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Patrice Létourneau est enseignant en philosophie au Cégep de Trois-Rivières depuis 2005. Outre son enseignement, il a aussi été en charge de la coordination du Département de Philosophie pendant 8 ans, de juin 2009 à juin 2017. Il est par ailleurs l'auteur d'un essai sur la création, le sens et l'interprétation (Éditions Nota bene, 2005) ainsi que d'autres publications avec des éditeurs reconnus. Il collabore à PhiloTR depuis 2005.

NDLR : nous reproduisons ici les notes de Patrice Létourneau, coordonnateur du Département de philosophie du Cégep de Trois-Rivières, pour sa participation à la table ronde sur «Le rôle de la philosophie et de son enseignement dans une société comme la nôtre», qui a eu lieu dans le cadre de l’État des lieux de la philosophie au Québec, du 22 au 24 novembre 2013.  Y sont abordés les enjeux de la formation générale au collégial, la place de la philosophie et de son avenir dans ce cadre qui pourrait être actualisé, de même que des considérations sur l’embauche, entre autres choses.  Ce texte est aussi disponible en version .pdf.

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Notes pour la table ronde sur

«Le rôle de la philosophie et de son enseignement dans une société comme la nôtre»

(Dans le cadre de l’État des lieux de la philosophie au Québec, 22 au 24 novembre 2013)

 

Patrice Létourneau

(Coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières)

1) La dimension sociopolitique des cours obligatoires de philosophie au Cégep

On ne comprend rien – ou si peu – aux cours de philosophie en formation générale obligatoire des Cégeps, si on ne comprend pas d’abord ce que signifie le fait que ces cours sont obligatoires pour tous, de la future hygiéniste dentaire à l’étudiant en design d’intérieur, en passant par la future diététicienne et le futur technicien en technologie de l’électronique industrielle comme la personne en logistique du transport.

Pour légitimer la place de la philosophie en formation générale obligatoire (je préfèrerais l’expression de formation fondamentale, mais bon, formation générale est l’expression adoptée par le Ministère), il faut nécessairement penser ce qu’elle peut apporter d’incontournable, de fondamental, pour la formation de tous les étudiants aux études supérieures, et ce, d’autant plus qu’en formation générale, les étudiants n’ont pas le choix de suivre ces cours.  En ce sens, la philosophie au collégial ne peut pas être coupée de son insertion culturelle au sein de la société québécoise et il faut toujours garder à l’esprit que ces cours sont assujettis à des devis ministériels.  Et, bien qu’un cours a une valeur qui ne peut pas être réduite qu’au politique, il y a nécessairement une dimension politique (au sens large) qui en découle.  C’est ce que je voudrais faire ressortir ici à deux niveaux, l’un beaucoup plus restreint touchant la tâche et l’attribution des cours, l’autre beaucoup plus large touchant à l’insertion sociopolitique et culturelle des cours de philosophie obligatoires dans la culture québécoise – qui touche à la formulation des devis ministériels, qui pourraient bien être ouverts pour une actualisation dans un avenir pas si lointain, la dernière réforme au collégial, la Réforme Robillard (du parti Libéral), datant de 1993-94.

a) Cours obligatoires et attribution des cours

Lors de l’appel de candidatures au groupe de travail du MESRST pour l’ajout du cours d’histoire en formation générale au collégial, un signal a été envoyé par le Ministère : il est possible que ce cours soit attribué dans les tâches en mode «multidisciplinaire».  Ce qui créerait un dangereux précédent en formation générale au collégial, mais aussi pour le maintient des cégeps en «enseignement supérieur».  Si les cours de la formation générale au collégial s’ouvraient à une attribution multidisciplinaire (plutôt qu’avec une discipline porteuse pour chacun des cours), malheureusement il y aurait une «secondarisation» de cet ordre d’enseignement, qui se rapprocherait de la situation du secondaire où des enseignants peuvent enseigner plusieurs disciplines sans avoir nécessairement une grande spécialisation disciplinaire.

