Le Point Hors-série, no. 18 (juin-juillet 2008), 122p. [10.25$]
Le numéro a pour thème « Les textes qui ont changé le monde ». Pour établir la liste des trente-deux textes que contient cet Hors-série, la rédaction a interrogé des historiens, des scientifiques et des philosophes reconnus. Les textes retenus sont ceux qui ont eu un impact direct sur leur environnement. Des textes philosophiques ou religieux dont l`influence bien que lente mais néanmoins décisive ont également été choisis. Certains textes ne sont pas toujours très connus, d`autres peuvent aussi choquer. Fait à signaler : curieusement, aucun texte littéraire n`a été inclus dans cet Hors-série.
Parmi ces trente-deux textes qui ont fait bouger le monde, on retrouve ici à titre d`exemple :
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Le Décalogue
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Les « Entretiens », de Confucius
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L`Apologie de Socrate, de Platon
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Le Discours sur la montagne, Évangile selon Saint Luc, chap. 6
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Des Révolutions des Orbes célestes, de Nicolas Copernic
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Les 95 thèses au sujet des indulgences, de Martin Luther
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Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, de Galilée
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L`Édit de Nantes, par Henri IV
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Les Principia, d`Isaac Newton
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De l`esprit des lois, de Montesquieu
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Du contrat social, de Jean-Jacques Rousseau
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La Richesse des nations, d`Adam Smith
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La Déclaration d`indépendance des États-Unis, rédigée par Thomas Jefferson
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La Déclaration des droits de l`homme et du citoyen, par l`Assemblée Nationale française
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L`Origine des espèces, de Charles Darwin
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Le Manifeste du parti communiste, de Karl Marx et Friedrich Engels
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La théorie de la relativité restreinte, d`Albert Einstein
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Mein Kampf, d`Adolf Hitler
Ainsi que beaucoup d`autres …
En introduction, Lucien Jaume, professeur à l`Institut d`études politiques de Paris, pose la question suivante : un texte peut-il changer le monde ? Oui, affirme-t-il, mais à condition de « se donner les moyens de distinguer entre la qualité révolutionnaire du texte en lui-même et ses effets historiques, directs, lointains ou tout simplement inexistants » (p.7). D`autres conditions s`appliquent également « un texte que nous disons aujourd`hui révolutionnaire ne cherchait pas nécessairement à modifier la réalité de son temps, mais plutôt la vie morale ou spirituelle. […] En fait, il faut se méfier de l`idée d`une causalité directe entre le texte – contenant une pensée novatrice et qui bouleverse les normes établies – et la réalité sociale. […] Un texte puissant peut imprégner les esprits sans que cela se traduise par un bouleversement du monde politique et social; ou bien seulement après plusieurs siècles; ou également selon des effets imprévus qui rendent troublantes la lettre et l`esprit du texte originaire. […] Il faut aussi se garder des légendes de l`histoire intellectuelle » (p.8-9).
Cet Hors-série comprend aussi trois entretiens avec les personnalités suivantes : Jean-Jacques Gassner parle de la création de l`écriture, Robert Chartier s`intéresse à l`apparition de l`imprimerie et la philosophe Barbara Cassin traite de la révolution de l`Internet.
Dans l`article de conclusion, l`écrivain albanais Ismaïl Kadaré s`interroge sur le rôle de la littérature. Le romancier a puisé dans son expérience de la dictature et de l`oppression en Albanie, la matière de son œuvre. Kadaré mentionne que « La littérature et l`histoire appartiennent à deux temporalités distinctes. Les œuvres littéraires ne changent pas le monde parce que, lorsqu`elles en viennent à un choc frontal avec la réalité, elles ne le supportent pas. La littérature est une force spirituelle qui n`a pas les moyens d`une confrontation brutale. Dans son duel avec la réalité, elle doit user d`un stratagème et l`attirer sur le terrain de l`esprit, qui est le seul sur lequel elle peut se battre d`égal à égal » (p.106). À propos de l`influence de la littérature sur le cours de l`histoire, il pense que son action, bien qu`existante, est plutôt de longue haleine et un peu subversive; qu`elle varie selon les époques. Parlant de l`impuissance de la littérature, Kadaré signale toutefois que « La littérature peut nous créer une conscience citoyenne, parfois en contradiction avec la conscience civique immédiate » (p.109). Même s`il croît que la littérature ne change pas le monde, l`auteur termine en disant à propos de la littérature « quelle que soit l`époque, c`est un besoin génétique de l`humanité, qui ne dépend pas du développement du savoir ou des techniques » (p.109).
Le dossier contient aussi un appareil critique important : soit un lexique (131 noms et notions) ainsi qu`une bibliographie (24 titres).
Info. : www.lepoint.fr
Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.