Histoire Antique, no. 38 (juillet-août 2008), 79p. [10.00$]
Le Dossier a pour thème « Delphes ». Il comprend sept articles ainsi qu`un glossaire et une bibliographie. Dans ce numéro, plusieurs spécialistes font le point sur la recherche concernant l`un des sites archéologiques les plus connus du monde grec antique et permettent de donner une idée précise du sanctuaire de Delphes, de son fonctionnement et de ses caractéristiques. La présentation générale du dossier est confiée à Sophie Montel, docteur en histoire et archéologie des mondes anciens à l`Université de Paris X-Nanterre. Elle rappelle qu`Apollon n`était pas la seule divinité honorée à Delphes : la Terre, Gà (ou Gè), y avait un sanctuaire, mais aussi Déméter, Artémis, sœur d`Apollon, Asclépios, ou encore Athéna.
Dans le premier article intitulé « Histoire et institutions », Mathilde Douthe, membre de l`École française d`Athènes, fait état des forces en présence à Delphes. On y apprend que bien que le sanctuaire d`Apollon soit le sanctuaire principal de la cité de Delphes, il est également le lieu d`affichage par excellence des décrets et des lois de la cité. Elle y traite également des diverses attributions de l`Amphictionie. En ce sens, la cité de Delphes n`est qu`un des douze représentants à l`Amphictionie (organisation collégiale de douze peuples, dont le siège est au départ au sanctuaire de Déméter aux Pyles).
Dans le second article, rédigé également par Douthe, celle-ci propose une précieuse mise au point sur la langue utilisée dans le sanctuaire. D`abord, il faut dire que le sanctuaire est un lieu où se croisent des Grecs de toutes les origines. De plus, le grec ancien n`était pas une langue unique et uniforme de sorte qu`on distingue quatre autres grands groupes dialectaux (ionien, éolien, arcado-chypriote, dorien). L`auteur mentionne qu`« À partir du IVe siècle av. J.-C., se développe une langue commune, que l`on appelle la koinè, fondée sur les dialectes attique et ionien. Elle connaît un essor considérable à partir du moment où Philippe II de Macédoine et son fils Alexandre le Grand en ont fait leur langue de chancellerie. Peu à peu, les dialectes locaux ont perdu du terrain ». (p.29).
Dans un deuxième temps, Douthe s`intéresse à l`étude de la concurrence entre le dialecte et la Koinè. Pour elle, Delphes est un observatoire privilégié puisque des individus de l`ensemble du monde grec s`y côtoyaient et s`y exprimaient. Toutefois, l`usage, au choix, du dialecte et de la koinè n`était pas laissé au hasard de la compétence linguistique du rédacteur ou du graveur mais relevait plutôt d`une volonté politique diffuse. Par exemple, certains visiteurs (représentants officiels de leur cités d`origine ou simples particuliers) souhaitent affirmer leur origine et ils écrivent alors dans leur dialecte. Alors que d`autres « pèlerins souhaitent que leur texte, dédicace ou ex-voto, soit compris facilement par le plus grand nombre et dans ce cas ils choisissent une langue commune, la koinè attique pour les textes en prose, ou une langue poétique inspirée de celle d`Homère pour les textes en vers » (p.31). Pour elle, l`étude de la langue des inscriptions de Delphes indique comment l`usage des langues peut être un élément important de la » politique extérieure » des différentes entités.
Dans le troisième article, Airton Pollini, docteur en histoire et archéologie des mondes anciens à l`Université de Paris X-Nanterre, partage ses connaissances sur les cités grecques de Grande-Grèce présentes dans le sanctuaire. Il y montre le rôle joué par l`oracle dans les fondations coloniales d`Occident. En ce qui concerne la création d`une nouvelle colonie grecque (préparatifs et installation), la consultation de l`oracle de Delphes fait partie des fonctions de l`oikistès (commandant et fondateur), selon les anciens Grecs. Pollini souligne que la grande notoriété du sanctuaire de Delphes intervient uniquement dans un moment postérieur aux fondations coloniales. Et l`auteur de préciser qu`« on peut proposer que la notoriété du sanctuaire serait une conséquence et non la cause des consultations des colons » (p.34).
Dans le quatrième article, Hélène Aurigny, membre de l`École française d`Athènes, fait part de son expérience dans le cadre d`une riche présentation des offrandes de l`époque archaïque (VIIe – VIe s.). D`entrée de jeu, on apprend que dès l`apparition du culte d`Apollon, les offrandes les plus prestigieuses sont en bronze, notamment les chaudrons associés aux trépieds. On apprend également que l`offrande d`armes (objet de prestige ou butin fait sur l`ennemi) est courante dans les sanctuaires dès l`époque archaïque. De plus, les offrandes pouvaient rester exposées plusieurs siècles dans le sanctuaire. En ce qui concerne le devenir des offrandes archaïques, Aurigny mentionne qu`« Aussi belles et précieuses que fussent les offrandes à Delphes, elles ne pouvaient être exposées indéfiniment : lorsqu`elles avaient été endommagées, ou lorsque le téménos était encombré de tous les ex-voto, on devait en faire disparaître. Mais, offrandes au dieu dans leur splendeur comme dans leur misère, elles ne pouvaient quitter le domaine de la divinité. On les enterrait donc (p.40). Enfin, la fréquentation étrangère certaine renforce encore le caractère international du sanctuaire de Delphes, considéré comme un sanctuaire panhellénique.
L`avant-dernier article est rédigé par Sophie Montel qui a consacré sa thèse de doctorat aux bâtiments conçus en Grèce antique pour abriter des groupes sculptés. Elle présente ici une partie de sa recherche. Qu`il s`agisse de temples, de trésors, de niches, d`édicules, de bâtiments fermés ou ouverts en façade, rectangulaires ou circulaires, elle indique que les Grecs ont élaboré depuis le Ve siècle av. J.-C. surtout des solutions architecturales propices à la protection et à la mise en valeur des statues et des groupes sculptés qui constituent une offrande plus importante que les premières. Le dernier article, également signé par Sophie Montel, porte sur les mentions de l`espace à Delphes chez Pausanias. Utilisant ici la Description de la Grèce de Pausanias, l`auteur suit ce dernier au long de son chemin et montre comment sa Périégèse a servi à identifier des monuments porteurs d`offrandes et comment elle permet surtout d`avoir une bonne idée de la saturation de l`espace du sanctuaire d`Apollon au IIe siècle de notre ère.
Info. : www.histoire-antique.fr
Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.