Jean-Marie Gustave Le Clézio
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Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.

Le romancier Jean-Marie Gustave Le Clézio s`est vu décerner le prix Nobel de littérature 2008, jeudi le 9 octobre dernier par l`Académie suédoise de Stockholm. Cette même institution, par le biais de son secrétaire permanent Horace Engdahl, a voulu saluer un « écrivain de la rupture, de l`aventure poétique et de l`extase sensuelle, l`explorateur d`une humanité au-delà et en-dessous de la civilisation régnante ». Il recevra un chèque de 10 millions de couronnes suédoises (1,02 millions d`euros ou 1,6 million de dollars canadiens), le 10 décembre prochain à Stockholm, jour commémorant l`anniversaire de la mort d`Alfred Nobel (1833-1896), industriel et chimiste suédois. Cette année, les noms des écrivains américains Philip Roth et de Joyce Carol Oates circulaient parmi les favoris du Nobel. Le Clézio est le 14e écrivain français à recevoir ce prix, si l`on compte le Nobel refusé par Jean-Paul Sartre en 1964. Il s`inscrit d`ailleurs dans la prestigieuse liste qui comprend François Mauriac, Albert Camus, André Gide et Henri Bergson. Les derniers Français lauréats de ce même prix furent Albert Camus (1957), Saint-John Perse (1960), Claude Simon (1985) et Gao Xingjian (2000), chinois naturalisé français qui écrit dans sa langue d`adoption.  

Âgé de 68 ans, Le Clézio est un conteur et un porte-parole. D`une extrême attention aux faibles, aux gens de peu, il a pris fait et cause pour les civilisations menacées. Son œuvre très diverse est dominée par les thèmes du voyage, de l`exil, des malheureux et de la nostalgie de mondes désormais perdus. J.M.G. Le Clézio est considéré comme un des maîtres de la littérature francophone contemporaine. C`est aussi l`un des auteurs les plus originaux et les plus discrets de sa génération.  

Réactions  

À l`annonce de sa nomination comme lauréat du prix Nobel, plusieurs témoignages et réactions furent recueillis.  Dans un communiqué, le président français Nicolas Sarkozy a déclaré : « Je lui adresse toutes mes plus chaleureuses félicitations au nom de tous les Français pour la récompense la plus prestigieuse qu`un écrivain puisse recevoir et qui honore la France, la langue française et la francophonie. […] Grand voyageur, il incarne le rayonnement de la France, de sa culture et de ses valeurs dans un monde globalisé où il porte haut les mots de la francophonie ». Pour sa part, le ministre français de l`Éducation nationale Xavier Darcos a exprimé « sa satisfaction personnelle de voir récompenser la singularité d`une œuvre qui, par la puissance de son style, a su entraîner chacun de ses lecteurs à embrasser les horizons les plus lointains, dans une inlassable quête des origines ». 

Du côté de la presse, plusieurs éditorialistes ont également réagi. Hervé Chabaud dans son éditorial du 10 octobre 2008 paru dans L`Union, journal de la région Champagne-Ardenne-Picardie, affirme que Le Clézio est un vrai Nobel qui n`a pas besoin d`être catalogué pour exister : « Cet arpenteur du monde est d`abord un écrivain dont les tourments et les commotions le conduisent à restituer cette authenticité de l`âme qui court sous une plume ordonnée et relevée et ouvre les portes des désordres du monde. S`il sait si bien décrire les déracinés, les déclassés et les humiliés de la Terre en autant d`empreintes de vie, la force de ses émotions réveille nos propres questionnements. […] Il y a dans son œuvre plein de petites graines de sagesse qui lèvent et sont une utile thérapie pour ne pas se laisser glisser vers la si commode fatalité des temps. Le Clézio, brillant et malicieux, est un témoin d`aujourd`hui libéré par l`écriture, un humaniste et un fils aimant capable de livrer avec une pudeur altière la sombre destinée de sa mère Ethel et de sa famille venues de l`île Maurice ». Pour sa part, Jean-Marcel Bouguereau mentionne dans le quotidien La République des Pyrénées que « L`œuvre multiforme de Le Clézio est perçue comme une critique de l`Occident matérialiste, avec une nostalgie de l`enfance et de la société préindustrielle, sous tendue par une attention constante aux faibles et aux exclus ».  