En disant qu’un cours est général et qu’il ne demande que des connaissances générales sur le sujet, on se rapproche de la situation qui prévaut au secondaire.  Sauf exceptions (comme IPMSH par exemple, qui est de par nature une synthèse entre les diverses disciplines d’un programme), un cours à l’enseignement supérieur devrait être donné par une discipline spécialisée en ce domaine. Une approche multidisciplinaire peut avoir du sens dans un groupe de recherche universitaire, pour de la recherche, de même qu’elle peut se défendre (bien qu’avec plusieurs critiques) dans l’enseignement primaire et secondaire, mais elle n’a pas de sens pour un enseignement postsecondaire de la trempe de l’enseignement supérieur que représentent les Cégeps.  Qui plus est, une approche multidisciplinaire pour un cours collégial de «formation générale» participerait, à long terme, à un processus de dissolution du caractère spécifique des Cégeps par rapport à l’ajout d’une année au secondaire et d’une année à l’université, en laissant mourir lentement les Cégeps.

La gestion de tâche que cela impliquerait en pratique rendrait impossible l’équité entre les étudiants qui suivraient un même cours (avec même numéro de cours), mais le cours étant donné à certains groupes par un prof d’histoire, à certains groupes par un prof d’économie, à certains groupes par un prof de géo, à certains groupes par un prof de sociologie, à certains groupes par un prof de politique, etc.  Lorsque nous donnons un cours de formation générale, qui donc s’adresse à tous les étudiants du collégial, il faut réussir à aménager un espace qui permette à la fois la liberté académique du prof et à la fois des balises communes suffisamment précises dans leurs références afin d’assurer une réelle équité pour les étudiants.  Comme les étudiants ne choisiront pas la discipline d’origine de leur prof et comme les références académiques sont variables dans les sciences humaines, même si les objectifs et standards du devis sont clairs, en pratique un cours multidisciplinaire sera ingérable quant à l’équité pour les étudiants et leur formation.  Et cela ne ferait que décrédibiliser l’enseignement au collégial.

En ce qui concerne la formation générale actuelle, créer un cours de formation générale multidisciplinaire représenterait un dangereux précédent pour les autres (actuels) cours de la formation générale qui, sans être simplement supprimés, pourrait éventuellement aussi être ouvert à une répartition multidisciplinaire de leur enseignement.  Et ce, particulièrement pour les cours de philosophie et de littérature.  Par exemple, nous savons qu’il y a déjà eu des pressions pour que notre actuel cours «d’Éthique» ne soit plus réservé aux profs de philosophie, mais qu’il soit aussi donné par des profs des techniques qui parleraient des problèmes éthiques propres à leurs techniques, ou encore qu’il soit donné par des profs de droits, qui aborderaient l’éthique dans une approche de type «déontologie professionnelle».  Nous savons aussi que l’actuel cours sur «Les conceptions philosophiques de l’Être humain» a aussi déjà été la cible de pressions pour qu’il puisse aussi être donné par des profs de psycho.  En littérature, il y a déjà eu des pressions semblables pour leur dernier cours qui en est un de «formation générale spécifique» (quel choix de mots!).

Mais cette interprétation de la potentielle ouverture à une attribution de tâche «multidisciplinaire» en formation générale n’est pas la seule possible.  Une autre voie qui pourrait être envisagée serait d’offrir aux étudiants une banque de cours au choix en formation générale.  Dans cette optique, un étudiant pourrait, par exemple, choisir soit un cours d’histoire du Québec contemporain, soit un cours de politique du Québec contemporain, soit un cours de philosophie.  En apparence, cette option pourrait sembler tentante, puisqu’elle restreint le choix des cours à une banque de cours jugés fondamentaux, tout en laissant une liberté à l’étudiant.  En pratique cependant, cette approche serait désastreuse.  Cette approche amènerait les disciplines à insidieusement se compétitionner entre elles et, les étudiants étant craintifs de faire le moindre choix qui pourrait nuire à leur «cote R» (devenue une véritable obsession!), à terme la compétition ne serait plus entre le meilleur cours, mais entre celui plus facile qui assure une meilleure note pour la «cote R» (avec tout le floue que cette cote a pour les étudiants, qui en plus la comprennent souvent mal).  D’un point de vue éducatif, ça serait désastreux.  Notons aussi que l’étudiant qui «choisirait librement» parmi ces cours ne le ferait pas en connaissance de cause, puisqu’il n’aurait jamais eu de cours au Cégep, surtout ceux de philosophie, ce qui l’empêcherait de choisir de manière éclairée et critique à l’égard de l’individu qu’il va/veut devenir, avec la formation qui lui conviendrait le mieux.  Par ailleurs, pour ceux qui s’intéressent seulement aux coûts et à l’administration, notons qu’au niveau de la gestion du personnel, ça serait difficile à gérer, puisque d’une année ou session à l’autre, il pourrait y avoir des fluctuations notables dans les choix de cours, ce qui pourrait engendrer des MEDs sporadiques ou saisonniers aux frais de l’État.

