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Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.

L`année 2015 marque le 70e anniversaire de la libération du camp de concentration et d`extermination d`Auschwitz (Oświẹcim), en Pologne.  En effet, c`est le 27 janvier 1945 que le camp d`Auschwitz (déserté par les SS depuis le 24) où il reste environ 7,000 prisonniers, est libéré par les soldats de l`Armée rouge, soit la 332e division de fusiliers soviétiques. À cette date, les camps de l`immense complexe concentrationnaire d`Auschwitz sont déjà largement vidés de leur population de détenus. Or, de nombreux détenus (Häftling) avaient été évacués par les SS (Schutz Staffel) vers deux autres camps de concentration nazis en Allemagne, soit Buchenwald et Dora à partir du 17 janvier. Ainsi, les 18 et 19 janvier, par un froid polaire, alors qu`ils restent 31,894 prisonniers à Auschwitz I et Auschwitz II-Birkenau, 35,118 prisonniers à Auschwitz III-Monowitz et dans les camps satellites, 58,000 d`entre eux sont jetés sur les routes vers d`autres camps par les SS dans ce que les prisonniers nomment la « marche de la mort », mort d`épuisement et de faim, ou d`exécutions massives.  En avril, les troupes anglo-américaines ouvrent les camps de Buchenwald, Bergen-Belsen, Flossenburg, Oranienburg-Sachsenhausen, Dachau, Ravensbrück, Mauthausen. Dans l`Histoire, Auschwitz, lieu de mémoire, est devenu le symbole de la barbarie et du génocide des Juifs d`Europe (Shoah, « destruction », « catastrophe »).

 

Auschwitz-Libération

 Libération d`Auschwitz en 1945

 

Auschwitz, est le plus grand complexe concentrationnaire construit pendant la Seconde Guerre mondiale par le régime nazi. Aménagé par les nazis entre 1940 et 1945 (sur 42 km2),  il est situé  près de la  ville polonaise d`Oświẹcim au S.-E. de Katowice (important nœud ferroviaire en Haute-Silésie) C`est là que sont tués, dans des chambres à gaz et des fours crématoires conçus à l`échelle industrielle et qui en font la plus horrible entreprise d`extermination de l`histoire, environ 4 millions de détenus en majorité des Juifs et des Polonais de tous les pays occupés. Néanmoins, il est très difficile d`établir le nombre exact des personnes disparues. Selon les différentes estimations, on peut cependant avancer celui de 1,100,000;  dont 960,000 étaient des Juifs. Du moins, c`est ce que l`on peut lire dans l`ouvrage de Franciszek Piper, historien au musée d`Auschwitz, intitulé Auschwitz, How many perished Jews, Poles, Gipsies (Cracovie, 1991). Seul une infime minorité a échappé à la mort (30,000 environ) selon Raul Hilberg (1926-2007), historien et politologue juif américain d’origine autrichienne et spécialiste de la Shoah de réputation mondiale. En 1961, Hilberg publie chez Yale University Press, La Destruction des Juifs d`Europe (Fayard, 1988; Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1991 et 2006). Par ailleurs, 250,000 non-juifs, en majorité des Polonais, et 21,000 Tsiganes, ont péri dans le camp.

 

Auschwitz désigne trois camps principaux : un camp de concentration (Auschwitz I), un camp d`extermination (Auschwitz II-Birkenau) et un camp de travail (Auschwitz III-Monowitz). L`un d`eux, Birkenau (Auschwitz II), avec quatre grandes chambres à gaz, devient le lieu où l`extermination (« Solution finale ») du peuple juif atteint jusqu`à 20,000 incinérations par jour. À Auschwitz même (Auschwitz I), les détenus servent de cobayes aux expériences in vivo des médecins SS; d`autres travaillent à Monowitz (Auschwitz III) pour l`usine de la société allemande IG Farben qui produit de nombreux produits chimiques.

 

En 1944, Auschwitz  est le seul camp qui tourne encore à plein régime. Des convois arrivent de l`Europe entière. La majorité des déportés sont directement conduits vers les chambres à gaz. Le démantèlement des installations de mise à mort est ordonné par Himmler en novembre 1944.

 

Le camp d`Auschwitz n`a pas échappé à des mouvements de révolte, comme le montre la révolte des juives dans le vestiaire des chambres à gaz en septembre 1943 (elles sont toutes tuées) ou encore le soulèvement organisé par le Sonderkommando qui parvient à faire sauter un crématoire et tue trois SS (450 membres du Sonderkommando sont par la suite assassinés). Les Sonderkommando se composaient de Juifs chargés de vider les chambres à gaz et d`incinérer les cadavres. Ils étaient périodiquement éliminés et remplacés afin de ne pas laisser de témoins de l`extermination.

