L`agence de presse américaine Associated Press (AP) rapporte que le 7 août 2009 des archéologues italiens ont annoncé avoir mis au jour une vaste villa considérée comme le lieu de naissance de l`empereur romain Vespasien. L`archéologue Filippo Coarelli a annoncé que ces ruines vieilles d`il y a deux mille ans ont été découvertes à quelque 130 km au nord-est de Rome, près de Cittareale. Le complexe datant du 1er siècle, qui s`étendait sur 14,000 m2, se trouvait au centre d`un village antique, Falacrine, où Vespasien a vu le jour. Pour Coarelli, « C`est la seule villa de ce genre dans le secteur, et sans doute l`endroit où il est né. Avec sa décoration luxueuse et son sol faits de différents marbres venus des quatre coins de la Méditerranée, il est clair que ce genre de chose ne pouvait qu`appartenir à quelqu`un de riche ayant une importante position sociale. Et ici, il s`agissait des Flaviens, la famille de Vespasien ».
Repères biographiques
Vespasien (en latin Titus Flavius Vespasianus) est né près de Reate (auj. Rieti) le 18 novembre de l`an 9 après Jésus-Christ. Il fut empereur romain de 69 à 79; le premier empereur à n`être pas romain. Petit-fils d`un centurion (sous-officier dans la légion) et fils d`un publicain (son père était percepteur d`impôts), il était issu de la petite bourgeoisie de la Sabine (Italie centrale) et devait à ses mérites propres la confiance des princes julio-claudiens. Il représentait une classe nouvelle prête à assumer le pouvoir après l`ancienne noblesse républicaine épuisée et décimée. Or, rien ne le désignait particulièrement à l`Empire; sa résistance à la tyrannie de Néron (37-68 ap. J.-C.) avait été des plus modestes. Néanmoins, il apportait avec lui les qualités de couches sociales nouvelles, différentes de la brillante aristocratie d`où sortis les précédents empereurs et une partie de leur entourage. Aux yeux du peuple, il était le restaurateur d`un ordre bienfaisant troublé par les guerres civiles, et l`admiration et la reconnaissance populaires s`empressèrent de voir en lui les marques de la faveur divine.
Commence alors pour lui une carrière militaire. Il est préteur sous Caligula (12-41), commandant d`une légion en Germanie au temps de Claude (10 av. J.-C.–54 ap. J.-C.), et fait une brillante campagne en Bretagne, en 43. Après avoir servi en Thrace et en Bretagne, il fut élu consul, en 51, nommé gouverneur de l`Afrique, vers 62, puis commandant en chef en Judée, où il mata la révolte des Juifs, en 67-68. L`année 68 vit se produire un fait capital : trois empereurs successivement passèrent et disparurent (Galba, Othon, Vitellius). Le 1er juillet 69, à Alexandrie (Égypte), le général Vespasien fut proclamé empereur par les légions d`Orient et par celles du Danube alors qu`il dirigeait la guerre de Judée, mettant ainsi fin aux luttes sanglantes pour le pouvoir qui opposèrent Othon (32-69) et Vitellius (15-69) après la mort de Néron (37-68), ce dernier déclaré « ennemi public » et contraint de se suicider. Comme l`a vu l`historien romain Tacite (v.55-v.120), un empereur pouvait se faire ailleurs que dans Rome, et ne plus sortir de la famille julio-claudienne. Rapidement, il fut reconnu par les armées de Mésie, de Pannonie et d`Illyrie. Tandis qu`il restait en Orient, son général, Antonius Primus, envahit l`Italie, battit les armées de Vitellius à Bedriacum et à Crémone, puis s`empara de Rome. Il laissa alors le commandement militaire à son fils Titus (40-81 ap. J.-C.) et revint en Italie, à l`automne. En 70, en Gaule, il réprima la révolte du chef batave Claudius Civilis (1er s.) qui, profitant de la vacance du trône impérial entre Vitellius et Vespasien, suscita contre Rome une révolte des tribus germaniques auxquelles se joignit une partie de la Gaule sous la direction de l`officier romain d`origine gauloise Sabinus.