Séjour au Québec  

Le nouveau récipiendaire du prix Nobel de littérature vient d`effectuer un court séjour au Québec. Il s`est d`abord arrêté dans la capitale nationale, à Québec, le 13 octobre, à titre de membre du jury du Prix des cinq continents de la Francophonie pour remettre ledit prix au Théâtre Capitol. Le lauréat 2008 de ce Prix est l`écrivain français d`origine tunisienne Hubert Haddad pour son roman Palestine (Éd. Zulma). Le 15 octobre, il s`est rendu à l`université de Montréal. À cette dernière institution, il a participé à une table ronde organisée par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et le Centre interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises, que dirige Élisabeth Nardout Lafarge, professeure au Département des littératures de langue française. La rencontre s`est déroulée à l`Université de Montréal avec pour thème de débat, « L`enseignement des littératures nationales à l`université : impérialisme culturel ou identités plurielles ? ». Pour Le Clézio, « la nationalité n`est pas une dimension qui intervient au moment d`écrire. […] Il m`est resté cette idée que le nationalisme n`est pas quelque chose qu`on choisit, c`est plutôt une chose liée à des images, à une nourriture d`enfance, qui est donnée avec des contacts physiques ». Le 16 octobre, il a participé à une causerie en fin de journée à la Librairie Olivieri dans la métropole montréalaise. Le 17 octobre, il a ouvert le 26e Colloque des écrivains de l`Académie des lettres du Québec, sous le thème « Les littératures de langue française à l`heure de la mondialisation ». Il a de plus rencontré en privé quelques écrivains québécois.  

Repères biographiques  

Il naît le 13 avril 1940 à Nice (Alpes-Maritimes) dans une famille bretonne émigrée à l`Île Maurice au XVIIIe siècle, ancienne colonie française conquise par les Britanniques en 1810. En 1998, il expliquait au journal quotidien montréalais Le Devoir ce qui suit : « Je n`appartiens pas au sud de la France même si je suis né par hasard à Nice ». Son père Raoul Le Clézio est un médecin de brousse anglais et sa mère Simonne est française. Il passe les premières années de son enfance à Roquebillière, petit village situé sur la rive droite de la rivière Vésubie. Il est élevé par sa mère et sa grand-mère qui lui insufflent  un goût pour la lecture et l`écriture. Il grandit avec deux langues, le français et l`anglais. Il garde de ses origines un goût prononcé pour l`errance et n`a jamais cessé d`écrire depuis l`âge de sept ou huit ans. 

En 1948, il effectue un voyage en Afrique sur le cargo mixte Nigerstrom de la Holland Line pour y retrouver son père, médecin britannique en service pendant 22 ans au Cameroun anglophone et au Nigeria. C`est justement au cours de la traversée en bateau vers le Nigeria qu`il commence sa carrière d`écrivain en composant deux petits livres : Un long voyage et Oradi noir. En 1952, son grand-père maternel Alexis Le Clézio décède. En 1958, il est admis en Lettres Supérieures. En 1959, il est renvoyé d`Hypokhâgne par le professeur et essayiste français Jean Onimus (1909-2007). La même année, il se rend en Angleterre où il se fait recruter comme professeur de Lettres, à Bath (Somerset). Il s`inscrit alors à l`université de Bristol et présente une licence d`anglais. Cette dernière initiative s`avère toutefois un échec.  

