Le Magazine littéraire, no. 476 (mai 2008), 106p. [8.10$]
Le Dossier a pour thème « Lévi-Strauss, le penseur du siècle »
Le dossier qui comprend 28 pages est coordonné par Alexis Lacroix, rédacteur en chef adjoint. S`appuyant sur les meilleurs connaisseurs de son œuvre, ce numéro du Magazine littéraire revisite la trajectoire de ce penseur du siècle qu`est Lévi-Strauss. Dans le premier article, Catherine Clément, agrégé de philosophie, décrit l`auteur de Tristes tropiques (Plon,1955) comme un homme « qui fit de la philosophie par défaut , ne sachant pas encore ce qu`il voulait faire de sa vie […] L`ethnologue qui dans toute son œuvre récusa la philosophie est sans doute le meilleur philosophe de son temps, celui qui, ne posant pas de bornes à sa curiosité […] il ne donne pas de leçons. Sauf une. La leçon d`une pensée attachée à ne jamais abandonner l`aventure de l`esprit » (p.64).
L`article de Marcel Hénaff, agrégé de philosophie et professeur à l`université de Californie, à San Diego, porte sur la nouveauté de Lévi-Strauss. Pour lui, « Ce penseur a su, très tôt, percevoir le grand basculement qui s`opérait dans le champ des sciences en général et en capter les effets induits dans celui des sciences sociales » (p.68). Hénaff rappelle que dans Anthropologie structurale (Plon,1958), Lévi-Strauss explique comment il a emprunté à la linguistique le modèle qui lui a permis de repenser complètement les systèmes de parenté dans les sociétés traditionnelles. De son côté, le philosophe Dan Sperber souligne qu`en étudiant les mécanismes de la pensée, au-delà de l`opposition entre nature et culture, Lévi-Strauss préfigure les recherches des cognitivistes d`aujourd`hui. Il mentionne que « c`est Lévi-Strauss qui a fait du mot » structuralisme « , jusque-là réservé aux débats entre linguistes, le nom d`un mouvement bien plus ambitieux et qui visait à donner de nouveaux fondements aux sciences humaines » (p.70).
Pour sa part, l`anthropologue Philippe Descola souligne ici l`actualité du relativisme lévi-straussien. Il rappelle que « Lévi-Strauss a éliminé les explications réduisant la pensée sauvage à une forme de pensée ignorant la logique du tiers-exclu. Il a montré qu`on retrouve, dans tous les types de pensée, des mécanismes analogues; mais, tandis que la pensée scientifique s`intéresse surtout aux qualités du monde dites » premières » parce qu`elles peuvent être mathématisées (masse, volume, vitesse…), la pensée sauvage travaille avec et sur les qualités secondes, c`est-à-dire les expressions subjectives des propriétés des choses, notamment telles qu`elles s`expriment à travers les organes des sens : saveurs, couleurs, sons » (p.73).
Elisabeth de Fontenay, philosophe et professeur émérite à la Sorbonne, montre que son antihumanisme a conduit Lévi-Strauss à réclamer la promulgation d`un droit du vivant. Pour elle, « Il a contribué à déconstruire la conviction judéo-chrétienne et cartésienne selon laquelle la créature humaine et elle seule a été créée à l`image et à la ressemblance de Dieu » (p.77). Dans le dernier article, le journaliste Patrice Bollon signale que le relativisme de Lévi-Strauss est avant tout une méthode ethnographique fondant un universalisme sceptique. Et Bollon d`ajouter que « le relativisme n`est donc pas forcément la doctrine » nihiliste » que pourfendent certains; approché de façon rigoureuse, il est au contraire la seule vraie façon d`en finir avec ce que dénonçait Tristes tropiques : cet ethnocentrisme ouvert ou (le plus souvent) inconscient, qui nous empêche de tisser avec les autres des relations d`égaux à égaux dignes et surtout fécondes » (p.83).
Le lecteur retrouvera à la fin du dossier une bibliographie indicative répertoriant des ouvrages de et sur Claude Lévi-Strauss ainsi que des articles de revues portant sur l`œuvre de ce même penseur. Signalons en terminant que le fondateur de l`anthropologie moderne a fêté ses cent ans le 28 novembre 2008. À cette occasion, la maison d`édition Gallimard a publié dans la collection « Bibliothèque de La Pléiade » un volume numéroté 543 (ISBN 9782070118021) réunissant sept de ses ouvrages.
Info. : www.magazine-litteraire.com
Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.