Dans le cadre de la onzième Semaine de la philosophie organisée par le département de philosophie du Cégep de Trois-Rivières, les étudiant·es du Cégep de Trois-Rivières ont été invité·es à participer à un concours de rédaction à partir d’une citation d’une femme philosophe choisie parmi la centaine proposée. Ce concours, qui en est à sa septième édition, leur permet à la fois de développer leur réflexion dans une rédaction de style libre et de connaître une partie de l’immense contribution des femmes à l’histoire de la philosophie, bien que celles-ci soient encore écartées des cursus traditionnels d’enseignement de la philosophie.
Le département de philosophie tient à remercier la Chaire de recherche du Canada en éthique féministe qui a offert 400$ en bourses aux gagnant·es du concours. Félicitations aux gagnant·es!
Première position
Lettre d’amour aux gens que j’aime,
et fuck Cogeco pis Cendrillon.
Le partenaire idéal, c’est l’idée qu’on se fait d’une personne qui fitterait parfaitement avec nous. Déterminé en fonction de critères et besoins précis qui nous sont propres, ce sont ses caractéristiques, qualités, intérêts, préférences, manières de faire, habitudes, etc. Cet idéal teint notre recherche de partenaire inévitablement.
ILS VÉCURENT HEUREUX ET EURENT BEAUCOUP D’ENFANTS
On souhaite que le partenaire choisi soit le dernier, celui avec qui nous serons heureux toute notre vie. Il devient crucial de faire le bon choix si c’est pour le reste de notre vie.
Renata Salecl, sociologue et philosophe, parle des choix qui s’offrent à nous, du stress à envisager toutes les possibilités et l’angoisse de se tromper. Elle dit dans son livre La Tyrannie du choix :
«Le choix en amour est aujourd’hui particulièrement problématique, dans la mesure où nous courons toujours après le partenaire idéal. Il arrive que la quête de l’amour obéisse au même processus que la recherche d’un opérateur téléphonique : des changements à répétition, grevés chaque fois qu’on a fait son choix du sentiment que l’on a peut-être manqué une meilleure offre.»
Alors comme pour les opérateurs, on peut tenter de le magasiner.
Toutefois, une relation est bien plus qu’un forfait téléphonique :
Premièrement, elle ne se compare pas nécessairement. Chaque relation est unique aux personnes qui la composent. Il serait malhonnête de vouloir (ou d’avoir l’attente de) revivre une chose, vécue dans le passé avec une personne x, aujourd’hui avec une personne y.
Deuxièmement, elle se découvre. Avec le temps, elle peut devenir prévisible, révéler une facette malsaine; elle peut nous faire fleurir comme nous faire régresser. C’est un temps qu’il faut prendre pour découvrir tout le potentiel qu’une relation possède, à répondre à nos besoins.
Enfin, les relations mutent. « À la vie, à la mort » n’est plus d’usage, et comme les mariages, les contrats peuvent être brisés. De nature amicale, ensuite amoureuse puis gardée amicale. Il y a des gens pour lesquels j’éprouverai de l’affection toute ma vie. Leur apport à la personne que je suis aujourd’hui a été si grand, l’échange si significatif. C’est un sentiment qui ne peut être éprouvé envers un service téléphonique.
La recherche du partenaire idéal finalement, c’est aspirer à ce qu’un conte de fées se réalise. Ce sont des attentes très exigeantes et lourdes à faire porter sur quelqu’un.
À force d’imposer ces attentes à quelqu’un, il est difficilement envisageable d’être heureux. Il est inévitable que l’un sente imposteur, pas à la hauteur, pas aimé à sa juste valeur, frustré, incompris, et/ou que l’autre se sente impatient, fatigué ou déçu.
L’idée rigide du partenaire idéal, c’est elle finalement qui nous fait manquer quelque chose. À se projeter trop dans le futur, on angoisse dans l’appréhension et s’empêche de vivre pleinement le présent. Abandonnez le rêve que ça doit durer toute une vie : ça durera le temps que ça durera. Lâchez-prise. D’ici là, nous évoluerons, grandirons et savourons le moment présent ensemble.
Gabrielle Massicotte
Deuxième position
« Il n’y a de liberté pour personne s’il n’y en a pas pour celui qui pense autrement ».
Rosa Luxemburg (1870-1919)
Figure de la Révolution polonaise et de la Révolution allemande, Luxemburg est connue pour son implication dans différents partis socialistes (parti social-démocrate du Royaume de Pologne et son homologue allemand) et marxistes révolutionnaires (Ligue spartakiste). Avec le contexte politique de l’époque, la controverse se faisait forte dans le parti social-démocrate allemand à savoir s’il fallait soutenir la guerre. Luxemburg pensait qu’il fallait s’y opposer et organiser une grève générale révolutionnaire, contrairement à plusieurs membres du SPD, et a été emprisonnée par mesure de protection en 1915[1]. Rosa Luxemburg penserait donc cette phrase parce qu’elle s’est fait emprisonner pour sa pensée.
