Étudiante en Histoire et civilisation au Cégep de Trois-Rivières, récipiendaire du Prix 2020 au Concours d'écriture sur les Femmes Philosophes (Prix 2020).

NDLR : Nous publions ci-dessous le texte de Justine Viviers, récipiendaire du 1er Prix au concours d’écriture Femmes Philosophes 2021 qui s’est déroulé dans le cadre de la 9eSemaine de la philosophie. Nous remercions René Villemure, Éthicien, pour son soutien à ce concours. Toutes nos félicitations à Justine Viviers !


Convaincue que la vérité ne peut relever purement de la pensée, la philosophe Simone Weil (1909-1943) fit le choix de travailler en usine en 1934[1]. Celle qui était alors professeure agrégée de philosophie et militante du mouvement anarchiste, voulu expérimenter la réalité des ouvriers de l’époque. Dans La condition ouvrière, qui rassemble plusieurs de ses textes écrits pendant ou après son expérience en usine[2], Weil nous offre ces mots : « Jamais en aucun cas je ne consentirai à juger convenable pour un de mes semblables, quel qu’il soit, ce que je juge intolérable pour moi-même. »

La situation est bien différente qu’elle ne l’était lorsque Simone Weil écrivait ces lignes. La plupart des pays développés ont maintenant des lois encadrant le travail. Cela contraint les propriétaires d’entreprises à payer convenablement les travailleurs, à limiter les heures de travail et à offrir un environnement de travail sécuritaire. Or, dans un système capitaliste comme celui dans lequel nous évoluons, ces conditions de travail minimalement humaines font embuche à l’objectif ultime de tous bons propriétaires : maximiser le profit. Ainsi, on a relocalisé les usines dans les pays où les lois n’encadrent pas, ou peu, les conditions de travail. Il ne s’agit pas d’une conspiration bien camouflée des yeux du public; on entend souvent parler des conséquences de nos habitudes de consommations, que ce soient les répercussions environnementales, qui affectent d’ailleurs disproportionnellement les plus démunis[3], ou humaines. Par exemple, dans les derniers mois, on exposait des pratiques d’esclavage moderne en Chine alors qu’au moins un demi-million de Ouïghours sont victimes de travail forcé dans des camps de travail[4].

Qu’est-ce qui justifie que l’on tolère que d’autres humains vivent dans de telles conditions? J’estime que bien peu de gens affirmeraient, de bonne foi, que les conditions dans lesquelles ces gens travaillent soient justes ou justifiables. Toutefois, nous endossons celles-ci à tous les jours par nos habitudes de consommations. Est-ce qu’il est possible que la notion de « semblable » explique en partie notre attitude face à cette situation? Est-il possible qu’on déshumanise en quelque sorte ces humains parce qu’ils sont si loin et différents de nous? Ainsi, notre confort immédiat l’emporte sur l’empathie que l’on pourrait avoir pour ceux que nous ne considérons pas comme nos semblables.

Bref, je crois sincèrement qu’il est impossible de juger de la valeur d’une vie humaine. Rien n’explique la tolérance que nous avons face à ces pratiques inhumaines qui servent seulement les plus riches et qui ne font que creuser davantage le faussé entre les classes sociales. Il est grand temps que nous brisions ce mur invisible qui nous sépare des autres, que nous élargissions cette notion de « semblable » à tous les êtres humains. J’estime qu’il est de notre devoir de faire du respect de la vie humaine la préoccupation première de toute chose. Cette bataille, elle se fait au quotidien, elle réside dans absolument tous les choix que nous faisons et elle ne devrait jamais être perdue de vue.


[1] Sylvie COURTINE-DENAMY, François HEIDSIECK, « WEIL SIMONE – (1909-1943) », Encyclopædia Universalis , http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/simone-weil/ (page consultée le 28 février 2021.

[2] Ibid.

[3] Audrey Garric, « Quels sont les pays les plus vulnérables au changement climatique ? », Le Monde, https://www.lemonde.fr/planete/article/2013/10/30/quels-sont-les-pays-les-plus-vulnerables-au-changement-climatique_3505094_3244.html (page consultée le 28 février 2021).

[4]   Dorian MALOVIC, « En Chine, un demi-million d’esclaves Ouïghours dans les champs de coton du Xinjiang », La croix, 15 décembre 2020, https://www.la-croix.com/Monde/En-Chine-demi-million-desclaves-Ouighours-champs-coton-Xinjiang-2020-12-15-1201130306 (page consultée le 15 décembre 2020).