En 1961, il obtient un certificat de grammaire et de philologie avec mention très bien. La même année, il se marie avec Rosalie Piquemal avec qui il a une fille, Patricia. En 1964, il soutient un mémoire en vue d`un Diplôme d`Études Supérieures à l`université d`Aix sur le thème : « La Solitude dans l`œuvre d`Henri Michaux ». En 1963, il reçoit le Prix Renaudot pour son premier roman Le Procès-verbal, alors qu`il a 23 ans. C`est le récit novateur d`un errant, Adam Pollo, qui " squatte " dans une villa inhabitée et tombe dans des états psychologiques extrêmes. Ce personnage tente vainement de trouver la clef de passage entre un univers personnel fantasmatique et les réalités du monde extérieur. En 1966, il publie Le Déluge, où il dénonce le trouble et la peur inhérents aux grandes villes occidentales. En 1967, il effectue son service militaire en Thaïlande en tant que coopérant, mais il est expulsé pour avoir dénoncé la prostitution enfantine. Il achève son service au Mexique. La même année, il publie L`Extase matérielle où il se pose la question de savoir si l`autre est un être humain ou une partie du monde.  

En 1970, il publie La Guerre où il affirme son aversion contre toute pensée destructrice. De 1970 à 1974, employé par l`Institut d`Amérique latine, il partage sa vie avec les Indiens Emberas (dans la province du Darien) et les Wounaans, au Panama : une expérience qui aura beaucoup d`influence sur son œuvre. Pendant une dizaine d`années, il vit à Jacona, au pied du volcan Paricutin. Cela lui permet de faire la connaissance des mythes anciens, de l`histoire et de la tradition des Amérindiens. En 1971, il publie Haï, qui est une réflexion inspirée d`un séjour auprès des Indiens du Panama. Cet essai constitue une nouvelle tentative d`« échapper à l`histoire » en proposant « un monde " primitif " comme " terminal "; c`est-à-dire comme solution.  En 1975, il épouse sa femme Jémia, originaire du Sahara occidental, et mère de sa deuxième fille Anna. La même année, il publie Voyages de l`autre côté, livre où il relate ce qu`il a appris en Amérique centrale. En 1977, il publie une traduction des Prophéties du Chilam Balam, ouvrage mythologique amérindien. À partir de 1977, il enseigne à l`université  d`Albuquerque au Nouveau-Mexique (États-Unis). En 1978, il ne peut accéder au poste de chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), en France. La même année, il publie L`inconnu sur terre, cet essai poétique représente une immense hymne à la vie et aux éléments. Il y consigne tous les moments heureux d`une existence éveillée.  

En 1980, il est lauréat du premier Grand prix Paul Morand décerné par l`Académie française pour son roman Désert, épopée sublime d`une jeune descendante de touaregs. Ce livre contient en effet des images grandioses d`une culture perdue dans le désert de l`Afrique du Nord, qui contrastent avec une description de l`Europe vue à travers le regard des immigrants indésirés. En 1983, il est titulaire d`un doctorat sur l`histoire ancienne du Mexique à l`université de Perpignan (Pyrénées-Orientales) en France. Sa thèse a pour thème « La relation de Michoacan ». Le Michoacan est un État du Mexique central proche du Pacifique. Il a enseigné dans plusieurs universités : Bangkok, Mexico, Boston, Austin.  En 1985, il publie Le chercheur d`or, premier livre de Le Clézio dont les épisodes se déroulent à l`île Maurice, et le premier librement inspiré de la vie du grand-père de l`écrivain.  

En 1990, il publie avec son épouse Jémia, Sirandanes (Seghers) qui est un recueil de devinettes proverbiales courantes à l`île Maurice. En 1991, il écrit Onitsha, dans lequel il part à la recherche de son enfance; il y évoque le Nigeria d`après-guerre, à l`époque coloniale. En 1992, il publie Étoile errante, où il s`interroge, à partir d`un épisode qui s`est déroulé près de Nice en 1943-1944, sur la destinée du peuple juif, comme lui à la recherche d`une identité et d`un territoire. La même année, il publie aussi Pawana, qui signifie « baleine » en langue nattick indienne. Il y peint une épopée terrible par laquelle il exprime sa vision de l`horreur. Celle de l`homme, le prédateur bien connu des baleines mais aussi de la race humaine. En 1993, il publie Gens des nuages (Stock), écrit avec son épouse Jemia d`origine Saharaouie. Le livre est consacré à la terre ancestrale de Jemia, la Saguiet el Hamra. En 1994, un sondage publié dans la revue littéraire française Lire le désigne comme « le plus grand écrivain vivant de langue française » devant Julien Green. En 1995, il publie La Quarantaine, qui se veut l`occasion d`une rêverie sur l`île de l`océan indien où son grand-père maternel fit un séjour forcé. En 1997, il reçoit le Prix Puterbaugh pour l`ensemble de son œuvre. La même année, il reçoit également le Prix de la Principauté de Monaco pour La Fête chantée. La même année, il publie Poisson d`or, qui raconte le sort tragique et vagabond d`une jeune fille.  

