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Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.

 

Sommaire

 

Présentation

Le contexte historique

Martin Luther : repères biographiques

Depuis sa mort

Choix de citations

Bibliographie

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Présentation

 

L`année 2017 marque le 500e anniversaire de l`affichage des « 95 thèses » du théologien et réformateur allemand Martin Luther contre les indulgences sur les portes de la chapelle du château de l`électeur de Saxe, à Wittenberg, le 31 octobre 1517 (la veille de la Toussaint) afin que tous puissent en prendre connaissance. Cet événement d`importance capitale dans l`histoire mondiale déclenche alors le mouvement de la Réforme et la création d`Églises nationales protestantes. L`année Luther prendra fin le 31 octobre prochain. Une célébration sera tenue dans l`église de Wittenberg et tous les citoyens de l`Allemagne obtiendront exceptionnellement un jour de congé en cet anniversaire.

À l`invitation des luthériens, le pape François s`est rendu en Suède le 31 octobre 2016 pour participer au coup d’envoi d’une année de commémorations autour de la Réforme protestante. Or, sa présence s’inscrit dans 50 ans de dialogue théologique entre luthériens (74 millions dans le monde) et catholiques (1,2 milliard). Tant le pape François que les hauts représentants mondiaux luthériens ont exprimé lundi en Suède leurs profonds regrets face aux massacres et préjugés issus du schisme entre chrétiens il y a 500 ans, appelant à agir ensemble concrètement sur le terrain humanitaire. Dans une homélie, le pape François, entouré de pasteurs luthériens, a déclaré que : « Nous devons regarder avec amour et honnêteté notre passé et reconnaître notre faute et demander pardon » lors d’une prière oecuménique dans la cathédrale moyenâgeuse luthérienne de la ville de Lund, jadis catholique.

 

Le contexte historique

 

Le 31 octobre 1517, le moine catholique allemand Martin Luther convoque, selon l`habitude de l`époque, une discussion sur la « vertu des indulgences » vendues pour financer les travaux d`achèvement de la basilique Saint-Pierre de Rome (censées permettre la remise de certains péchés). En effet, quiconque avait les moyens de verser une somme d`argent pouvait acheter des indulgences, soit une réduction ou même une annulation du temps qu`il passerait au purgatoire après sa mort. C`est contre cet abus que Luther décide de réagir car le principe d`une « assurance sur l`au-delà » lui paraît malsain et propre à endormir les consciences. Il se fait alors un devoir d`écrire des « thèses », c`est-à-dire de petites phrases qui énoncent les points d`une discussion à laquelle sont conviés d`autres théologiens. Dès lors, Luther décide de les envoyer à l`archevêque de Mayence, responsable de la prédication des indulgences, et aussi la première autorité religieuse en Allemagne.

Ses « 95 thèses » sont rapidement diffusées à travers l`Allemagne et dans toute l`Europe grâce à l`essor de l`imprimerie. Or, les progrès de la culture écrite imprimée favorisent au même moment le contact direct avec les textes bibliques. La prise de position de Luther se transforme rapidement en manifeste religieux contre les prétentions des clercs et les abus de l`Église romaine. Rome cherche à ce moment-là à obtenir une rétractation. Mais, lors des débats, Luther se radicalise et affirme que ni le pape ni le concile ne sont infaillibles. Selon lui, leurs décisions doivent être soumises à l`autorité de la Bible. Il est alors menacé d`excommunication par la bulle Exurge Domine. Cette rupture va entraîner des guerres religieuses sanglantes dans les décennies suivantes.

Pour Luther, « il faut enseigner aux chrétiens que celui qui, voyant son prochain dans l`indigence, le délaisse pour acheter des indulgences, ne s`achète pas l`indulgence du pape mais l`indignation de Dieu » (thèse 45). Et celui-ci d`ajouter : « Il faut enseigner aux chrétiens qu`à moins d`avoir des richesses superflues, leur devoir est d`appliquer ce qu`ils ont aux besoins de leur maison plutôt que de le prodiguer à l`achat des indulgences » (thèse 46).