b) La dimension sociopolitique des cours, par-delà leur valeur en soi

Il ne s’agit pas ici de prétendre que les cours de la formation générale obligatoire en philosophie puissent se réduire au politique, mais plutôt de faire prendre conscience que malgré la valeur des connaissances en elles-mêmes de ces cours, il y a d’inévitables dimensions politiques/sociales/culturelles qui en découlent – et que cela n’est pas sans incidence sur «l’utilité» (pris ici au bon sens du terme, et non pas au sens de l’utilitaire immédiat rapidement désuet) que peuvent revêtir ces cours pour la formation fondamentale des jeunes qui passent par la fréquentation de ces cours.

Pour mieux le faire ressortir, je vais partir d’un exercice de pensée.

Supposons que dans la foulée de l’implantation du nouveau cours d’histoire en formation générale au collégial, le Ministère, dans son élan, nous convie à l’hiver pour une réflexion sur l’ensemble de la formation générale obligatoire / complémentaire / optionnelle au collégial.  Ce qui serait tout de même conséquent, puisque l’implantation du nouveau cours d’histoire nous amène à puiser dans les derniers recours des cours complémentaires et que, du coup, ça remet en cause des principes de base du rapport Parent, ce qui conduit inévitablement à réinterroger la formation générale.  Et supposons qu’en faisant cela, on soit convié à réfléchir à l’utilité de ce qui est proposé dans cette formation générale dans les cégeps.

Ça fait bien des hypothèses, mais prenons-les comme un exercice de pensée qui, en mettant en contraste l’état actuel de nos devis avec ce qu’ils pourraient aussi être, aidera à mieux faire ressortir la dimension sociopolitique de ces cours – et à faire prendre conscience qu’il y a toujours cette dimension qui découle des devis de cours, et ce, même si les cours sont dispensés de la manière la plus neutre possible par les profs.

Mais au préalable, rappelons que les actuels devis des trois cours de philosophie au collégial imposent un modèle de dissertation : dans le premier cours c’est une dissertation argumentative d’un minimum de 700 mots, dans le deuxième c’est une dissertation comparative d’un minimum de 800 mots, et dans le troisième cours c’est une dissertation de mise en application d’un minimum de 900 mots.  La principale vertu de ces dissertations imposées est de faciliter les comparaisons lors de la notation des étudiants.  Mais ces dissertations comportent en revanche plusieurs défauts, le principal étant que ce sont des modèles d’écriture artificiels.  Personne n’écrit en suivant une telle structure, pas même les philosophes eux-mêmes.  Apprendre à respecter ces modèles de dissertation en tant que tels ne développe pas vraiment de compétences transférables, sauf peut-être celle d’apprendre à se conformer à des directives artificielles qu’une hiérarchie peut imposer.  Or, comme la PIEA impose que l’épreuve-synthèse du cours ait une pondération élevée (souvent autour de 40%), ceci fait en sorte que le prof, pour ne pas envoyer ses étudiants à l’abattoir, doit prendre beaucoup de temps en classe pour organiser l’enseignement de telle sorte que la matière puisse s’insérer dans le modèle des dissertations.  Imaginons cependant que dans une actualisation des devis, l’imposition de ces dissertations soit enlevée.  Ça libèrerait du temps d’enseignement, mais surtout ça laisserait beaucoup plus de place au développement d’autres approches pédagogiques/méthodologiques, telle que l’analyse de textes philosophiques, dont les compétences méthodologiques acquises seraient beaucoup plus facilement transférables – et, en ce sens, ce serait plus utile à la formation fondamentale des étudiants, qui peinent trop souvent à bien décortiquer l’articulation des idées d’un texte.

