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Patrice Létourneau est enseignant en philosophie au Cégep de Trois-Rivières depuis 2005. Outre son enseignement, il a aussi été en charge de la coordination du Département de Philosophie pendant 8 ans, de juin 2009 à juin 2017. Il est par ailleurs l'auteur d'un essai sur la création, le sens et l'interprétation (Éditions Nota bene, 2005) ainsi que d'autres publications avec des éditeurs reconnus. Il collabore à PhiloTR depuis 2005.

Se pourrait-il que la créativité, le travail patient et, à la limite, une part «d’imitation», ne soient pas opposés, mais complémentaires ?

Nous l’avons déjà noté, à l’approche du 6e colloque Une cité pour l’Homme, sur le thème de «La cité et les arts», dont c’est présentement la période d’inscriptions, nous nous permettons de publier ici quelques billets à l’intersection de la pensée et des arts (1 , 2 , 3 , 4 , 5 , 6 ).

David Galenson a publié, en 2006, une étude sur deux types de «génie» : les «conceptualistes» et les «expérimentalistes».  Les remarques sont embryonnaires, mais pour le plaisir de la réflexion, considérons la chose.  Dans la première catégorie, il y aurait selon lui des «génies» précoces, dont l’œuvre éclorait jeune, comme Picasso, Mozart, Welles, etc.  Dans la seconde catégorie, il y aurait aussi des «génies», mais dont l’œuvre demanderait des années, comme Cézanne, Twain, Hitchcock, Frank Lloyd Wright, Beethoven, etc.  La seconde catégorie, celle des expérimentalistes, semble plus nombreuse.

Les travaux de Galenson sur l’expression artistique (mais aussi le prolongement qu’il donne à ses recherches dans d’autres domaines) semblent contribuer, avec d’autres travaux sur les arts, à remettre en lumière l’interaction de la notion de travail (et peut-être aussi la patience?) avec le concept de créativité. Souvent, dans les idées reçues, le créatif est en quelque sorte celui qui a des éclairs de génie et se laisse entraîner par ce jaillissement. Il y avait un peu de ça dans la théorie du Romantisme allemand : le « Witz », l’éclair, étant une saisie intuitive du tout. On retrouve, bien sûr, quelque chose s’y rattachant dans différentes thématiques du XXe siècle, comme l’éloge de la folie ou encore l’éloge de l’excentricité. Dans cette mesure, le travail patient, minutieux, conserve sa valeur, mais celui qui s’y adonne sera tout de même perçu comme un type différent de l’individu créatif.

Les recherches de Galenson semblent indiquer que ces considérations peuvent effectivement trouver une place dans le premier pôle de créativité qu’il identifie. Cependant, dans le second pôle du continuum de la créativité, ses observations montrent qu’il y a là un lien (intrinsèque?) entre le travail et la créativité. L’exemple de Cézanne qu’il prend alors semble parlant, et ce, à plusieurs égards.

À défaut de réponses, ce qui est en soi une qualité compte tenu du sujet, cette interrogation apporte de l’air frais à la réflexion sur l’idée de créativité.  C’est une porte ouverte sur les réflexions, et non pas une perspective à envisager en termes réducteurs.

Sans doute qu’entre ça, les prolongements que Galenson envisage et la pédagogie (par exemple, est-on vraiment sûr que le développement de «l’esprit critique» n’implique pas aussi sa part de demi-imitation passagère?), il y aurait des considérations à développer.

L’article, à lire : «What Kind of Genius Are You?», dans Wired, 2006.

(Article repéré en 2006 grâce à la veille effectuée par François Guité sur son blogue.)