 

Martin Luther : repères biographiques

 

 

Il naît le 10 novembre 1483 à Eisleben, en Haute-Saxe, en Allemagne. Ses parents sont de petits bourgeois d`origine paysanne. Son père se nomme Hans Luder et sa mère Margarethe Ziegler. Le 11 novembre 1483, il est baptisé à Eisleben. En1484, sa famille déménage à Mansfeld, chef-lieu du comté, à 15 km d`Eisleben; c`est là qu`il grandit. De 1488 à 1496, il fréquente l`école primaire à Mansfeld, en Saxe-Anhalt, à 10 km au nord-ouest d`Eisleben. La maison familiale de Luther à Mansfeld est aujourd`hui un musée.

En 1497, il poursuit ses études à Magdeburg, en Saxe-Anhalt, chez les Frères de la vie commune, où il entre en contact avec la devotio moderna (dévotion moderne). Né au XIVe siècle, il s`agit d`un mouvement, de réforme personnelle et d`un courant de spiritualité chrétienne diffusé par les Frères de la vie commune et les chanoines de Windesheim aux Pays-Bas. Ainsi, en réaction contre les pratiques offertes par l`Église, leurs membres, laïcs et prêtres, cherchent une pratique religieuse plus personnelle et se consacrent à la prière, à la lecture et l`étude des Saintes Écritures. De 1498 à 1501, il continue ses études à Eisenach. C`est dans cette même ville qu`il traduit la Bible en allemand. Eisenach est également la ville natale du musicien et compositeur allemand Jean-Sébastien Bach (1685-1750).

Les années 1500

En juillet 1501, envoyé par ses parents, il entre à l`Université d`Erfurt et entame l`étude des artes liberales.  Les arts libéraux comprennent : le trivium : grammaire, rhétorique, dialectique et le quadrivium : arithmétique, géométrie, astronomie, musique. Ces sept matières constituent l`enseignement de base dans le système éducatif antique, puis médiéval ainsi que pour toute formation juridique, médicale et théologique à l`époque de Luther. En 1503, il est bachelier. En 1505, il est « maître ès arts » en philosophie de l`Université d`Erfurt. En mai 1505, il s`inscrit à la faculté de droit selon le désir de son père.

Le 17 juillet 1505,  à la suite d`un vœu, il entre dans l`ordre des Augustins d`Erfurt. Selon ses dires, il y traverse une grave crise spirituelle. En septembre 1506, il prononce ses vœux définitifs.  Le 3 avril 1507, il est ordonné prêtre, à l`âge de 24 ans. En mai 1507, il célèbre sa première messe. En septembre 1508, le théologien et professeur d’université allemand Johann von Staupitz (1460-1524), alors vicaire général de l’ordre des Augustins en Allemagne et supérieur de Luther, l`appelle à Wittenberg pour y donner un cours sur l`« Éthique » d`Aristote. Mais dès 1509, Luther témoigne de la violence qu`il se fait en étudiant la philosophie; il exprime sa préférence pour la théologie. Sa violence contre les philosophes se manifeste particulièrement contre le philosophe grec Aristote (384-322 av. J.-C.). Pour Luther, c`est l`homme à abattre. À ses yeux, Aristote est le « philosophe pourri », un « sophiste », un « vaurien scélérat », « fabulateur », un « âne fainéant ». Voilà ses insultes qui se succèdent entre 1519 et 1532.

Les années 1510

En 1510, il effectue un voyage à Rome en compagnie de Johann von Staupitz, désireux de réformer son ordre dans le sens d`une très grande rigueur. En 1511, il rejoint le couvent de Wittenberg où il est nommé en mai 1512, sous-prieur du couvent. Le 19 octobre 1512, il est reçu Docteur en théologie. En 1513, il obtient la Chaire d`Écriture Sainte à l`Université de Wittenberg. Ses cours portent sur les Psaumes et l`Épitre aux Romains de saint Paul. Dans ses cours, il se montre préoccupé par la relation entre Dieu et l`être humain. Il cherche à comprendre comment ce dernier peut être déclaré juste alors qu`il est totalement pécheur. À partir de 1512, il propose une théorie de la justification qui s`appuie sur saint Paul et saint Augustin (354-430). En 1514, il  soutient le philosophe et théologien allemand Johannes Reuchlin (1455-1522) dans son opposition aux Dominicains de Cologne qui veulent faire brûler le Talmud. En 1515, il est vicaire général des Augustins. La même année, le duc de Prusse Albert de Brandebourg (1490-1568), autorisé par le pape Léon X (1475-1521), vend des indulgences dans sa région pour financer les frais occasionnés par le cumul des archevêchés de Mayence et de Magdebourg. La campagne est menée par le frère dominicain Johann Tetzel (1465-1519), surtout célèbre pour les trafics d’indulgences destinées à financer la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome.

