Archives pour août 2012

Michela Marzano, Légère comme un papillon
30/08/12
Lors d’une conférence à la New York University en 1996, Jacques Derrida rappelait que «la philosophie traditionnelle exclut la biographie, elle considère la biographie comme quelque chose d’extérieur à la philosophie. Vous vous souvenez de la formule d’Heidegger à propos d’Aristote : «Quelle fut la vie d’Aristote ?» Eh bien, la réponse tient en une seule phrase : «Il est né, il a pensé, il est mort.» Et tout le reste est pure anecdote.» Or, Derrida entendait montrer que, contrairement à l’approche traditionnelle, la compréhension des idées est plus complexe et que, sans tomber dans des lectures psychologisantes, les grandes idées ne sont pas non plus extérieures à la vie, à leur genèse, et que la compréhension des dimensions de l’un peut aider à la compréhension de l’autre. Une position qui, au fond, n’est pas loin de celle du spécialiste de la philosophie antique Pierre Hadot, qui mettait en relief dans La philosophie comme manière de vivre (Édition Albin Michel, 2001) que pour les Anciens, «la philosophie n’est pas construction de système, mais choix de vie, expérience vécue visant à produire un «effet de formation», bref un exercice sur le chemin de la sagesse.»
En ce sens, on peut considérer que Légère comme un papillon publié aux Éditions Grasset en mai 2012, une réflexion à teneur autobiographique de la philosophe Michela Marzano, est plus qu’une simple curiosité. Spécialiste de réputation internationale des philosophies du corps, Michela Marzano a notamment dirigé le Dictionnaire du corps (PUF, 2007) et publié un «Que sais-je?» sur La philosophie du corps (PUF, 2007), un essai sur La pornographie ou l’épuisement du désir (Buchet/Chastel, 2003), La fidélité ou l’amour à vif (Buchet/Chastel, 2005), La mort spectacle : Enquête sur l’horreur réalité (Gallimard, 2007), Extension du domaine de la manipulation : de l’entreprise à la vie privée (Grasset, 2008) et Le contrat de défiance (Grasset, 2011), entre autres ouvrages.
Dans sa réflexion à teneur autobiographique intitulée Légère comme un papillon, Michela Marzano revient sur ses troubles anorexiques et, d’une certaine manière, sur une éthique de la vulnérabilité. Voici la présentation de l’ouvrage par l’éditeur :
«Le savoir nous permet-il de triompher du corps ? Ou ne serait-il qu’une science sans conscience ?
À 42 ans et pour la première fois, Michela Marzano évoque, dans ce récit original sous forme d’autoportrait, l’anorexie dont elle a été victime de longues années. Et bouscule d’emblée les idées reçues : ce que trop de gens croient une maladie est en réalité un « symptôme ». L’élément révélateur d’une douleur enfouie et latente. À partir de ce mal, l’auteure développe une réflexion aux allures d’introspection sur l’être, ses rapports au monde, à l’autre et à lui-même. Un discours centré sur l’humain. Et sa capacité à affronter la vie, à appréhender la mort, à convertir en énergie vertueuse, les passions qui le martèlent.
En fondant son discours sur sa propre expérience, de son enfance auprès d’un père obsessionnel et tyrannique à la dépression, des amours contrariées à la tentative de suicide, des jours passés en hôpital psychiatrique à l’enseignement de la philosophie, et en invoquant Kant, Kierkegaard, Freud et bien d’autres, Michela Marzano se révèle. La force du livre réside dans ce que le personnel fait écho à l’universel : en expliquant la peur, le doute, la haine de soi, la volonté d’être aimé ou l’aspiration à l’absolu.
Avec sensibilité et justesse, Michela Marzano lâche, en même temps qu’une souffrance trop longtemps tue, un cri de douleur domptée et d’espoir.
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Née à Rome en 1970, ancienne élève de l’ENS (Pise), philosophe, professeur des Universités en philosophie (Paris-Descartes), essayiste, Michela Marzano est l’auteure, entre autres, de Penser le corps (PUF, 2002), Le dictionnaire du corps (PUF, 2007), Extension du domaine de la manipulation (Grasset, 2008) et Le contrat de défiance (Grasset, 2011). Ses livres sont traduits dans plusieurs langues. »