 

Des camps du complexe d`Auschwitz, seul le camp souche (Auschwitz I) est demeuré intact. Après la guerre, Auschwitz devient un musée d`État dépendant du ministère de la Culture polonais. Dans les vingt-huit bâtiments en briques rouges d` Auschwitz I, ont été installées une exposition permanente et des expositions dites « nationales ». Auschwitz II-Birkenau, qui appartient aussi au musée, est resté jusqu`au début des années 1990 livré à lui-même. Les baraques en bois ont pour l`essentiel disparu, démontées par les paysans des environs qui ne laissèrent que les cheminées en briques. Des chambres à gaz-crématoires, il ne reste que des ruines. C`est à Birkenau, où désormais des panneaux et des photos expliquent ce qu`il s`y déroula, qu`a été érigé le monument international aux victimes du camp.

 

Auschwitz-Monument-Victimes

 Monument international à la mémoire des victimes du fascisme, inauguré à Birkenau en 1967

(Photographie de Pawel Sawicki)

 

Un complexe divisé en trois camps

 

Auschwitz-Plan

 Carte d`Auschwitz

(Encyclopédie B & S Éditions, 2007-2010)

 

Le complexe d`Auschwitz est commandé jusqu`en novembre 1943 par l`officier SS Rudolf Höss (1900-1947), ce dernier est exécuté par pendaison après son procès le 16 avril 1947, à Auschwitz. Il compte de 3,000 à 3,500 gardes et officiers SS, maîtres absolus du camp, qui s`appuient, pour exercer leur autorité, sur quelques détenus, dits « prééminents »: chefs de blocs, chefs de chambrée, kapos (détenus chargés de commander les autres détenus, dans les camps de concentration). Les premiers internés d`Auschwitz sont des Polonais jugés dangereux pour la sécurité du Reich (1940); ils sont suivis par des prisonniers de guerre russes (été 1941), parmi lesquels sont choisis les premières victimes des chambres à gaz (septembre 1941), puis par des Juifs de Silésie et de Slovaquie (hiver 1941-1942), de France, de Belgique et des Pays-Bas (à partir de l`été 1942), par des Bohémiens (début 1943), des Juifs de Grèce et des Balkans (printemps 1943), puis des survivants du ghetto de Varsovie, enfin les Juifs de Hongrie (printemps 1944). Les exterminations s`arrêtent en novembre 1944 mais le camp d` Auschwitz compte encore plus de 60,000 détenus lorsque son évacuation est décidée en janvier 1945, à l`approche des armées soviétiques.

 

 

Auschwitz I : un camp de concentration

 

Auschwitz I

Entrée d`Auschwitz I avec l`inscription Arbeit macht frei

 

Construit sur l`emplacement d`anciennes casernes polonaises dès février 1940, il s`agit du « camp souche » (Stammlager). Sa porte d`entrée est surmontée de la devise Arbeit macht frei (« Le travail rend libre »), reprise du camp de concentration de Dachau (1933-1945), situé en Bavière (Allemagne). Il est d`abord destiné à recevoir des prisonniers politiques polonais, on y interne des prisonniers tchèques et soviétiques, des Juifs, des Tsiganes et des prisonniers originaires des pays occupés par la Werhrmacht (force de défense). À l`instar de ce qui se passe dans les autres camps de concentration nazis, les détenus sont forcés de travailler jusqu`à épuisement et sont victimes de la férocité des SS et des Kapos (pour la plupart des criminels allemands). Des expériences médicales sont pratiquées, dans le Block 10,  sur les détenus par des médecins SS, dirigés par le docteur Joseph Mengele (1911-1979), officier allemand SS, en poste à Auschwitz de mai 1943 au 18 janvier 1945. Ce dernier procède aux « sélections » et mène de pseudo-expériences médicales notamment sur des jumeaux. Le Block 11, appelé aussi « Block de la mort », abrite la prison du camp, dans laquelle la Gestapo (police secrète d`État) incarcère, torture et tue. C`est aussi là qu`a lieu le premier gazage au Zyklon B (début décembre 1941). Les victimes sont des prisonniers de guerre soviétiques et des détenus « sélectionnés » à l`hôpital du camp. Dans ce lieu, 18,000 détenus s`y entassent. Le 1er mars 1941, lors de sa visite d`inspection, le « Reichsführer » SS Heinrich Himmler (1900-1945) décide d`agrandir le camp principal (Stammlager) pour porter sa capacité à 30,000 détenus, de créer à Birkenau un vaste camp pour 100,000 prisonniers de guerre. À la mi-juin 1941, des Juifs commencent à être dirigés vers Auschwitz. C`est le 4 juillet 1942 qu`a lieu, à la rampe (judenrampe), la première sélection, sur un convoi de Juifs slovaques.  Pendant l`hiver 1941-1942, la morgue (78 m2) du camp est parfois utilisée comme chambre à gaz.