De 1513 à 1515, il commente le Livre des Psaumes, à l`Université de Wittenberg. À ce sujet, avant 1515, les premiers cours de Luther sur les Psaumes s`adonnent à une critique respectueuse mais serrée d`Augustin, jugé trop spéculatif, trop platonisant. En 1515, il est élu par ses frères, les Ermites de saint Augustin, vice-provincial, responsable de la bonne marche d`une dizaine de couvents en Misnie et en Thuringe. De 1515-1516, il commente  les Épîtres de saint Paul aux Romains, à l`Université de Wittenberg. À partir de cette période, Luther se détache peu à peu de la théologie selon laquelle l`homme coopère à son salut. De 1516 à 1517, il commente les Épitres de saint Paul aux Galates, à l`Université de Wittenberg. De 1517 à 1518, il commente l`Épître aux Hébreux, à l`Université de Wittenberg.

Le 31 octobre 1517, il affiche sur les portes de l`église du château de Wittenberg ses « 95 thèses » (diffusées en latin et en allemand) où il dénonce la vente des indulgences (simonie), par lequel l`Église se faisait payer pour alléger les peines de purgatoire. Ce geste marque alors le début de la Réforme. Luther organise son Église, qui n`admet que deux sacrements : le baptême et l`eucharistie. Le même jour, il adresse une Lettre à l`archevêque de Mayence, Albert de Brandebourg (1490-1545) où il mentionne :

« Les indulgences papales sont colportées dans le pays sous l`autorité de Votre Grandeur, pour la construction de Saint-Pierre. Je déplore les fausses idées que le peuple en retire. Ces malheureux se figurent que l`acquisition des lettres d`indulgences les assure de leur salut… C`est ainsi que les âmes à vous confiées courent à leur perte. Aussi n`ai-je pu me taire plus longtemps. L`homme ne peut recevoir d`aucun évêque l`assurance du salut. L`Apôtre nous commande de travailler toujours à notre salut, avec crainte et tremblement, et partout le Seigneur proclame la difficulté du salut… L`office principal des évêques est de veiller à ce que le peuple apprenne l`Évangile et l`amour du Christ.  Votre Grandeur pourra prendre connaissance des thèses ci-jointes. Elle verra combien la doctrine des indulgences est discutable – Votre fils indigne, Martin Luther, moine augustin, docteur en théologie ».

Signalons que la porte d`origine, en bois, de l`église de Wittenberg n`existe plus. Elle  disparaît lors d`un incendie en 1760. Le nouveau portail de bronze (reproduit ci-après) est installé en 1858 par le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV (1795-1861). Les « 95 thèses » y sont gravées en latin.

 

 


 

LUTHER, Martin. Les Quatre-vingt-quinze thèses (1517) : Dispute académique destinée à montrer la vertu des indulgences. Introduction, traduction et notes par Matthieu Arnold, Strasbourg, Oberlin Éditeur, coll. « Théologies », 2004. 80 p. [aussi : Lyon, Éditions Olivétan, coll. « Petite bibliothèque protestante », 2014. 80 p.].

 


 

En janvier 1518, Tetzel répond aux 95 thèses luthériennes  par plus de cent anti-thèses. Le 3 février 1518, sommé par le Général des Augustins de se rétracter, Luther refuse. En avril, il comparaît devant un chapitre de son ordre, réuni à Heidelberg. Le 31 mars 1518, dans une Lettre à Jean Staupitz, il lui dit que : « Mon enseignement est que les hommes ne doivent rechercher leur salut qu`en Jésus-Christ, non dans leurs prières, leurs mérites ou leurs œuvres. Car ce n`est pas notre zèle qui nous sauvera, mais la miséricorde de Dieu ». À l`été 1518, il publie des Résolutions sur la discussion relative à la valeur des indulgences, où il recense les punitions susceptibles d`être infligées aux pécheurs, comme par exemple, le  « fouet divin » par lequel Dieu appelle à la repentance : la peste, la guerre, le meurtre, et les Turcs. S`appuyant sur le verset biblique d`Isaïe X, 5, il croit que Dieu se sert d`incroyants pour punir son peuple. En juillet 1518, un procès est engagé contre lui; il se termine par sa condamnation. En octobre 1518, il est convoqué à Augsbourg pour s`expliquer devant le cardinal italien Cajetan (1469-1534), maître général des Dominicains et légat du pape en Allemagne. Il refuse alors de renoncer à ses idées.

