Notre département de philosophie offre 4 cours de formation spécifique dans le programme Histoire et civilisation, dont le cours sur La vérité de la science.
Ce cours revêt une double visée : tenter de mieux comprendre la nature de la science et l’aventure de la science. En quête d’universalité, la science cherche à se dégager des contingences sociohistoriques de son activité. Il est donc d’intérêt de tenter, d’une part, de mieux saisir la nature de la science en tant que science, de mieux cerner ce qui fait le propre de sa quête, de ses moyens, de sa vérité. Mais d’autre part, pour mieux la comprendre et éviter de la désincarner et de la déformer en la transformant en «idole», il faut aussi interroger les liens entre l’essence de sa quête et son existence réelle, de même qu’interroger sa présence au sein d’un horizon socioculturel.
Repères généraux des aspects à couvrir :
1) Notions de base sur la science, ses territoires et ses limites
1-a) Les types de jugements sur la réalité
– Le jugement de fait
– Le jugement de goût/préférence
– Le jugement de valeur et le jugement d’interprétation
1-b) La science et le scientisme
– La confusion entre ce qui est (le fait) et ce qui se doit d’être ou mérite d’être (la valeur). Le piège du mot «normal» : ne pas confondre «fréquence de récurrence» (fait) et «acceptabilité» (valeur). Exemple tiré de dérives en sociobiologie avec le viol chez les canards.
1-c) La science, la dystopie et l’utopie : rêver en noir et blanc ?
– Remarques générales sur l’apparition de la dystopie : pourquoi après avoir voulu rêver le meilleur veut-on rêver le pire ?
– La science et l’imagination du «pire» dans la recherche d’une société «idéale» : les dystopies technoscientifiques. Exemples dans le cinéma de science-fiction (ex.Orange mécanique (1971), Bienvenue à Gattaca (1998), Minority Report (2002), etc.) et en littérature (ex. Le meilleur des mondes (1932) d’Aldous Huxley, 1984(1948) de George Orwell, etc.).
– La science et l’imagination du «meilleur» : les utopies technoscientifiques. Exemples des utopies posthumanistes de «L’Homme nouveau» (décennie 1930 : les arts face aux sciences de la vie, le politique et la montée en Europe des fascismes portés par l’idéologie de l’Homme nouveau) jusqu’aux utopies posthumanistes du «Nouvel Homme nouveau» (époque actuelle ; Cf enquête et ouvrage d’Antoine Robitaille).
1-d) La science et la religion
– Croire et savoir.
– La science et l’agnosticisme.
– Les litiges d’intérêts entre science et religion : exemple de l’Homme de Kennewick.
– Évolutionnisme et créationnisme : les aspects conceptuels de la problématique évolution/création et les aspects historiques (du créationnisme à l’Intelligent Design).
1-e) La science et la philosophie
– Éthique
– Théories de la connaissance, philosophie des sciences et épistémologie
1-f) La science et la technologie
– Confusions à éviter entre «sciences pures» et «sciences appliquées», entre science et savoir-faire.
2) La «méthode scientifique» est-elle un mythe ?
2-a) Est-ce qu’il y a une «méthode scientifique» par-delà ou en deçà des domaines scientifiques ?
– Clarification de la question.
2-b) Aspects philosophiques de la méthode scientifique
– Conviction que l’on peut comprendre le monde avec notre raison et conviction qu’il existe une réalité indépendante de nous-mêmes et de nos perceptions.
– Clarifications sur le cas des mathématiques et de la logique formelle. [ Cf le cours «Mathématica» ]
– Considérations à propos de 3 feuillets de réalité se superposant : distinction entre (1) la réalité du fait/événement, (2) la réalité de la perception du fait/événement (possibilité que chaque perception stylise) et (3) la réalité de l’explication du fait/événement.
– Considérations sur la «vérité des faits» et la «vérité des explications».
– Postulat matérialiste. (Remarques sur les propriétés émergentes.)
2-c) Le réductionnisme en science : ses grandeurs et ses misères
– Explications.
2-d) L’analyse causale : gérer une complexité multifactorielle
– Distinction entre «causes nécessaires» et «causes suffisantes»
– Distinction entre «causes immédiates» et «causes lointaines»
– Prédisposition, contrainte et cause active – Permettre, empêcher et causer
2-e) La science sans expérience ?
– La place de l’approche expérimentale en sciences
– Le critère de «Réfutabilité» (falsifiability) énoncé par Karl Popper
– La méthode comparative
– Hypothèses, prédictions, postdictions. Exemple de «l’âge de la terre».
2-f) L’esprit critique : 3 outils et 2 règles de conduite de l’esprit critique (pas seulement en science)
Les 3 outils :
– La flèche du fardeau de la preuve
– Le «Rasoir d’Occam» (ou le principe de parcimonie)
– La balance de Carl Sagan
Les 2 règles de conduite :
– Se méfier de son propre désir de croire
– S’incliner humblement devant les faits (la validation des faits, avant leurs explications)
3) Science, Être humain et culture
3-a) Sciences de la Nature, sciences humaines et sciences sociales : y a-t-il des «sciences dures» et des «sciences molles» ?
– Horizon des débats, des positions et de leurs implications.
3-b) Divisions disciplinaires : cloisons mentales ?
– L’Humain : sous le regard attentif autant des sciences de la Nature que des sciences humaines et des sciences sociales, ainsi que des «humanities».