Restaurateur d`un ordre bienfaisant (restitutor) qu`avaient troublé les guerres civiles, il gagna vite l`admiration et la reconnaissance du peuple qui vit en lui les marques de la faveur divine. Il renforça la défense de l`Empire en réorganisant l`armée et en resserrant la discipline militaire. Il renforça la frontière du Rhin en annexant les Champs Décumates (région située entre le Main, le Rhin et le Danube). Il réorganisa l`Orient : la Judée fut réduite en province, la Commagène annexée à la Syrie en 72, la Cappadoce et la Petite Arménie absorbées par la Galatie. C`est lui qui fonda Ratisbonne et Vienne sur le Danube. Énergique et pondéré, Vespasien s`appliqua à rétablir l`ordre intérieur. Il redressa la situation financière par des économies et de nouveaux impôts qui lui permirent de réaliser de grands travaux publics. Par exemple, il reconstruisit le temple de Jupiter sur le Capitole, éleva le temple de la Paix (édifié après la victoire des Romains sur les révoltés juifs en 70 et que Pline l`Ancien considérait comme l`un des plus beaux édifices du monde), commença l`édification du Colisée (ou « amphithéâtre flavien »). Il remit aussi en état des aqueducs et des routes. Au lendemain de son avènement, il renouvela profondément le Sénat, qui avait été décimé par les guerres civiles, et il affaiblit l`opposition de l`aristocratie en favorisant l`entrée de parvenus, d`anciens officiers, de grands bourgeois provinciaux (surtout des occidentaux : Gaulois et Espagnols) dans le Sénat. Il déposséda le Sénat de la disposition des terres publiques pour les annexer à la couronne et les mettre en valeur systématiquement, suivant les méthodes hellénistiques.
Il se heurte alors à une forte opposition sénatoriale et doit faire face à des conjurations. Répugnant aux mesures sanguinaires mais excédé de se voir traiter en tyran, il dut cependant faire exécuter un sénateur influent Helvidius Priscus, (gendre du philosophe stoïcien Lucius Paetus Thraséas et lui-même partisan des stoïciens) qui est contraint de s`ouvrir les veines, en l`an 75. Auparavant en 71-72, Helvidius Priscus échappa au bannissement, sans doute en raison de la protection de Titus, le fils aîné de Vespasien, qui l`avait admis dans son intimité comme conseiller. Cette opposition rejoignit, en dehors du Sénat, l`hostilité de certains milieux intellectuels. Or, Vespasien se défie aussi des philosophes dont les audaces en paroles ont, dans le passé, inspiré bien des opposants en actes. Rencontrant alors l`opposition des philosophes et des rhéteurs, dont il trouve les remarques irritantes et superflues, il expulse donc de Rome, philosophes (stoïciens, cyniques) et astrologues, en 74. Démétrios le Cynique se met lui aussi de la partie, mais Vespasien se contente de l`exiler en compagnie de quelques autres.
D`ailleurs, sous le règne de Domitien (81-96), caractérisé par une forme exacerbée d`absolutisme, la fronde menée sous son père, Vespasien, par l`intelligentsia stoïcienne, va reprendre de plus belle, cristallisant autour d`elle l`opposition sénatoriale. Domitien ne manque pas de dénigrer les philosophes comme en témoigne les nombreuses vexations répertoriées ci-après. Pour les stoïciens et les adeptes du christianisme, tout chez Domitien les hérissait comme ses prétentions à l`auto-divinisation. Domitien réagit alors par la terreur. Sous ses ordres, on brûla des livres sur la place publique, ce qui était reconnaître l`importance des intellectuels. En 82, il fit exiler Dion Chrysostome (v. 40-111), rhéteur et philosophe grec connu sous le nom de Dion Prusius. Appartenant à une famille de Pruse, en Bithynie, il s`installe à Rome où il subit l`influence du philosophe stoïcien romain Musonius Rufus (25-80), moraliste à la mode en son temps. Banni de Rome et de Bithynie parce qu`il s`oppose à l`empereur Domitien, Dion Chrysostome parcourt la Grèce et l`Asie Mineure en propageant la philosophie des cyniques et des stoïciens. Dion Chrysostome représente donc le premier de ces sophistes et philosophes qui allaient subir une sévère persécution. En 85, Domitien fait tuer trois sophistes : Maternus pour avoir prononcé un discours d`école contre les tyrans, Rusticus Arulinus « parce qu`il philosophait et considérait Thraséas comme un saint », et Herennius Senecion pour avoir rédigé une vie d`Helvidius Priscus. À propos de Musonius Rufus, ce dernier est un chevalier romain d`origine toscane. À ce titre, il ne participe pas aux plus hautes charges. Toutefois, à la manière des cyniques (dont il imite la manière de vivre et utilise les moyens d`expression), il fait la morale au pouvoir ou aux partis qui se disputent la prédominance. Celui-ci haranguait les troupes de Vespasien en leur vantant, au risque de sa vie, les bienfaits de la paix et les horreurs de la guerre civile; il fut exilé. Il y a également le cas du philosophe stoïcien Épictète (50-125), esclave affranchi d`origine grecque et auteur des Entretiens, qui étudia aussi la philosophie stoïcienne avec Musonius Rufus, vécut et enseigna à Rome avant de subir le même décret de bannissement (senatus consultum ultimun), vers 93. Parmi les prêcheurs cyniques, certains étaient reconnus pour leurs mauvaises manières, leur manque de culture, leur grossièreté, leurs bouffonneries, leur vulgarité et leur obscénité. À ce titre, Dion Chrysostome mentionne le nom de Démétrius, qui avait auparavant accusé Néron, prit sur lui d`insulter l`empereur Vespasien (qui n`était pas un Néron). Vespasien ne prêta alors aucune attention à ce même Démétrius. En 93, Domitien édicta un senatus-consulte, c`est-à-dire une mesure générale d`expulsion : tous les philosophes devaient quitter immédiatement Rome et l`Italie.