Du 27 juin au 16 juillet 1519 a lieu la « Dispute de Leipzig ». À cette occasion, le théologien catholique et vice-chancelier de l`Université d`Ingoldstadt Johann Maïer, dit Eck (1486-1543) critique les thèses de Luther sur les indulgences dans ses Obelisci. Luther lui répond par ses Asterici. Il déclare qu`il ne croit pas à l`infaillibilité du pape et des conciles. Or, c`est à partir de là que sont définies clairement les principales différences entre les doctrines catholique et protestante et qu’a lieu la rupture définitive entre Rome et les luthériens.

Les années 1520

Le 15 juin 1520, la bulle pontificale Exsurge Domine du pape Léon X (1475-1521) donne deux mois à Luther pour se rétracter sous peine d`excommunication. Face à cela, il répond en publiant, d`août à octobre, trois écrits manifestes. Le 10 décembre 1520, à la porte d`Elster, Luther brûle solennellement sur la place publique de Wittenberg, cette même bulle qui réfute ses doctrines. Or, ce geste spectaculaire est ressenti comme le véritable acte de rupture entre la papauté et la Réforme.

En 1520 toujours, il publie trois livres traditionnellement appelées « les grands écrits réformateurs » prônant la réforme de l`Église romaine et la liberté du chrétien sauvé par le Christ. D`abord, il publie un pamphlet, le Manifeste à la noblesse chrétienne de la nation allemande dans lequel il affirme les doctrines du sacerdoce universel et de l`intelligibilité de l`Écriture. Dans cette lettre, il mentionne que l`Église de Rome n`est pas maîtresse en ce monde; il y exhorte les princes allemands à réaliser la réforme en terres germaniques et donc à désavouer le pape. L`ouvrage se vend à 4000 exemplaires en une semaine. À propos des Romanistes, Luther y affirme que :

« Ils prétendent être seuls maîtres de l`Écriture, encore que, leur vie durant, ils ne l`étudient jamais, ils s`arrogent l`autorité exclusive et nous font accroire par des paroles impudentes que le Pape ne peut se tromper dans le domaine de la foi, qu`il soit méchant ou bon, mais ils ne peuvent pas apporter à ceci le moindre commencement de preuve. […] Si le Pape agit contre l`Écriture, nous avons le devoir de porter assistance à l`Écriture, de le réprimander et de l`obliger à obéir ».

Ensuite, il publie De la captivité babylonienne de l`Église où selon lui, Rome tient l`Église prisonnière alors que les sacrements sont devenus des moyens d`asservissement. Puis, il publie De la liberté du chrétien, où l`on retrouve tout l`essentiel de sa pensée. Il y décrit le chrétien comme un homme libre  « assujetti à personne » qui est, en même temps, « le plus serviable des serviteurs ».

Dès 1520, les théologiens de Louvain accusent publiquement Luther de « diffamer la philosophie ». En 1521, les théologiens de la Faculté de théologie de Paris recensent les prises de position de Luther sur la philosophie et la théologie scolastique; si bien qu`ils qualifient Luther d`« ennemi de la science ».

Le 3 janvier 1521, la bulle Decet romanum pontificem excommunie Luther et ses partisans. Le 17 et 18 avril 1521, il est convoqué par l`empereur germanique Charles Quint (1500-1558) à la diète de Worms (devant le gouvernement de l`Empire), en sa présence. On reproche à sa doctrine de provoquer « différends, dangers et discordes ». Le 26 mai 1521, il est mis au ban de l`Empire après la diète de Worms et refuse de se rétracter : « Révoquer quoi que ce soit, je ne le puis ni ne le veux, car il n`est sûr ni salutaire d`agir contre sa conscience ». Désormais, il devient le symbole de la révolte contre l`Empereur. Toutefois, ce bannissement est sans effet.

Du 4 mai 1521 au 1er  mars 1522, il est prisonnier au château de  la Wartburg, sous le nom de « chevalier Georges ». Il y trouve refuge auprès de l`électeur de Saxe, Frédéric III (1463-1525), où il traduit le Nouveau Testament en allemand, à partir du texte grec publié en 1516 par l`humaniste hollandais Érasme (v. 1469-1536). L`ouvrage paraît en septembre 1522.