– Exemple dans les «sciences du comportement» : biologie, biochimie et neurobiologie, éthologie et psychologie, phénoménologie et neurophénoménologie, origines du DSM-IV (et débats autour de la préparation du nouveau DSM-V), etc.
3-c) L’Humain : le défi de l’analysant analysé
– Prise en considération des défis et écueils tant du déterminisme que de l’indéterminisme pour la science.
3-d) La science : discours sur ce monde et dans ce monde
– Limites naturelles, conditions matérielles et technologiques, conditions sociohistoriques, horizons des «allants de soi» («taken for granded») et imprégnations culturelles.
– Exemple du contexte d’émergence de la cybernétique (Cf travaux de la sociologue Céline Lafontaine) et des «sciences cognitives» au 20e siècle.
3-e) Trois grands types de positions sur les rapports entre les divers domaines des sciences :
– Perspective de continuité entre les sciences de la Nature et les sciences humaines et sociales.
– Perspective de discontinuité entre les sciences de la Nature et les sciences humaines et sociales. Tentatives s’appuyant sur une distinction fondamentale entre «expliquer des causes» et «comprendre des motivations».
– Perspective de rupture avec l’idéal d’impartialité/objectivité, débouchant sur des visions sociopolitiques de la valeur des sciences (humaines et sociales), que certains qualifient de «relativisme postmoderne» ou de «subjectivisme politiquement motivé».
3-f) Les Cultural Studies et les Culture Wars
– Origines et justifications des Cultural Studies : aspects théoriques et aspects historiques. Hybridations et transdisciplinarité.
– Décennie 1960 : Richard Hoggard, fondateur en 1964 du Center for Contemporary Cultural Studies en Grande-Bretagne.
– Décennie 1970 : Développements aux États-Unis avec des apports de la French Théorie. La réception et l’interprétation étasunienne des thèses de Derrida, Deleuze et Foucault.
– Élargissement et internationalisation. Gender Studies, Women Studies,Postcolonial Studies, Media Studies, Visual Studies, etc.
– Une diversité complexe de positions et d’attitudes : comprendre et expliquer, sensibiliser, promouvoir et militer.
– [Film : Herbert Marcuse et la «New Left» (un tournant culturel plutôt qu’économique de la «libération»).]
3-g) Le conflit autour de l’idéal d’impartialité/objectivité en science : à rejeter en tant que mythe ou à maintenir en tant qu’idéal ?
– Exemple à décortiquer : le pamphlet publié en 1989 par l’American Council of Learned Societies (rédigé par six importants départements en sciences humaines aux États-Unis) vs le pamphlet de réplique publié en 1993 dans Daedalus, intitulé «Rationality and Realism. What is at Stake ?» (rédigé par John R. Searle, Pr. à la University of California, Berkeley).
3-h) Science, dérives hyperrelativistes, impostures et canulars
– Un Doctorat en sociologie décerné en 2001 par l’Université Paris V pour un plaidoyer en faveur de l’astrologie : polémique autour de la teneur de la thèse de doctorat de Germaine Teissier (alias l’astrologue Elizabeth Teissier) ; thèse sous la direction du Pr. Michel Maffesoli, reçue avec mention «Très honorable» par un jury universitaire en avril 2001.
– «L’affaire Sokal» : le pseudo article scientifique d’Alan Sokal publié en 1996 dansSocial Text (no 46-47, printemps-été 1996 ; revue publiée par la Duke University) et son article publié dans Lingua Franca (mai-juin 1996) pour lever le voile sur son canular. Le débat autour des «impostures intellectuelles» en sciences humaines et sociales que dénoncent Alan Sokal et Jean Bricmont.
– «L’affaire Bogdanov» : la science théorique comme non-sens spéculatif ? Suites et débats ; la position de Roman Jackiw (professeur au Center for Theoretical Physics du MIT, membre du jury de la thèse de doctorat en physique théorique d’Igor Bogdanov) : la physique théorique moderne ramenée à une esthétique ?
3-i) Le pragmatisme est-il une solution ?
– Pragmatisme technoscientifique ?
– Pragmatisme sociopolitique en sciences humaines et sociales ?
– Retour sur les trois grands types de positions sur les rapports entre les divers domaines des sciences.
4) Des *sciences* de la culture sont-elles véritablement possibles ?
4-a) Réflexions et discussions autour de l’essai de Joseph Melançon, Les sciences de la culture (Éditions Nota bene, 2002, 248 pages)
– Problématique
– La culture et la figurativité
– La culture et l’objectivation
4-b) Suite
– La culture comme mémoire
– La culture comme capital sémiotique
– La culture comme habitus
4-c) Suite
– La culture comme métaphore
– La culture comme conjoncture
– La culture comme axiologie
4-d) Suite
– La culture comme lecture
– La culture comme herméneutique
– Conclusion
Patrice Létourneau est enseignant en philosophie au Cégep de Trois-Rivières depuis 2005. Outre son enseignement, il a aussi été en charge de la coordination du Département de Philosophie pendant 8 ans, de juin 2009 à juin 2017. Il est par ailleurs l’auteur d’un essai sur le langage, le sens et l’interprétation (Éditions Nota bene, 2005), ainsi que d’autres publications avec des éditeurs reconnus. Il collabore à PhiloTR depuis 2005. (Article sur PhiloTR | Site personnel)