Le devis du premier cours de philosophie indique que l’étudiant doit «traiter d’une question philosophique», mais que ce traitement doit tenir compte de «la contribution de philosophes de la tradition gréco-latine au traitement de questions».  Il faut aussi initier les étudiants à ce qu’est la philosophie, de même que les initier à une structure argumentative (et de conceptualisation) rigoureuse.  Sans entrer dans les détails des compétences du cours, retenons que les philosophes de l’Antiquité gréco-latine doivent y occuper l’essentiel de la place dévolue aux philosophes.  Les profs au collégial ayant une liberté académique (heureusement, puisque l’on éduque bien en suivant ce que l’on est et l’exemple que l’on incarne), ce ne sont pas toujours les mêmes philosophes qui sont abordés.  Mais comme il s’agit d’un cours d’introduction, et comme il faut aussi faire saisir aux étudiants l’intérêt actuel de la philosophie tout en développant leur flamme pour ça, disons que les questions purement métaphysiques ne sont pas un choix fréquent et que, malgré la diversité, revient habituellement des considérations sur la période près des préoccupations socratiques, de même que des considérations sur la période hellénistique.  Dans le premier cas, que ce soit en passant par la méthode socratique et la délibération/remise en cause des évidences de la doxa, par la question des vertus chez Aristote, par le questionnement de la démocratie chez Platon (etc.), tout ceci a une dimension sociopolitique d’éducation à la citoyenneté.  Pour ce qui est de la période hellénistique, ce qui caractérise cette période, c’est la perte de l’autonomie politique des Cités avec la formation de l’Empire – avec, pour ce faire, la mise en place d’une vision cosmopolite (le citoyen devant se considérer d’abord comme citoyen du monde, avant de considérer les hasards de son enracinement).  Et dans ce contexte, pour répondre à la fois à cette perte de rapport direct au politique et de perte des repères identitaires, la question du bonheur prend une grande place, aidant à se construire une «forteresse intérieure».  Le parallèle d’actualisation que les étudiants font alors assez spontanément, c’est un parallèle avec la mondialisation.  En quelque sorte, bien que je ne crois pas que ça ait été visé volontairement/intentionnellement, ceci prédispose les étudiants à vivre assez bien avec une vision néolibérale dans un contexte de mondialisation, de multiculturalisme et d’individualisme.  Nous pouvons faire varier les positions philosophiques de l’Antiquité gréco-latine sur la question du bonheur, mais pour l’essentiel on reste dans ce mouvement général et il n’y a rien de substantiel dans la philosophie Antique qui présenterait un contrepoids à ces éléments induits (cosmopolisme, multiculturalisme, réalisation de soi pour soi-même comme une œuvre d’art individuelle…).  Afin de mieux faire ressortir l’inévitable effet sociopolitique des cours obligatoires, imaginons que le devis est modifié et que l’obligation de couvrir l’époque de l’Antiquité gréco-latine soit enlevée.  On peut imaginer que les philosophes grecs ne seraient pas totalement exclus des choix d’enseignement, ne serait-ce que pour situer des moments importants des débuts de la philosophie.  Mais on peut imaginer qu’il pourrait aussi y avoir une place importante pour des philosophes de l’époque contemporaine.  Imaginons qu’y est par exemple expliqué/synthétisé l’essentiel des travaux philosophiques contemporains qui tracent un lien entre langage, pensée et communauté, ou entre rationalité et enracinement des «pris pour acquis», on serait dans un effet sociopolitique différent, surtout pour le Québec et sa position linguistique dans la démographie Nord-Américaine (et ce, que l’on soit indépendantiste ou fédéraliste).  De même qu’en initiant à certaines critiques du rapport entre Justice et Pouvoir (Foucault) ou certaines critiques du rapport à l’économie culturelle (École de Francfort), ou la déclaration d’indépendance intellectuelle des états-uniens (Emerson), on toucherait à des aspects différents de l’éducation à la citoyenneté et au regard que l’on peut porter sur les défis de notre temps.