En mars 1522, il rentre à Wittenberg pour combattre les actes iconoclastes et les réformes mises en œuvre de manière intempestive. C`est pourquoi, il s`oppose aux anabaptistes, dont le réformateur allemand Andreas Rudolf Bodenstein (1486-1541), le dirigeant révolutionnaire, chef religieux de la « Guerre des Paysans » et l’un des protagonistes les plus importants de la Réforme Thomas Müntzer (1489-1525) ainsi qu`au réformateur luthérien et protestant allemand Gabriel Zwilling (1487-1558) dont il dénonce les excès (ils perturbent la messe, brisent des autels et les images). Müntzer, figure emblématique du mouvement, exécuté en 1525, est un ancien disciple de Luther, avec lequel il a rompu, jugeant qu`il manquer d`audace, souhaitant que la réforme religieuse s`accompagne de transformations sociales.

En 1523, il compose des cantiques en allemand. La même année, dans l`Autorité séculière, il fait part de ses conceptions de la politique, liées à sa conception de la façon dont Dieu gouverne le monde. La même année, il publie un traité intitulé Que Jésus-Christ est juif. Il y affirme  que les Juifs « sont des parents directs, des cousins et des frères de notre Seigneur ».

En 1524, il quitte l`ordre des Augustins. La même année, il incite les Magistrats des villes à ouvrir des écoles. La même année, il publie un recueil de chants qui contient huit cantiques; la dernière édition (1549) en comporte cent-vingt-neuf. En 1524 toujours, il se rend à Magdeburg, et y prêche et rallie à la réforme les classes modestes et laborieuses. Il intervient aussi, auprès des seigneurs, dans la « Guerre des Paysans » (1524-1525) qui enflamme l`Allemagne du Sud, la Suisse, la Lorraine allemande et une partie de l`Alsace. Elle fera près de 100,000 morts. En 1524,  Érasme rédige, à Bâle, son De libero arbitrio (Essai sur le libre arbitre) dans lequel il réfute la thèse de Luther sur la prédestination. Ce dernier lui répond par son traité De servo arbitrio (Du serf arbitre), où la liberté chrétienne est pensée non comme libre arbitre (faculté de choisir) mais comme délivrance de l`enfermement pécheur.

En 1525, il se rend à nouveau à Magdeburg, et y prêche et rallie cette fois à la réforme, les dirigeants de la ville avec la fondation d`une école « évangélique », la Johannisschule, dont il confie la direction au théologien et réformateur allemand Caspar Cruciger (1504-1548). Le 15 avril 1525, appelé au secours par les paysans qui se réclament de lui, il publie son Exhortation à la paix à propos des douze articles des paysans de Souabe. Toutefois, celle-ci ne sera pas entendue. Le 15 juin 1525, il épouse Katharina von Bora, à Wittenberg, en présence du peintre Cranach, du juriste et théologien allemand Justus Jonas (1493-1555) et de quelques amis. Ancienne religieuse cistercienne de 26 ans, elle lui donne six enfants : 4 garçons et 2 filles. En décembre 1525, il publie De servo arbitrio (Du serf arbitre) dans lequel il s`oppose à Érasme en précisant que la volonté humaine ne coopère nullement au salut. En 1525-26, la Réforme gagne les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège.

En 1526, la diète de Spire suspend l`application de l`édit de Worms. À cette occasion, l`Empereur Charles Quint (1500-1558) accorde aux princes allemands la liberté de choisir la religion qui serait pratiquée sur leurs domaines (cujus regio,éjus religio). Toutefois, en 1529, il revient sur cette décision, ce qui entraîne la « protestation » de six princes et de quatorze villes, appelés pour cela protestants.

En 1528, le peintre allemand Lucas Cranach l`Ancien (1472-1553) peint le portrait de Luther.

 

 

En 1529, il compose deux catéchismes : le Petit Catéchisme destiné aux fidèles et le Grand Catéchisme, sorte de « livre du maître », devant être l`instrument grâce à quoi les pasteurs pourront se former en instruisant les enfants en vue de l`admission à la communion. En 1529, le nom de « protestants » apparaît pour désigner les membres des nouvelles Églises des villes et des États allemands. La même année, il publie un Sermon militaire contre les Turcs. Toutefois, il y confond Islam et Empire ottoman, et de façon plus générale l`Orient et l`Asie, qu`il  oppose à l`Europe chrétienne.