Cette thèse relève de la philosophie politique, puisqu’elle fait interagir les concepts de justice et de liberté. Commençons par définir le concept clé de cette citation. Ma définition de la liberté est la suivante : il s’agit de la capacité à faire tout ce qu’on peut faire sans nuire aux autres. Par exemple, si je trouve un prunier à l’état de nature, j’ai la liberté de manger ses prunes. Cependant, je n’ai pas la liberté d’empêcher qui que ce soit d’autre d’en faire autant, que ce soit en clôturant l’arbre ou en faisant souffrir ceux qui s’en approchent. Et je n’aurais d’ailleurs aucune raison de le faire, car je n’aurais pas la notion de propriété terrestre, de sédentarité et d’État, concepts qui pour l’humain présocial sont encore flous. Ce niveau de liberté semble être impossible à atteindre maintenant que la majorité des populations habitant le globe sont sédentaires. Il n’y a donc pas de liberté autant pour Rosa Luxemburg que pour vous et moi, puisque la notion de propriété nous empêche de faire tout ce que nous pouvons faire sans nuire aux autres. L’être humain a donc balisé sa liberté par le biais de la justice. La justice, c’est l’organe politique qui assure que la liberté est balisée de manière égale pour tous les humains. Cet organe est inévitablement atteint du point de vue de ses auteurs (l’État est biaisé sur sa définition d’un humain, par sa quête d’enrichissement et sa morale). Ce qu’il reste de la liberté, après cette mise de balises, ce sont nos droits. Si nous transgressons nos droits, nous commettons un crime et l’État répondra par un resserrement des balises de notre liberté. Cependant, penser l’État n’est pas un crime en lui-même, puisqu’on ne commet aucune action dérogeant de la justice. Dans une démocratie, l’accès à la remise en question de la morale de l’État en toute sécurité est essentiel.
Bref, je reformulerais la phrase de Rosa Luxemburg de cette manière : « Il n’y a pas de justice s’il n’y en a pas pour ceux qui pensent différemment de l’État ».
Alexis Coutu
Troisième place
FEMME PHILOSOPHE : MARIE DE GOURNAY
Mary de Gournay, née Marie Le Jars à Paris en 1566, est la fille de Guillaume de Jars, trésorier du roi, et de Jeanne de Hacqueville, son épouse. Le père ayant disparu en 1578 et le frère aîné souvent parti à l’étranger, Marie dut assumer plusieurs responsabilités familiales une fois établie à Gournay. Elle débutera sa carrière d’écrivain en s’occupant de l’édition de plusieurs ouvrages, avant de collaborer à l’élaboration de certains autres, comme « Traité sur la poésie », dans les Versions de quelques pièces de Virgile en 1619. À la fois philosophe et écrivaine, elle se démarquera pour son intérêt des causes politiques et sociales.
TOMBÉE ENTRE LES MAILLES DU FILET
Je suis lesbienne.
Ce n’est pas par choix, par but d’être révolutionnaire ou par simple caprice. On naît lesbienne. La seule décision qui me reste à prendre est de déterminer si le bonheur d’être amoureuse vaut le prix d’être exclue de la société.
Nulle n’est l’utilité de le nier, nous vivons dans un monde patriarcal : pensé par et pour les hommes[2]. Ainsi, comme mentionné plus haut, la femme et l’homme forment un tout. La lesbienne tombe entre les mailles du filet, est oubliée et exclue. Lorsqu’elle s’affiche, elle est reçue par des réactions violentes de la part des hommes[3]. Effectivement, dans un monde où tout leur est dû, qui est-elle pour leur dire non? Cette haine, il est facile de s’y habituer. Elle semble raisonnable, bien qu’inacceptable, étant donné la situation. Cependant, le morceau le plus dur à avaler vient des nôtres, c’est-à-dire des autres femmes. Alors que les luttes féministes font la promotion directe d’une décentralisation du patriarcat dans la vie quotidienne, que ce soit en rejetant les idées préconçues sur l’expression de genre ou sur les rôles attribués à ceux-ci, les lesbiennes se retrouvent encore une fois exclues de la conversation[4].
Nous sommes perçues par les femmes hétérosexuelles comme chanceuses de ne pas avoir à interagir avec notre oppresseur commun, comme si l’incapacité d’être amoureuse d’un homme signifiait qu’ils n’existent plus. Elles ne comprennent pas que la tendresse des relations lesbiennes vient avec le prix de l’hostilité extérieure. Il est inutile d’argumenter : celle qui n’a pas marché dans nos souliers ne peut comprendre l’ampleur des altérations sur nos relations extrapersonnelles.
« L’homme et la femme sont tellement uns, que si l’homme est plus que la femme, la femme est plus que l’homme. »
Bien qu’elle ait utilisé ces propos afin de montrer que l’homme et la femme sont de la même espèce, Marie de Gournay illustre ici un paradoxe intéressant : le rôle de la femme est intrinsèquement lié à celui de l’homme. En effet, qu’est-ce qu’une femme, sinon la relation qu’elle a avec l’homme? Qu’est-ce qu’une femme qui n’est pas une mère, une épouse, une amante? Qu’est-ce qu’une femme lorsque son intérêt n’est pas de combler son présumé contraire, mais de chérir ses semblables? Une lesbienne n’est rien du tout.
Que ce soit parmi les hommes ou les femmes, la lesbienne n’est rien.
Catherine Lalande
[1] Jean-Claude KLEIN, « LUXEMBURG ROSA – (1870-1919) », dans Encyclopaedia Universalis, http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/rosa-luxemburg/, (Page consultée le 2 mars 2023).
[2] https://www.cairn.info/revue-multitudes-2020-2-page-193.htm
[3] https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-affaires-criminelles/actualites-judiciaires/201504/23/01-4863795-quebecois-accuses-de-meurtre-la-cour-supreme-confirme-leur-extradition.php
[4] https://www.erudit.org/fr/revues/rf/2020-v33-n2-rf05978/1076612ar/
Léonie Cinq-Mars est professeure en philosophie au Cégep de Trois-Rivières depuis 2012. Elle partage des charges à la coordination départementale depuis 2019.