 

 

Auschwitz II-Birkenau : un camp d`extermination

 

 Auschwitz II

Entrée d`Auschwitz II-Birkenau vue depuis l`intérieur du camp

 

Il est construit à partir de mars 1941 et réalisé par des prisonniers de guerre. Situé à environ 3 km du premier camp, il est destiné à l`origine aux prisonniers de guerre soviétiques, il peut contenir jusqu`à 60,000 détenus. Birkenau est le plus étendu des trois camps (175 hectares) et compte le plus grand nombre de prisonniers (200,000 en 1944). Il est aussi et surtout un centre d`extermination destiné à éliminer tous les Juifs d`Europe, dans le cadre de la « Solution finale ». À Birkenau sont mises en place des installations devant permettre l`extermination à un rythme industriel. En effet, en plus de deux chambres à gaz installées dans d`anciennes fermes (Bunker 1 et 2), en 1942-1943, sont construits quatre crématoriums. Chacun d`entre eux comprend trois parties : le local de déshabillage, une chambre à gaz et un four crématoire. Des fosses et des bûchers d`incinération permettent l`élimination des cadavres lorsque les fours crématoires ne suffisent plus. Une voie ferrée le traverse et débouche sur la rampe, où se déroule le processus de sélection. Les médecins et les officiers SS procèdent à un « tri » permettant d`isoler les « aptes au travail », des autres dirigés vers les dix chambres à gaz du camp. En mai 1944, des convois de Juifs hongrois (environ 438,000) arrivent à Birkenau. Plus de la moitié d`entre eux sont conduits aux chambres à gaz. À la fin de l`été 1944, Himmler ordonne l`extermination des Tsiganes détenus dans le camp.

 

 

Auschwitz III-Monowitz : un camp de travail

 

Auschwitz III 

Complexe industriel d`IG Farben

 

Ouvert en octobre 1942, près du village de Monowitz, il est situé à 6 km du camp principal. Il est implanté à côté du complexe industriel d`IG Farben à qui il fournit une main-d`œuvre gratuite pour son usine de méthanol et de caoutchouc synthétique. Il ne comprend pas de crématoire : les morts sont incinérés à Birkenau.

 

 

Quelques déportés connus

 

 

Parmi les principaux survivants d`Auschwitz, mentionnons : Anne Frank (1929-1945), détenue entre le 6 septembre et le 28 octobre 1944 à Auschwitz I-Birkenau puis envoyée à Bergen-Belsen, près de Hanovre (Allemagne) où elle meurt en mars 1945 à 15 ans; la violoncelliste allemande de renommée mondiale et une survivante de l`Orchestre des femmes d`Auschwitz Anita Lasker-Wallfisch; l`écrivain italien Primo Levi (1919-1987), détenu à Auschwitz III-Monowitz de la fin janvier 1944 jusqu`à la libération du camp en janvier 1945 et qui écrit en 1987 sur son expérience de détenu (Si c’est un homme, Éd. Julliard); la femme politique française Simone Veil, détenue 13 mois à Auschwitz (Bobrek) et l`écrivain et philosophe américain Elie Wiesel qui a consacré une partie de son œuvre à l’étude de la Shoah (La Nuit, Éd. de Minuit, 1958; rééd. 2007).

 

À cela, ajoutons ceux et celles qui y sont morts : Édith Holländer-Frank (1900-1945), mère d`Anne Frank; l`écrivaine néerlandaise Etty Hillesum (1914-1943); le prêtre catholique polonais Maximilien Kolbe (1894-1941) canonisé par Jean-Paul II en 1982; la romancière russe Irène Némirovsky (1903-1942) et la philosophe juive et carmélite allemande Édith Stein (1891-1942) dont nous honorons la mémoire dans les lignes ci-après.