Les années 1530

Le 25 juin 1530, la Confession d`Augsbourg est présentée par les princes allemands à Charles Quint à la diète d`Augsbourg, que l`empereur décide de réunir afin de mettre un terme aux dissensions religieuses soulevées par la Réforme. Elle est rédigée par l`humaniste et théologien allemand Philippe Mélanchton (1497-1560), avec la collaboration de l`humaniste allemand Camerarius (1500-1574). La Confession d`Augsbourg est un formulaire contenant vingt-huit articles qui constitue la profession de foi des luthériens. Elle est la base de l`organisation de l`Église réformée dans les États allemands. Quant à Mélanchton, il embrasse et propage la doctrine de Luther après la mort de ce dernier.

En 1530, Luther approuve la Confession d`Augsbourg, qui est présentée par Mélanchthon à Charles Quint, à l`occasion de la Diète d`Augsbourg. Il s`agit du texte symbolique le plus important du luthéranisme. Vers 1530, l`opinion de Luther à l`égard des Juifs évolue. Il exprime sa crainte de voir les Juifs pervertir la foi chrétienne. Il juge nécessaire d`éloigner les chrétiens de tout contact avec eux, voire de les expulser, de peur que Dieu ne châtie les territoires chrétiens où on les laisse vivre. De 1530 jusqu`à sa mort, il est le conseiller très écouté de la chrétienté protestante, même au-delà de l`Allemagne.

En 1532, il achève la traduction de l`Ancien Testament qui paraît en 1534. En 1534, paraît sa traduction complète de la Bible en allemand. En 1537, il rédige les Articles de Smalkalde, qui complètent la Confession d`Augsbourg.

Les années 1540

En 1542, il écrit son testament, nommant son épouse Katharina von Bora légataire universelle, contre toutes les règles de la coutume saxonne fondée sur la minorité légale des femmes et des épouses.

En janvier 1543, il publie Des juifs et de leurs mensonges où il fait écho des pires clichés antijuifs. Il y insiste sur l`idée que l`exil des Juifs prouve qu`ils ne sont pas le peuple de Dieu. De plus, à l`approche de sa mort, sa haine des juifs se déchaîne. En cela, il prône l`incendie des synagogues et l`expulsion forcée des populations juives d`Europe. La même année, il consacre deux autres livres aux Juifs : Du nom ineffable et de la lignée du Christ ainsi que Des dernières paroles de David.

En 1545, le Concile de Trente consacre la rupture avec la Réforme et fixe les dogmes et la discipline de l`Église catholique. Ainsi, les 33 condamnations de la doctrine des Réformateurs sanctionneront la division de la chrétienté occidentale. À la fin de l`année 1545, Justus Jonas rejoint Luther quand celui-ci devient gravement malade et l’accompagne dans la mort. Justus Jonas prononcera son oraison funèbre.

Le 18 février 1546, il meurt à Eisleben, à l`âge de 62 ans. Après sa mort, la famille luthérienne se divise très rapidement. D`un côté, les modérés se regroupent autour de Mélanchton, qui cherche à se rapprocher des catholiques aussi bien que des calvinistes. De l`autre, les intransigeants qui forment à Iéna un centre anti-Wittemberg et vont jusqu`à rééditer les œuvres de Luther, sous prétexte que l`édition de Wittenberg n`est pas satisfaisante.

Luther est considéré comme le père du protestantisme et reconnu comme l`un des plus grands théologiens de son temps.

Depuis sa mort

 

En 1555, la Paix d`Augsbourg, signée entre Ferdinand 1er et les Électeurs germaniques, met en œuvre, comme règle, que chaque homme pratique la religion du prince qui gouverne son territoire. Elle partage l`Empire entre les deux confessions catholique et luthérienne, selon le principe cujus regio, éjus religio. À ce moment, le luthéranisme reçoit une existence légale en Allemagne.

Le 31 octobre 1617, les Princes du Saint Empire célèbrent en grande pompe le premier centenaire de la Réforme.

Au XVIIIe siècle, le philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) considère Luther comme l`un des pères de la nation allemande, voyant dans sa valorisation de la liberté intérieure, le germe de la conception moderne de la liberté.