À son accession, ayant trouvé les finances de l`État au plus bas, Vespasien pratique une politique de strictes économies, dont l`historien latin Suétone (v.69 – v.125 ap. J.-C.) et auteur des Vies des douze Césars tirera le portrait légendaire d`un empereur économe jusqu`à l`avarice, pour qui « l`argent n`a pas d`odeur » (Non olet !). En même temps, il concédait largement le droit de cité dans les provinces, préparant ainsi l`unification de l`Empire par la romanisation. Son avarice restée légendaire lui fit multiplier les taxes nouvelles dont la plus inattendue fut l`impôt sur l`urine (c`est-à-dire sur l`usage des latrines publiques). Ainsi, il taxa la collecte de l`urine par les fabricants de laine, qui l`utilisaient industriellement comme dégraissant. Il fut moqué par les classes supérieures qui donnèrent son nom aux toilettes publiques, les « vespasiennes ». Monarque absolutiste, il instaura le système de la succession dynastique en choisissant l`aîné de ses fils, Titus, pour successeur, cela malgré une forte opposition du Sénat. Titus fut détenteur de la puissance tribunicienne, pourvu de l`imperium proconsulaire, préfet du prétoire, sept fois consul avec son père, en même temps collègue et chef d`état-major du souverain. Fondateur de la dynastie flavienne, Vespasien lutta contre la décadence de la société romaine. Il accorda le droit latin à toute l`Espagne. Sentant la mort approcher, il se fit habiller et se leva, déclarant, en stoïcien : « Un empereur doit mourir debout ! » (Decet imperatorem stantem mori !). Il mourut, de mort naturelle, à Cutilias (en Sabine), le 23 juin 79.
La Vie intellectuelle sous Vespasien
La vie intellectuelle elle-même n`était pas étrangère à Vespasien qui n`avait pas eu le bonheur d`en profiter, Ainsi, des chaires de grammaire et de rhétorique (mais pas de philosophie) furent créées, bien rentées et nettes d`impôts. Selon l`époque de l`histoire de Rome, les professeurs (grammairiens, rhéteurs) sont payés par les parents de leurs élèves ou par l`État. Lorsque Vespasien crée les chaires de rhétorique grecque et latine, il fixe le traitement annuel des professeurs à 100,000 sesterces (unité monétaire du monde romain). Par comparaison, un soldat romain gagnait environ 900 sesterces par an.
Pour susciter les vocations, les empereurs, à partir de Vespasien, se sont aussi préoccupés d`accorder aux professeurs un certain nombre d`exemptions des charges municipales. De plus, les rhéteurs les plus réputés reçoivent des empereurs des marques honorifiques. Le rhéteur latin Quintilien (v. 30-v.100), qui fut précepteur des petits-neveux de Domitien (frère et successeur de Titus), fut le premier rhéteur à avoir été distingué par Vespasien pour occuper la chaire de rhétorique latine. Il reçoit de ce dernier les honneurs consulaires ainsi que le laticlave (bande pourpre qui ornait la tunique des sénateurs romains).
Durant le règne de Vespasien, on retrouve d`autres érudits. Il y a d`abord l`historien romain Tacite (v.55-v.120) qui entre dans la carrière administrative sous Vespasien. Ses ouvrages historiques sont pleins du souci de dénoncer la tyrannie de Domitien. Il y a également le général de l`armée et historien juif Joseph ben-Mattathias-ha-Cohen (37-v. 100) qui participe à la révolte juive contre Rome, à Jotapata, avant de se rendre. Devenu le protégé de Vespasien (auquel il prédit l`Empire et qui le libère dès que cette prédiction se fut réalisée) et de Titus, il prend le nom de Flavius Josèphe. C`est probablement à la demande de l`empereur Vespasien que Flavius Josèphe se fit l`historien des guerres des Juifs, payant ainsi le tribut de sa liberté et de ses propriétés. Installé à Rome, il recevra une pension impériale. En conclusion, on voit qu`au moment où l`Empire prend peu à peu conscience de ses périls et de sa vocation, les philosophes n`hésitent pas à participer aux crises politiques comme à l`évolution des idées sociales.
Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.