L’idée d’humanisme, de l’Antiquité à nos jours
29/08/12
Mise à jour du 1er août 2013 : lire aussi notre article sur ce livre : «Quelle est l’humanité de l’homme ? À propos d’une oeuvre magistrale de Daniel D. Jacques»
Dans La Mesure de l’Homme, un volumineux ouvrage de 720 pages paru aux Éditions Boréal en avril 2012, le philosophe québécois Daniel D. Jacques retrace les mutations de l’idée d’humanisme, de l’Antiquité à nos jours.
Voici la présentation qu’en fait l’éditeur :
«Une crainte nous hante, nous, les modernes, celle que le développement technique et économique conduise à une perte de notre humanité. Trop d’information, trop de technologie, des activités et des masses humaines toujours plus imposantes font que notre monde nous paraît «démesuré». Mais à quelle aune jaugeons-nous cette démesure ? Quelle est donc cette «mesure» de l’être humain qui est à l’origine de ce sentiment ? À la manière de Charles Taylor, dans les travaux qu’il a consacrés à la genèse du « moi » ou à l’évolution du sentiment religieux à travers les âges, Daniel Jacques trace un vaste panorama historique où il suit le développement de l’idée d’humanisme depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Il montre comment l’humanisme est posé à la Renaissance comme un retour à la sagesse des Anciens, puis comment il est, à l’époque des Lumières, la mesure suprême de l’action et de la pensée des forces progressistes. Il montre enfin comment, à partir du XIXe siècle — et encore plus violemment dans la seconde moitié du XXe —, des critiques perçoivent l’humanisme non plus comme l’heureuse manifestation d’une liberté conquise de haute lutte à l’encontre des traditions passées, mais comme la cause même de cette démesure et du déclin du sens moral qui l’accompagne.
Puisant surtout dans les outils offerts par la philosophie politique, cette passionnante enquête sur l’humanisme permet de comprendre les différentes opinions entretenues au cours des siècles quant à la mesure de l’action humaine et ouvre sur une essentielle remise en question de notre condition morale et intellectuelle.
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Daniel D. Jacques enseigne la philosophie au collège François-Xavier-Garneau (Québec). Il a étudié à l’Université de Montréal (Ph. D) avant d’entreprendre des recherches postdoctorales à l’Université de Chicago et au Centre de recherches politiques Raymond Aron (EHESS). Il est membre fondateur de la revue Argument (PUL). Il a reçu le prix Victor-Barbeau (1999), décerné par l’Académie des lettres du Québec, pour son ouvrage Nationalité et modernité (Boréal, 1998). Il est aussi l’auteur de La révolution technique (2002) et de La Fatigue politique du Québec français (2008).»
On peut feuilleter le début de cet ouvrage, à partir de là.

Article de Natacha Giroux sur l’échec salutaire
15/08/12
«[…] nous vivons à l’ère où nous devons tous
et continuellement réussir.
[…] [Or] Dans une société qui condamne l’échec,
il devient tentant de se vautrer dans le déni,
d’être de mauvaise foi […]»
– Natacha Giroux, «Philo & Cie», pp.46-47
Notre collègue et amie Natacha Giroux a publié un fort intéressant article sur l’Apologie de l’échec salutaire dans le dernier numéro du magazine «Philo & Cie», qui a justement pour thème «Les vertus de l’échec» («Philo & Cie», no. 2, mai-août 2012). Partant des considérations de Jean-Paul Sartre, l’article de Natacha Giroux apporte un éclairage significatif sur les dimensions de l’échec – et du remord, et du regret –, ainsi que sur les effets insidieux de notre époque où l’échec est devenu l’un des grands tabous.
Outre le dossier thématique sur «Les vertus de l’échec», on peut aussi lire dans ce dernier numéro de «Philo & Cie» une rencontre avec la sociologue Céline Lafontaine (auteure de L’empire cybernétique et de La société postmortelle), un entretien avec Antoine Del Busso sur l’édition des livres savants, ainsi qu’un hommage au philosophe québécois Claude Lévesque.