Le 6 mars 2009 est décédé d`un accident cérébral à l`âge de 85 ans, le philosophe et esthéticien français Olivier Revault d`Allonnes, à Tréguier, en Bretagne. Il fut rédacteur en chef puis codirecteur avec le philosophe français Mikel Dufrenne (1910-1995) de la Revue d`Esthétique. Il a d`ailleurs consacré l`essentiel de sa carrière à cette même discipline. Lecteur critique de l`« École de Francfort », il chercha à élucider de différentes façons les démarches par lesquelles les artistes créateurs font fonctionner les données de leur époque dans des directions nouvelles et imprévues. À cet égard, il joua un rôle décisif, en France, pour la connaissance de la pensée critique du philosophe et sociologue allemand Théodor W. Adorno (1903-1969) dans le contexte des années 1960 et 1970, dominé à ce moment par le structuralisme. Dans une entrevue accordée sur ARTE, il affirmait concernant ce qu`Adorno représentait pour lui, ce qui suit : « Adorno a dénoncé, par son marxisme ouvert et intelligent, les falsifications théoriques des stalinismes. Ce qui lui permet notamment de construire une esthétique qui légitime les révolutions des » avant-gardes » artistiques du XXe siècle, surtout en musique. Pour Adorno, la sociologie de la musique ne consiste pas à situer la musique dans la société, mais à déceler ce qu`il y a de social dans la musique, dans la partition, mais aussi les techniques, les instruments, les interprètes, les programmes, etc. ». Il était Officier titulaire de la Rosette de la Résistance française. Il était aussi l`arrière-petit-fils de l`écrivain français Ernest Renan (1823-1892), né dans la commune de Tréguier.
Comme d`autres esthéticiens contemporains (Lucien Goldmann, Pierre Francastel, Jean Duvignaud), il s`attache à l`analyse des rapports entre l`environnement, la forme artistique et le sujet créateur ou spectateur. De son côté, il draine la psychologie de la création vers plus d`existence sociale. En ce sens, il écrit : « L`esthétique n`est pas l`étude des productions matérielles de l`art; c`est la recherche des réalités dites » subjectives » au travers et à propos de ces productions matérielles ». Tirant la leçon de la psychologie comparée du psychologue français d`origine polonaise Ignace Meyerson (1888-1983), créateur de la psychologie historique, il réhabilite la subjectivité dans les études d`esthétique, tout en analysant l`acte de création dans son ancrage historique. À travers sa réflexion sur les pouvoirs de l`imaginaire artistique, principalement celui de la musique, il montre que l`art n`est pas seulement idéologie, mais intervention, et qu`il échappe en partie aux déterminations sociales.
Il naît le 30 juillet 1923 à Paris. En 1948, il passe l`agrégation de philosophie en même temps que Gilles Deleuze (1925-1995) et François Châtelet (1925-1985). Il restera proche de ce dernier. En 1961, il est maître-assistant à la Sorbonne. En 1972, il soutient sa thèse de doctorat d`État sur la création artistique. La même année, il enseigne la philosophie de l`art et de la culture à l`Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne). En 1975, il fonde le Centre de Documentation et de Recherche sur la Théorie Critique de la Société (CDRTCS) à l`Unité d`Enseignement et de Recherche (UER) de Philosophie de l`Université de Paris I. Depuis 1989, il était professeur émérite à l`Université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne). Au milieu des années 1990, il co-anime un séminaire avec le philosophe et germaniste français Marc Jimenez, professeur à l`Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne). Il participe aussi à de nombreux débats sur l`esthétique contemporaine et l`art, aux côtés du philosophe, historien de l`art et traducteur français Rainer Rochlitz (1946-2002) ainsi qu`avec le philosophe et traducteur français Christian de Bouchindhomme.
Parmi ses publications, on compte des monographies sur des compositeurs : Xénakis. Les Polytopes (Balland, 1975), Plaisir à Beethoven (Christian Bourgeois, 1982), Aimer Schoenberg (Christian Bourgeois, 1992), L`Œuvre et le concept (Klincksieck, 1992). Il a aussi rédigé : La création artistique et les promesses de la liberté (Klincksiek, 1973), Musiques. Variations sur la pensée juive (Christian Bourgeois, 1979). Il a également collaboré à divers ouvrages dont : La Révolution sans modèle (Mouton, 1974) avec François Châtelet et Gilles Lapouge;Le Sacrifice d`Abraham avec Marc de Launay et Stéphane Mosès (DDB, 2002); Alger, la Casbah et Paul Guion avec Magali Leroy-Terquem, André Ravillard et Georges Marçais (Publisud, 2005). De plus, il a établi des éditions critiques, d`une part des écrits du peintre, décorateur, dessinateur, graveur et écrivain français Maurice Denis (1870-1943) intitulé Morceaux choisis (Hermann, 1964). Tout comme de ceux du peintre, dessinateur et écrivain français Francis Picabia (1879-1953), soit Écrits (Belfond, 1975 et 1978, 2 vol.) en collaboration avec Dominique Bouissou. Il a également préfacé l`ouvrage du journaliste et essayiste d`origine polonaise Daniel Singer (1926-2000) intitulé À qui appartient l`avenir ? Pour une utopie réaliste (Complexe, 2004). Il a aussi codirigé avec Mikel Dufrenne chez 10/18, la collection » Esthétique » dans les années 1970.
Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.