 

 

En mémoire d`Édith Stein

 

Stein, Édith (1920)

 Édith Stein en 1920

 

Repères biographiques

 

Elle naît le 12 octobre 1891 à Breslau, ville germanisée (auj. Wroclaw en basse Silésie, Pologne). Elle est la fille cadette d`une riche famille juive pratiquante d`obédience orthodoxe. Son père est négociant en bois, sa mère Augusta est profondément religieuse. En 1893, sa mère  devient veuve et élève seule ses sept enfants. En 1911, elle obtient un baccalauréat, cursus de psychologie, qui vite la déçoit. Toutefois, elle découvre les Recherches logiques publiées sous le titre Prolégomènes à la logique pure, parues en 1900-1901 (PUF, 1961). du philosophe allemand Edmund Husserl (1859-1938), fondateur de la phénoménologie, science nouvelle qui la passionne. De 1912 à 1916, elle étudie à Göttingen (Basse-Saxe) et fréquente le groupe des phénoménologues. Elle entreprend alors sa thèse sur la notion d`Einfühlung (empathie), cette appréhension intuitive et sympathique de l`autre. À Göttingen, elle étudie auprès de Husserl qui y enseigne de 1906 à 1916. D`ailleurs, c`est le philosophe allemand Adolf Reinach (1883-1917), adjoint de Husserl qui a la charge de l`initiation des nouveaux venus; c`est donc lui qui accueille et présente Édith Stein à Husserl dont elle devient l`assistante. Toutefois, leur collaboration cesse rapidement pour des raisons philosophiques, quand Husserl renoue avec l`idéalisme d`un sujet impérialement maître du monde. Reinach meurt au combat à Diksmuide, en Flandre (Belgique), le 16 novembre 1917. Sa veuve Anna, convertie au christianisme, surmonte sa douleur grâce à la Croix du Christ. Édith Stein s`interroge sur l`espoir, le courage et la sérénité que procure la foi. Jusque-là athée, elle entame un chemin spirituel qui l`amène, après avoir lu Le livre de la Vie (Ire éd., 1588, Salamanque; Guillaume Foquel, éditeur, 1601), l`autobiographie de la religieuse espagnole Thérèse d`Avila (1515-1582), à entrer dans l`Église catholique. À cela, s`ajoute la lecture des Exercices spirituels (1548), ouvrage de prière faite de méditations progressives et systématiques composé par Ignace de Loyola (v. 1491-1556), fondateur de la Compagnie de Jésus, à partir de sa propre expérience de recherche de la volonté de Dieu dans sa vie.

 

Pendant la Grande Guerre, elle travaille comme infirmière dans un hôpital militaire. De plus, elle suit Husserl à Fribourg-en-Brisgau où celui-ci enseigne à partir de 1916. Elle contribue à l`organisation des écrits de Husserl, aujourd`hui publiés comme deuxième et troisième volumes des Idées pour une nouvelle phénoménologie pure (Ideen I,1913; traduction Paul Ricoeur, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1950; Gallimard, coll. « Tel », 1985). En 1916, elle retrouve le milieu universitaire et obtient son titre de docteur, honorée de la plus haute distinction. Dès 1916 aussi, elle croise l`univers des croyants et de la foi; pour elle, c`est la découverte de la prière intime et véritable. Durant l`été 1921, elle passe des vacances chez son amie Hedwige Conrard Martius (1888-1966), philosophe comme elle, à Bergzabern dans le Palatinat. Le 1er janvier 1922, elle reçoit le baptême dans l`église de Bergzabern suite à sa rencontre avec le philosophe allemand Max Scheler (1874-1928), auteur d`importantes analyses phénoménologiques (Nature et formes de la sympathie, 1913; Petite Bibliothèque Payot, no. 173, 1971; Payot & Rivages, 2003). Le 2 février, elle est confirmée par l`évêque de Spire (Rhénanie-Palatinat). C`est Scheler qui amène Édith Stein à réfléchir sur le christianisme. En 1925, le philosophe, théologien et jésuite allemand Erich Przywara (1889-1972) l`initie au monde du cardinal britannique John-Henry Newman (1801-1890), anglican converti au catholicisme, et dont elle traduit L`Idée d`université (Éd. Ad Solem, Genève, 2007), qui est un ensemble de conférences données par Newman entre 1852 et 1858 dans lesquelles il défend sa conception de l’éducation et de l’université qu’il va fonder à la demande des évêques irlandais. Dans les années 1925, elle tente d`unir la phénoménologie à une conception personnaliste. En 1931, elle entame la rédaction de sa thèse Endliches und Ewiges Sein, dont la censure nazie empêche l`édition. La thèse paraît en 1950.

