Avatar photo

Patricia Nourry est professeure de philosophie au Cégep de Trois-Rivières. Elle a coordonné le programme d'études en Histoire et Civilisation pendant quelques années, et elle s'est aussi chargée de la coordination départementale de juin 2017 à juin 2019. Elle a par ailleurs publié notamment dans la revue Argument, dans Le Devoir, ainsi que dans la revue Dialogue, dans les Cahiers littéraires Contre-jour et dans la revue Liberté.

«Une vie bouleversée» : on n’aurait pu trouver meilleur titre pour qualifier l’existence d’Etty Hillesum dont la vie fut «précipitée hors de son cours» par la deuxième guerre mondiale et les événements qui la préparèrent. Témoin lucide et attentif de l’implacable marche de l’Histoire qui décidera de son sort et de celui de millions de juifs, le journal et les lettres (publiés sous ce titre) d’Etty Hillesum témoignent de l’incroyable cheminement intérieur de cette jeune juive de 27 ans qui fit le choix de la déportation.

Dans la première partie du journal elle nous présente ses angoisses, ses états d’âme, ses questionnements existentiels et métaphysiques qu’elle tourne et retourne pour arriver à vivre une vie «raisonnable et satisfaisante»: introspection laborieuse, sans complaisance, intransigeante, elle s’acharne à y voir clair et nous avec elle étant donné la portée universelle de ses réflexions. Puis, en 42 sa vie bascule : les mesures antisémites se multiplient, se radicalisent et l’évidence de l’extermination s’impose. Qu’à cela ne tienne, c’est confrontée au pire qu’elle pourra mettre à l’épreuve les préceptes de vie qu’elle s’est donnés, qu’elle se trouvera et s’accomplira tout à fait. Elle fera le pari du sens malgré l’absurdité apparente et n’en démordra pas, le pari pour l’homme malgré l’inhumanité et les horreurs dont il se montre capable. Si Etty Hillesum s’indigne moralement, jamais elle ne nourrira de haine contre ses bourreaux afin, nous dira-t-elle, de ne pas ajouter au malheur du temps et rendre le monde plus encore inhospitalier. Aucun réconfort dans le ressentiment et toujours la nécessité de penser l’impensable, de témoigner, de noter les détails de la vie du camp, de rendre l’espoir possible en étant «le cœur pensant de la baraque» :  «(…) si, au dénuement du monde d’après-guerre, nous n’avons à offrir que nos corps sauvés au sacrifice et non ce nouveau sens jailli des plus profonds abîmes de notre détresse et de notre désespoir, ce sera trop peu. De l’enceinte même des camps, de nouvelles pensées devront rayonner vers l’extérieur (…)». Une lecture pour le moins bouleversante qui invite à une bienveillance active à l’égard de l’humanité (même lorsqu’elle montre son visage le plus grimaçant), simplement parce que nous en sommes et, nous dira la jeune femme (en qui certains commentateurs verront une mystique d’un genre particulier) parce qu’en chacun peut se trouver Dieu, un Dieu qu’il faut d’abord aider si l’on veut rendre l’inverse possible.

Editeur : Seuil (18 avril 1995)
Collection : Points
ISBN-10: 2020246287
ISBN-13: 978-2020246286