En 2003, il publie un roman autobiographique Révolutions, son quarantième livre, dans lequel il aborde de grands thèmes propres à l`ensemble de son œuvre : l`exil, le conflit des cultures et les ruptures de jeunesse. En 2004, il publie, aux Éditions Mercure de France, L`Africain, où il évoque la figure de son père, médecin de brousse anglais. En 2006, il publie Ourania, roman qui se veut une réflexion sur l`utopie et l`échec inéluctable de tout projet de cité idéale. En 2007, il signe l`important manifeste Pour une littérature-monde. En juin 2008, il remporte le prix littéraire suédois   " Stig Dagerman ", qui lui sera remis officiellement le 25 octobre 2008 à Stockholm. Il vient tout juste de faire paraître un nouveau roman intitulé Ritournelle de la faim (Gallimard). Marié et père de deux filles, il vit à Albuquerque, où il enseigne. Il se rend souvent à Nice ainsi qu`à sa maison bretonne de Sainte-Anne La Palud, dans le Finistère, en baie de Douarnenez.  

Ses écrits 

Son œuvre compte une cinquantaine de titres dans plusieurs genres, édités essentiellement chez Gallimard. Elle comprend des contes, des romans, des essais, des nouvelles, des traductions de mythologie indienne, des livres de photographie, des préfaces, des articles et des contributions à des ouvrages collectifs. Elle est perçue comme une critique de l`Occident matérialiste, mais avec une préoccupation constante aux faibles et aux exclus. Son écriture, aux dires des spécialistes, est classique et simple mais aussi raffinée et colorée. Le Clézio traduit dans son œuvre la diversité de ses origines, évoquant aussi bien l`Afrique (Onitsha, Désert) que le Mexique (Diego et Frida) ou encore l`océan indien (Le Chercheur, Voyage à Rodrigues). Son œuvre, qui se réclame à la fois des présocratiques, de Lautréamont, de Michaux et de Ponge, se déroule autour d`un double système : multiplication et identification, agression et survie, tragique de la vie et ombre portée de l`écriture. 

Dans son œuvre, on peut distinguer deux périodes. D`abord de 1963 à 1975, où ses romans et ses essais explorent les thèmes de la folie, du langage, de l`écriture, avec la volonté d`explorer certaines possibilités formelles et typographiques, dans la lignée d`autres écrivains de son époque (Perec, Butor). Il a alors une image d`écrivain novateur qui lui vaut l`admiration de Foucault ou Deleuze. Puis, une deuxième période se dessine à partir de la fin des années 1970, il opère un changement dans son style d`écriture et publie des livres plus apaisés, à l`écriture plus sereine, où les thèmes de l`enfance, de la minorité, du voyage, passent au premier plan. Il se tourne alors vers des horizons et civilisations qui lui sont chers et vers le thème de l`écologie. 

Le Clézio est aussi un écrivain écologiste engagé comme en attestent les romans suivants : Terra Amata (1967), Le Livre des fuites (1969), La Guerre (1970), Les Géants (1973). En parallèle, il publie également des essais méditatifs comme L`Extase matérielle (1967), Mydryase (1973) et Haï (1971). Il traduit aussi de grandes œuvres de la tradition amérindienne, comme Les Prophéties du Chilam Balam (1976). Il a de plus écrit des livres pour la jeunesse dont Lullaby (1980), Balaabilou (1985).   

Doris LessingRappelons que le prix Nobel de littérature 2007 fut décerné à la romancière britannique Doris Lessing.