p. 320
[77] Fournier, Op. cit., p. 29
[78] Simard, Op. cit., p. 147
[79] Langlois, Georges et al. Histoire contemporaine, de 1914 à nos jours. 5ème édition, Montréal, Chenelière Éducation, 2014, p. 321
[80] Ibid.
[81] Dagenais, Op. cit., p. 255
[82] Compain, Jean-Pierre. « Octobre 1970 : 20 ans : entretien avec Jean-Paul Sartre », Moebius : écriture / littérature, n◦ 46, 1990, p. 7-18
[83] Ibid., p. 11
[84] Ibid., p. 9-10
[85] Ibid., p. 15-16
[86] Massicotte, Louise. « TRUDEAU PIERRE ELLIOTT – (1919-2000) », dans Encyclopædia Universali, URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/pierre-elliott-trudeau/ (consulté le 21 avril 2015)
[87] Vastel, Michel. Trudeau, le Québécois. Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2000, 312 pages
[88] Castonguay, Op. Cit., p. 64-65
[89] Ibid., p. 68
[90] Bouthillier, Guy et Édouard Cloutier. Op. cit., p. 83
[91] Ibid., p. 253
[92] Tetley, Op. Cit., p. 206
[93] Weber, Max. Économie et société. Paris, Collection Pocket Agora, 2003, p.96-100
[94] Weber, Max. Le Savant et le Politique. Paris, La Découverte, 2003.
[95] Ibid.
[96] Lacoursière, Jacques. Loc. cit., p. 59
[97] Warren, Jean Philippe. Op. cit., p. 155
[98] Ibid., p. 156-157
[99] Ibid.
[100] Ibid., p. 162
[101] Lacoursière, Op. cit., p. 60
[102] Ibid.
[103] Ibid.
[104] Dagenais, Bernard. « Octobre 1970: la stratégie discursive de l’État » dans Carel, Ivan, Robert Comeau et, Jean-Philippe Warren. Violences politiques, Europe et Amérique, 1960-1979. Montréal, Lux Éditeur, 2013, p. 37-49
[105] Carel, Op. Cit., p. 189
[106] Ibid.
[107] Ibid., p. 190
[108] Mussi, Sébastien. « Le contrôle, c’est la liberté », Spirale : arts – lettres – sciences humaines, n◦ 195 (2004), p. 46 d’après Hannah Arendt, le totalitarisme et le monde contemporain, sous la direction de Daniel Dagenais, Presses de l’Université Laval, 2003, 611 pages
Pierre-Luc Baril, étudiant gradué en 2015 du programme en Histoire et Civilisation du Cégep de Trois-Rivières. Il est auteur du livre Légendes mékinacoises (Éditions GID, 2015).