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Jonathan Roy est professeur en philosophie au Cégep de Trois-Rivières depuis 2008. Il a partagé des charges à la coordination départementale lors des deux années académiques 2019-20 et 2020-21.

Je tiens à honorer Robert de mon point de vue particulier d’ex-étudiant et de collègue de cette personne extraordinaire. Au fil des ans, le temps passé à corriger des copies prend une grande place dans notre mémoire. Cependant, je veux à tout prix que tu laisses de côté ces souvenirs, Robert, pour te concentrer sur l’essentiel. Il ne te faudrait surtout pas sous-estimer l’influence que tu as eu sur la vie d’autres personnes, des étudiants reconnaissants qui ne te diront malheureusement pas souvent tout ce qu’ils te doivent, sauf dans des occasions comme aujourd’hui.

 

Robert, je pourrais dire que tu m’as tiré de l’enfer de la drogue et du monde de la prostitution grâce à ton cours, ce qui paraîtrait incroyable aux yeux de tous, mais je devrai me rabattre sur quelque chose qui paraît moins impressionnant (mais seulement au premier abord) : tu es le premier professeur qui m’a ouvert au sens des choses, à la pensée rationnelle, à la pensée critique. Tu pourrais dire : c’est banal, on est tous payé pour ça ! Ma réponse serait que ce n’est pas banal pour un jeune de 17 ans, d’autant plus que tu ne le faisais pas comme les autres.

Tu enseignes principalement, depuis tes débuts, le cours d’introduction. Pour des milliers d’étudiants, tomber face à toi dans une classe dut être un choc salutaire. Pour ma part (je suis désolé pour mes anciens professeurs), tu fus le premier vrai professeur que j’ai eu dans ma vie. Comme c’était mon premier cours au cégep un lundi, je me suis dit : « WOW, c’est ça le cégep !!!!». Il y avait une auréole autour de ta tête tellement tu nous amenais vers de nouveaux horizons. Finalement, ce n’était aucunement ça le cégep, c’était tout simplement Robert.

 

Pour résumer, tu es quelqu’un qui intègre toutes les grandes qualités que devrait avoir un philosophe dans un cours. C’est ce que je vais décrire.

 

Premièrement, Robert est une personne passionnée qui s’étonne réellement devant les choses et qui semble bouleversé par les grandes questions léguées par l’antiquité.

 

C’est visible dans sa démarche. Il a hâte aux prochains évènements. Il est vigoureux. Il entre en classe à toute allure, il met sa valise sur le bureau de façon déterminée, il regarde ses étudiants et leur parle comme si c’était les derniers moments de leur vie.

 

C’est visible dans son interaction avec les étudiants : dans les réponses aux questions, dans la façon d’interagir en général, dans les commentaires sur les copies (qui étaient décriés par les étudiants pour osciller entre la terreur et la passion).

 

Je me souviens très bien, par exemple, que Robert m’avais remis une copie bonne (mais pas exceptionnelle non plus) en me disant « Si ça continue, l’élève va dépasser le maître !». Il m’aurait mis 5 autocollants gigantesques à odeur de raisin que j’en aurais été moins marqué.

 

Plus tard, en tant que collègue, j’ai compris que la passion de Robert ne s’exprimait pas seulement au moment d’écrire ou de dire le commentaire, mais aussi au moment de la correction où celui-ci n’hésite pas à s’exclamer spontanément dans son bureau.

 

Cette passion de Robert se voit également dans sa capacité à faire aimer n’importe quelle matière, même celles qui me paraissent aujourd’hui quasi-impossible à enseigner.

 

Par exemple, j’ai clairement dans ma tête une scène en philosophie 1 où Robert donnait un exemple en lien avec la guerre (un exemple tout à fait banal que tout professeur pourrait donner). Cependant, la façon dont il livrait son exemple (grenade imaginaire au poing, mitraillette dans l’autre) avait transformé la classe en une scène digne des plus grands films.

 

Je me souviens aussi de l’excitation ressentie en abordant la pensée d’Anaximandre ou d’Empédocle dans sa classe, excitation qui m’apparaît tout à fait anormale aujourd’hui avec du recul !