En 1802, on érige les premières statues de Luther, en Saxe.

En 1817, la Burschenschaft (association d`étudiants allemands d`inspiration patriotique et libérale) organise de grandes manifestations pour célébrer le tricentenaire de la révolte de Luther.

De 1839 à 1847, l`historien allemand Leopold von Ranke (1795-1886) publie, en six volumes, Deutsche Geschichte im Zeitalter der Reformation (Histoire de l`Allemagne au temps de la Réforme).

En 1883, c`est l`ouverture du Musée Luther dans la maison familiale, à Wittenberg. Il a pour thème la Réforme protestante et la vie de Martin Luther.

En 1895, le philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900) publie un pamphlet L`Antéchrist où dans le § 61, il fait de Luther un fanatique, révolté contre la Renaissance : « Un moine allemand, Luther, s`en vint à Rome. Ce moine, avec dans le corps tous les instincts vindicatifs du prêtre raté, se souleva, à Rome, d`indignation contre la Renaissance… Au lieu de comprendre avec une très profonde gratitude le prodige qui venait d`arriver, le christianisme vaincu à son siège –, sa haine ne sut que s`alimenter à ce spectacle » (UGE, coll. « 10/18 », no. 360, 1971. p. 108). Cet ouvrage est publié après sa mort.

Le 26 septembre 1918,  la Luther-Gesellschaft (« société Luther ») est fondée pour lutter contre le matérialisme et le positivisme, jugés responsable de la défaite de 1918.

En 1933, une affiche de propagande nazie, éditée à l`occasion du 450e anniversaire de la naissance de Luther, participe  de la récupération de la figure du réformateur dans les années 1930. On y lit : « Le combat de Hitler et l`enseignement de Luther. La meilleure défense du peuple allemand ». La même année, l`évêque protestant Ludwig Müller (1883-1945) est nommé « évêque du Reich » et fait le salut nazi devant l`hôtel de ville de Wittenberg. Il se suicide après la défaite nazie.

En 2008, l`Allemagne ouvre la « décennie Luther ».

En 2015, pour les commerçants, Luther demeure toujours  « Moderne ». En effet, 34,000 exemplaires de sa figurine produite par la firme allemande Playmobil sont écoulés en trois jours seulement en Allemagne.

En 2016, le pape François se rend en Suède pour participer au lancement de la commémoration des 500 ans de la Réforme.

2017,  Année Luther.

 

 

Choix de citations

 

Foi :

« Il n`est pas vrai, au contraire, que l`homme soit saint ou croyant suivant ses œuvres. Les œuvres ne rendent pas croyant et ne rendent pas davantage pieux. C`est la foi qui rend saint et qui accomplit de bonnes œuvres. Rien ne peut rendre l`homme saint; il doit l`être avant d`agir. Aussi est-il évident que la foi seule, par la pure grâce de Dieu, par le Christ et par sa Parole, peut rendre l`homme saint et le sauver. Le chrétien n`a besoin pour son salut d`aucune œuvre ».

De la liberté du chrétien (1520).

 

Vie chrétienne :

 

« Voici en quoi consiste la vie chrétienne : vouloir en toutes choses ce que Dieu veut, vouloir sa gloire, et ne rien désirer pour soi-même, ni ici-bas, ni dans l`au-delà ».

Commentaires de l`Épître aux Romains.

Chrétien :

 

« Le chrétien est un libre seigneur de toutes choses et n`est soumis à personne. Le chrétien est en toutes choses un serviteur et il est soumis à tout le monde ».

De la liberté du chrétien.

Bulle Exsurge Domine :

« Que le feu te consume, parce que tu as corrompu la vérité divine ! ».

Paroles prononcées par Luther le 10 décembre 1520 en brûlant la bulle papale Exsurge Domine qui le menaçait d`excommunication. Cette même bulle fut livrée aux flammes avec un exemplaire du Droit Canonique.

 

 

Bibliographie

 

ARNOLD, Matthieu. La correspondance de Luther : Étude historique, littéraire et théologique. Mayence, Verlag Philipp von Zabern, 1996. 673 p.

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N.B. : L`image à la une de cet article est une huile sur toile du peintre belge Ferdinand Pauwels (1830-1904). L`œuvre, datée de 1872, s`intitule Luther affiche ses 95 thèses à Wittenberg, le 31 octobre 1517.