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Guy Béliveau a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1976 à 2013. Il a fait son mémoire de maîtrise en logique modale à l’Université McGill (1975) et sa thèse de doctorat sur la phénoménologie de Jean-Paul Sartre à l’Université de Montréal (1987). En 1996, aux éditions Bellarmin, il a fait paraître un ouvrage en morale intitulé L’éducation des désirs. Essai sur la défaillance de la volonté. Depuis un certain nombre d’années, il s’intéresse surtout aux langues anciennes et à la métaphysique, en particulier à celle d’Aristote. Libéré de la nécessité, la poésie, l’opéra, le dessin et la lecture des classiques occupent une place de choix dans ses loisirs studieux.

À l’instar du pape Pie II (Aeneas Sylvius), grand humaniste du Quattrocento, Benoît XVI, dans sa première Encyclique intitulée Deus Caritas Est, se révèle un fin connaisseur des bonae litterae et un profond théologien philosophe. Il offre à notre attention, dans la première partie de sa lettre, une très belle méditation spéculative sur l’essence de l’amour humain et divin. Eros et agapè, ces réalités incontournables de l’existence, ne sont pas séparées ou opposées de manière rigide. Bien au contraire : à la question de savoir si l’amour humain est un ou multiple, Benoît XVI défend avec vigueur et rigueur la thèse de l’unicité de cette aspiration, de cette extase vers l’éternité qui nous permet de dépasser notre finitude.


Le thème de la justice et de la charité est développé dans la deuxième partie de l’Encyclique. Certes, l’Église et l’État sont deux sphères distinctes dans la société, mais il ne peut y avoir de mur qui les sépare. S’il appartient à l’État de faire régner la justice, l’Église a pour rôle de purifier la raison pratique de ses inévitables aveuglements : « La foi permet à la raison de mieux accomplir sa tâche et de mieux voir ce qui lui est propre. » L’Église intervient dans le débat politique en se fondant sur le droit naturel et c’est essentiellement par l’argumentation rationnelle qu’elle contribue à édifier une société plus juste, dans laquelle est donné à chacun ce qui lui revient. C’est d’ailleurs ce que pose avec une parfaite clarté le droit romain, fondé lui-même sur la philosophie grecque : Juris praecepta sunt haec : honeste vivere, alterum non laedere, suum cuique tribuere. Cependant, même dans la société la plus juste, l’amour – caritas – sera toujours nécessaire. Car il est bien évident qu’il y aura toujours de la souffrance ; prétendre que les gens seraient heureux si seulement leurs besoins matériels étaient comblés relève d’une conception matérialiste de l’homme. Aucune bureaucratie ne peut remplacer le dévouement personnel, l’humanité, l’attention du cœur.

L’Encyclique s’adresse donc à un très large auditoire, en fait à tous ceux qui désirent comprendre plus profondément le sens de l’amour, et à tous ceux qui veulent saisir comment s’articulent justice et compassion. Mais l’Encyclique s’adresse aussi à ces catholiques qui ont tendance à réduire la religion à son utilité sociale : l’authentique « diaconie » ne saurait être un militantisme dans des mouvements de libération. « L’activité caritative chrétienne doit être indépendante de partis et d’idéologies. » Par son action, Benoît XVI a déjà donné des signes de sainteté, au travers de cette méditation sur l’amour et la justice, on voit percer son génie. En passant, la version originale est en allemand, et non en latin.