Le devis du deuxième cours de philosophie indique que l’étudiant doit «discuter des conceptions philosophiques de l’être humain» en les comparant afin de faire ressortir les différences et les convergences.  Par exemple, un étudiant pourra être amené à comparer les conceptions de l’être humain de Nietzsche et de Sartre à partir des notions de déterminisme et de liberté.  Le devis demande aussi une prise en considération du contexte de l’époque propre à ces conceptions, mais étant donné que la finalité est la comparaison des conceptions de l’Humain, le contexte historique aide surtout à comprendre pourquoi tel ou tel philosophe aborde la question sous tel ou tel aspect, ou avec telle ou telle méthode.  Mais en revanche, les impacts sociaux de l’adoption de telle ou telle conception de l’être humain ne trouvent que peu d’échos étant donné l’articulation du devis.  (Notons ici que certains disent qu’il y a un lien entre conceptions de l’être humain et éthique, mais quoique ça ne soit théoriquement pas faux, l’articulation du devis du 2e cours et du devis du 3e cours ne permet pas vraiment aux étudiants de bien voir ce potentiel lien – et d’ailleurs, le Ministère considère que le 2e cours de philo (sur l’Être humain) n’est pas un préalable au 3e cours de philo (éthique appliquée au champ d’études de l’étudiant), ce qui techniquement signifie qu’un étudiant qui n’a jamais suivi le 2e cours a le droit de s’inscrire au 3e cours tout en pouvant s’attendre à tout de même pouvoir bien le comprendre et le passer).  Bref, même s’il y a une prise en considération du contexte historique (pour éclairer la pensée du philosophe), les impacts sociaux de l’adoption de telle ou telle conception de l’être humain ne trouvent que peu d’échos étant donné l’articulation du devis.  L’impact sociopolitique d’un tel cours est dans le meilleur des cas une ouverture au pluralisme des conceptions de l’Humain, mais dans le pire des cas, ça induit surtout un relativisme par rapport à ce que l’on peut penser de l’Être humain. Encore ici simplement afin de mieux faire ressortir l’inévitable effet sociopolitique des cours obligatoires, imaginons que le devis est modifié et que l’aspect de comparaisons tel que formulé soit remplacé par le besoin de relier les conceptions de l’Être humain à la visé humaniste (ou antihumaniste) que ça véhicule avec ce que ça implique pour les finalités humaines ou les projets de société (projets de finalités éducatives, projets sociaux ou politiques, etc.).  Plutôt que de simplement comparer Nietzsche et Sartre autour du tandem déterminisme-liberté par exemple, pourrait être mis en contraste des ensembles plus englobants.  Par exemple, en voyant comment la conception de l’Humain prend forme dans le projet des Lumières et de ses idéaux de progrès et d’émancipation ; en voyant comment par contraste dans le postmodernisme l’idée même de progrès, de grand récit, d’émancipation collective ou même de projets de société sont remis en question (note : le livre «La condition postmoderne» (1979) de Jean-François Lyotard étant d’abord le fruit d’un «Rapport sur le savoir au XXe siècle» commandé par le gouvernement de René Lévesque – voir http://www.cse.gouv.qc.ca/fichiers/documents/publications/ConseilUniversite/56-1014.pdf) ; en examinant comment ces questions se posent dans le contexte de l’hypermodernité, etc.  Je ne vais pas plus loin, puisqu’il ne s’agit pas ici d’imaginer comment pourrait être actualisé le devis du cours, mais qu’il s’agit d’abord de souligner que la manière dont on aborde la question de l’Être humain peut avoir des effets sociopolitiques variables, et qu’une bonne part de la manière dont c’est abordé ne relève pas du choix individuel du professeur, mais de l’articulation de base du devis.