 

Par la suite, elle enseigne la philosophie au Deutsches Institut de Münster (Rhénanie-Westphalie) en raison de ses attaches juives et catholiques. Elle commence à étudier de près les philosophes chrétiens, notamment le théologien et philosophe italien Thomas d`Aquin (1227-1274), en particulier son traité De Veritate (Questions disputées sur la vérité). C`est ainsi que naît en elle le projet d`insérer la doctrine de l`intentionnalité, propre de la phénoménologie, dans son analyse de la philosophie scolastique. Ce texte forme la 4e partie de l`ouvrage Phénoménologie et philosophie chrétienne, traduit de l`allemand par Philibert Secretan (professeur de philosophie à Fribourg) et publié par le Centre national des lettres, Cerf, coll. « Textes », 1987.  En 1929, elle publie La Phénoménologie de Husserl et la philosophie de saint Thomas d`Aquin. Jusqu`en 1932, elle enseigne l`allemand à Spire (Rhénanie-Palatinat), en Allemagne, chez les dominicaines. Elle se passionne pour la philosophie de Thomas d`Aquin, poursuit ses recherches philosophiques et donne des conférences. En septembre 1932, lors des Journées de Juvisy, dans l`Essonne (France), elle rencontre le philosophe français Jacques Maritain (1882-1973), défenseur du néothomisme.  Le 14 octobre 1933, elle rejoint le Carmel de Cologne (Rhénanie-Westphalie). La même année, Adolf Hitler (1889-1945) arrive au pouvoir au poste de chancelier et prend les premières mesures antijuives. Au printemps 1933, Édith Stein est alors interdite d`enseignement, étant non-aryenne. Le 15 avril 1934, attirée par la vie contemplative et mystique, elle prend l`habit des carmélites et rejoint le Carmel de Cologne (Rhénanie-Westphalie) pour y prendre le nom de sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix. Le 14 septembre 1936, elle renouvelle les vœux prononcés l`année précédente, le jour même du décès de sa mère. Devenue professe solennelle le 21 avril 1938, elle reprend, à la demande de ses supérieures, ses travaux philosophiques, qui se condensent dans un ouvrage lui aussi posthume Endliches und Ewiges Sein (L`Être fini et l`Être éternel).

 

Stein, Édith-Thérèse de la Croix

Thérèse-Bénédicte de la Croix

 

En 1938, les Juifs étant persécutés à cause de la montée du national-socialisme, elle se réfugie à Echt (Pays-Bas) le 31 décembre pour échapper aux persécutions raciales des nazis qui appliquent la Shoah. Comme là encore sa sécurité devient de plus en plus problématique, elle entreprend des démarches pour gagner le Carmel du Pâquier, à Fribourg (Suisse). Le 2 août 1942, elle est arrêtée par la Gestapo avec sa sœur Rosa (qui l`a rejoint au Carmel de Echt, en août 1940). Elle effectue un court séjour au camp de transit de Westerbork, village situé dans la commune néerlandaise de Midden-Drenthe (Pays-Bas); mentionnons qu`Anne Frank, sa sœur Margot, Otto et Edith Frank y sont aussi passés. À Westerbork, elle y croise également sans la connaître Etty Hillesum (1914-1943), jeune femme juive néerlandaise connue pour avoir, pendant la Seconde Guerre mondiale, tenu son journal intime (1941-1942) et écrit des lettres (1942-1943) depuis le camp de transit de Westerbork. Le 7 août, elle embarque dans un convoi de 987 Juifs pour l`Est. Le 9 août, elle arrive à Auschwitz II-Birkenau  et périt dans les chambres à gaz. Elle laisse une œuvre très personnelle, dont un essai inachevé sur le religieux espagnol et grand mystique catholique Jean de la Croix (v. 344-407). Co-patronne de l`Europe, elle est fêtée le 9 août.

 

En 1950, on publie à titre posthume Être infini et être éternel (Nauwelaerts, 1972). La même année, on publie également à titre posthume ses réflexions mystiques La Science de la Croix (Éd. Parole et Silence, 1998), où elle élabore une synthèse de la doctrine de saint Jean de la Croix. Le 1er mai 1987, à Cologne, elle est béatifiée par le pape Jean-Paul II (1920-2005) pour l`héroïsme de sa vie et de sa mort en martyre. La même année, on publie aussi à titre posthume Phénoménologie et philosophie chrétienne (Cerf, 1987). En 2008, on publie à titre posthume Vie d`une famille juive (Cerf / Éditions du Carmel). Le 11 octobre 1998, elle est canonisée par Jean-Paul II, sous le nom de Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix. En 2008, elle entre au « Walhalla », mémorial des personnalités marquantes de la civilisation allemande. Ce temple néo-dorique est situé à Donaustauf, au bord du Danube, à 10 km en aval de Ratisbonne, en Bavière (Allemagne).