 

Une autre anecdote me vient à l’esprit : je commence souvent mon cours en philosophie 1 en disant que c’est un cours de base, que nous allons y aller progressivement et que je n’aborderai pas immédiatement des questions du type «La chaise existe-t-elle toujours lorsque plus personne n’est dans cette pièce…». À plusieurs reprises, des étudiants ont alors levé leurs mains en affirmant avoir abordé cette question avec leur ancien professeur (évidemment Robert). Je suis persuadé qu’il s’agissait de véritables pièces d’anthologies, puisqu’il pourrait parler de n’importe quel sujet en le rendant intéressant.

 

J’ai vite découvert que cette facette de Robert n’était pas une simple façade. Chaque fois qu’il s’arrêtait devant ma porte de bureau pour me parler d’un livre, je le revoyais en avant d’une classe.

 

Deuxièmement, Robert est une personne d’une grande curiosité, comme tout bon philosophe. Celui-ci cherche sur tous les sujets, que ce soit l’astrophysique, la zoologie, la musique, etc. D’ailleurs, la curiosité est tellement enracinée en lui que même si je ferme ma porte au 9/10 au cégep pour travailler, il veut savoir ce que je fais ! Combien de fois j’ai vu poindre deux jolis yeux dans la mince fente de ma porte en me posant une question… pour finalement démarrer une discussion que je ne regrettais jamais.

 

Dans ses cours, Robert a la capacité exceptionnelle de donner des exemples qui ouvrent l’esprit des étudiants à de nouvelles réalités. Ennemi juré du dogmatisme et de l’esprit étroit, il nous transporte dans tous les coins de la pensée humaine.

 

Troisièmement, Robert est un esprit qui a de la profondeur. Il est radical au sens étymologique du terme, c’est-à-dire qu’il va aux racines des choses. Robert n’écoute pas de la musique, il va aux racines de la musique. Il n’écoute pas seulement les classiques du cinéma, il retourne aux premiers films, essaie de comprendre les origines.

 

Sans contredit, il s’agit d’une grande qualité quand on enseigne un cours sur les origines de la rationalité. La qualité du cours de Robert à cet égard était extraordinaire, abordant les fondements avec une grande limpidité.

 

Quatrièmement, Robert est une personne d’une grande rationalité, celle-ci se manifestant fréquemment par sa faculté d’ordonner toute chose. Quiconque a déjà pénétré dans le bureau de Robert a vite compris jusqu’où celui-ci pousse la rationalité. Rien n’est laissé au hasard, tout est réglé par un ordre logique. Il est possible d’y trouver les futurs examens qu’il donnera (dans les quarante prochaines années), les fichiers contenant les notes de tous ses anciens étudiants, d’autres contenant ses anciennes questions d’examens, etc. Son cours, bien entendu, était à l’image de son bureau.

 

Cinquièmement, malgré tout ce que j’ai mentionné précédemment, Robert est d’une grande humilité. Tout comme Socrate qu’il a si souvent enseigné, j’ai toujours senti qu’il nous faisait cheminer avec lui. Jamais je n’ai ressenti chez Robert une attitude autoritaire ou condescendante qu’il est si facile d’avoir en tant que professeur. Il nous partage ses doutes, ses recherches, mais il affirme peu de certitudes. D’ailleurs, Il est difficile de coller des positions précises à Robert, ce qui est d’autant plus important dans des cours où les étudiants se répètent sans cesse « qu’il faut penser comme le prof ».

 

Finalement, Robert est une personne cohérente. Il est l’incarnation même de ce qu’il enseigne. Avec lui, on est loin du cordonnier mal chaussé. Il était prédestiné, par sa personnalité, à enseigner la pensée claire, rationnelle et ordonnée.

 

En ce sens, Robert, tu représentes pour moi et bien d’autres un modèle de sagesse. Tu m’as beaucoup inspiré autant dans mon enseignement que dans ma façon d’être en général.

 

Au nom de tous tes autres étudiants, je te dis un énorme merci.

 

Tu vas sincèrement nous manquer.

Jonathan Roy

Professeur de philosophie