Le devis du troisième cours de philosophie indique que l’étudiant doit «Porter un jugement sur des problèmes éthiques et politiques de la société contemporaine.», mais avec la précision que l’étudiant doit pouvoir «appliquer des théories philosophiques, éthiques et politiques à des situations actuelles, choisies notamment dans le champ d’études de l’élève».  Dans le cas du devis de ce cours, je ne crois pas qu’il soit nécessaire que j’élabore pour que l’on comprenne que l’un des effets sociopolitiques du cours d’éthique qui doit considérer les champs d’études des étudiants se joue au niveau de la bonne et responsable insertion socioprofessionnelle des étudiants dans leur futur travail, alors que l’effet sociopolitique du cours pourrait évidemment être d’autres natures si à la place on laissait davantage la place à l’éthique sociale ou à la philosophie politique, par exemple.  À ce sujet, il faut bien prendre toute la mesure de ce phénomène étrange qui fait en sorte que paradoxalement, plus l’enseignement de l’éthique se veut «concret», et moins c’est «utile».  Car l’éthique qui «focus» trop sur des cas particuliers en vient à passer plus de temps sur les éléments singuliers du cas appliqué que sur les concepts et principes fondamentaux des éthiques, qui eux représentent l’acquisition de compétences qui peuvent être plus aisément réinvesties par la suite pour des cas inédits et des défis à venir.

2) L’insertion de la philosophie dans des cours-programme au Cégep

L’implantation d’un programme au Cégep implique le respect de certaines contraintes ministérielles, mais aussi certaines libertés où se joue non seulement des enjeux de formation et de distinction du programme, mais aussi des rapports de forces ou de négociations dans la détermination de la future attribution de certains cours à certaines disciplines plutôt qu’à d’autres.  Pour ne pas simplement être mis à l’écart, il est préférable que les gens en philosophie prennent part activement à l’implantation de programmes pour que leur discipline y ait une place.

3) Les cours optionnels de philosophie au Cégep

Actuellement, il ne reste aux étudiants que deux cours complémentaires (lorsqu’ils en ont encore, puisque certains programmes n’ont pas de cours complémentaires, mais plutôt des cours optionnels).  Bien que tout ne soit pas sombre (notre département a, par exemple, réussi à implanter un cours de latin offert à 34 étudiants à cette session – actuellement le seul cours crédité de latin dans tout le réseau collégial), il reste qu’étant donné que les étudiants ont peu de cours complémentaires et que tous les départements en offrent, cette situation d’offre beaucoup plus grande que la demande assortie d’une volonté des étudiants de ne pas risquer de faire baisser leur «cote R» fragilise le sens des cours complémentaires au collégial (un cours trop exigeant risquant de simplement disparaître, faute d’un nombre suffisant d’inscriptions, et ce, au bénéfice d’un cours par exemple sur la chimie du vin, sur la potentialité de «vies» extraterrestre ou sur le sexe et la drogue dans une perspective sociologique).  Voir, par ailleurs, ce qui a été dit plus haut au sujet des tâches et des disciplines d’attribution, dont la perspective d’une banque de cours.

4) La question de l’embauche en philosophie au Cégep

Il faut savoir que le processus d’embauche au collégial est conventionné.  Suivant la convention collective, ce processus doit inclure à chacune des étapes trois profs du département concerné (dont, habituellement, le coordonnateur), ainsi qu’une coordinatrice des ressources humaines et la Directrice des ressources à l’enseignement.  Une règle établie par notre direction (mais je crois que c’est la norme dans plusieurs autres collèges), c’est que la personne qui pose sa candidature doit au minimum détenir un bacc spécialisé dans la discipline pour laquelle elle postule.  Donc, en ce qui nous concerne, un bacc spécialisé en philosophie, et non pas une propédeutique en philosophie.  Cette décision du collège est soutenue par la vaste majorité des membres du département, car c’est au bacc que l’étudiant peut se former la vision la plus large possible de la philosophie, ce qui est utile pour enseigner divers cours obligatoires en philosophie (cours qui pourraient d’ailleurs changer et qui pourraient faire appel à d’autres compétences philosophiques), pour enseigner des cours de philosophie spécifiques à des programmes (cours-programme de philosophie des sciences (et de leurs rapports avec la culture), de philosophie de la religion, d’idées architectes, de même que de philosophie de l’histoire dans le programme d’Histoire-Civilisation, par exemple), de même que des cours complémentaires en philosophie.

Malheureusement, plusieurs départements universitaires ne semblent pas comprendre cette réalité et suggèrent à des étudiants en provenance d’autres disciplines de compléter simplement une propédeutique en philosophie pour accéder plus rapidement à la maîtrise (pourquoi?  Pour simplement renflouer le plus rapidement possible les rangs des étudiants aux cycles supérieurs?  Mystère…?).  Or, ce n’est pas rendre service à ces étudiants, puisque leur propédeutique ne sera ensuite habituellement pas jugée suffisante pour enseigner la discipline au collégial (sauf s’il y a pénurie d’autres candidatures de qualité au moment du besoin d’embauche, mais dans ces cas, du moins à notre Cégep, les ressources humaines ajoutent une clause au contrat d’embauche, comme quoi la personne ne pourra pas obtenir sa permanence si elle ne complète pas sa propédeutique pour la transformer en bacc spécialisé dans la discipline enseignée).  Outre le cas problématique de la propédeutique, il y a aussi prolifération depuis quelques années de plusieurs bacc multidisciplinaires qui posent ce problème : par exemple un bacc. combiné en philosophie et littérature, loin d’ouvrir les portes pour l’enseignement au collégial dans ces deux disciplines, ne sera pas suffisamment spécialisé pour être embauché en philosophie ou en littérature (contrairement à ce que l’on observe au secondaire où un même bacc. conduit à enseigner dans des disciplines variées, au niveau d’études supérieures que représentent les cégeps, il faut une formation disciplinaire concentrée).

Une fois l’exigence minimale du bacc spécialisé en philosophie remplie, la plupart des départements au collégial vont exiger une maîtrise, soit complétée, soit en voie de l’être, pour que le dossier puisse conduire à un appel en entrevue.  Les cours de la maîtrise (ou du doctorat) étant plus pointus, ils ne peuvent pas remplacer la connaissance plus large de la philosophie acquise dans le bacc spécialisé.  Par contre, toutes les compétences développées à la maîtrise sont fort utiles pour assurer l’autonomie des profs au collégial qui ont à monter plusieurs cours en respectant les devis ministériels, mais sans être dépendant des manuels.

Pour ce qui est du doctorat, des profs à l’université m’ont déjà fait part d’une rumeur disant qu’un doctorat ou une scolarité doctorale peut nuire au candidat.  Je peux dire que c’est faux (la raison la plus souvent entendue, c’est que le salaire est alors plus élevé, mais ça n’a pas d’incidence, puisque ce n’est pas les membres du comité de sélection qui doivent gérer la mécanique de rétribution en fonction des diplômes obtenus et que les critères de sélection portent sur les aptitudes des candidats à bien remplir la tâche qui sera la leur).  Du moins à notre cégep, lors des appels en entrevue, nous tentons d’avoir un certain équilibre dans la diversité des profils appelés en entrevue (ce qui inclut des gens qui ont un doctorat, et d’autres qui n’en ont pas).  Par contre, je vais nuancer lorsque je disais que c’est faux.  Ce qui est malheureux, c’est qu’une fois en entrevue, il arrive que des détenteurs de doctorat manifestent une hyperspécialisation tout en manifestant une incompréhension des devis des cours au collégial et de la réalité du niveau des étudiants qui arrivent au cégep à 17-18 ans.  La convention collective prévoit que lors de ces entrevues, il y ait une simulation de cours d’une dizaine de minutes sur un sujet donné à l’avance aux candidats, qui doivent faire comme s’ils s’adressaient aux étudiants du cours, et malheureusement c’est là que le décalage se remarque souvent – certains ne se donnant même pas la peine de tenter de s’adresser à des étudiants du collégial, d’autres manifestant malheureusement une tendance monomaniaque visible pour qu’un sujet hyperspécialisé.  Mais dans ces cas, ce qui nuit au candidat, ce n’est pas son doctorat en tant que tel.  Par contre, comme ça arrive souvent, on sait que si on fait des entrevues pendant deux jours, on ne peut pas convoquer que des détenteurs de doctorat lors de ces entrevues ne serait-ce que par mesure de prudence, d’où un certain équilibre dans la diversité des profils lors de la sélection des candidats qui seront appelés en entrevue (certains avec un doctorat, d’autres non).