Le 24 septembre 2007 est décédé à son domicile de Vosnon (Aube), le philosophe et écrivain français d`origine autrichienne André Gorz à l`âge de 84 ans. Il s`est suicidé avec sa femme Dorine, d`origine anglaise. Âgée de 83 ans, celle-ci était atteinte d`une affection évolutive depuis de nombreuses années, qui s`était doublée d`un cancer. Les deux corps ont été retrouvés inertes côte à côte lundi. Gorz aurait fait part à une amie de son désarroi devant l`aggravation de l`état de santé de son épouse quelques jours plus tôt.
Essayiste de renommée mondiale, il était considéré comme un penseur de l`écologie politique et de l`anticapitalisme. Dans un communiqué, le président français Nicolas Sarkozy a salué en lui « une grande figure de la gauche intellectuelle française et européenne », ajoutant qu`André Gorz « aura toute sa vie analysé en profondeur tant le socialisme que le capitalisme, à travers une double identité et un sens du paradoxe propre aux grands esprits ». Le président de la République a aussi rappelé que Gorz avait été « un fondateur important du courant écologiste au début des années 70 ».
Il naît en février 1923 à Vienne (Autriche), sous le nom de Gérard Horst pour l`état civil. Son père est marchand de timbres juif; sa mère, secrétaire catholique, est issue d`un milieu cultivé. Il est élevé dans une atmosphère férocement antisémite qui amène son père à se convertir au catholicisme en 1930. En 1939, ses parents l`envoient faire ses études dans une institution catholique de Lausanne (Suisse), pour lui éviter d`être mobilisé dans l`armée allemande. En 1945, il obtient un diplôme d`ingénieur chimiste, de l`École d`ingénieurs de l`Université de Lausanne. À cette époque, il participe aux rencontres de la société d`étudiants « Belles-Lettres », et s`intéresse vivement à la phénoménologie et à l`œuvre de Jean-Paul Sartre (1905-1980). En 1946, il rencontre pour la première fois le philosophe Jean-Paul Sartre, avec lequel il a été longtemps proche.
Il commence sa vie professionnelle comme traducteur de nouvelles américaines pour un éditeur suisse. Puis, il publie ses premiers articles dans le journal d`un mouvement coopératif. En juin 1949, il quitte la Suisse pour Paris où il travaille d`abord au secrétariat international du Mouvement des Citoyens du Monde, puis comme secrétaire privé d`un attaché militaire de l`ambassade de l`Inde. En 1954, il est naturalisé français. Après des débuts dans le journalisme à Paris-Presse, il est recruté comme journaliste économique à l`Express par le chroniqueur Jean-Jacques Servan-Schreiber (1924-2006). Parallèlement à son travail de journaliste, il côtoie le groupe des sartriens et adopte une approche existentialiste du marxisme qui l`amène à accorder une place centrale dans sa réflexion aux questions d`aliénation et de libération. En 1958, il publie Le Traître (Seuil), ouvrage préfacé par Jean-Paul Sartre. De 1961 à 1974, il collabore à la revue Les Temps modernes. En 1961, il s`intègre au comité de rédaction des Temps modernes, dont il devient assez rapidement le directeur politique dans la mesure où, entre 1967 et 1974, il coordonne de nombreux numéros sur le monde ouvrier, rédige des articles très critiques sur l`Université, l`usine et l`école. À partir de ce moment, il se fait alors l`écho d`italiens radicaux comme Garavani, du communiste néo-keynésien Bruno Trentin ou du syndicaliste libertaire Vittorio Foa, et s`impose comme le chef de file intellectuel de la tendance « italienne » de la nouvelle gauche, exerçant une certaine influence sur les militants de l`U.N.E.F. et de la C.F.D.T.
En 1964, il quitte L`Express et fonde, avec Jean Daniel, l`hebdomadaire Le Nouvel Observateur, sous le pseudonyme de Michel Bosquet; il y est rédacteur en chef. La même année, il publie Stratégie ouvrière et néo-capitalisme (Seuil), où il s`adresse d`ailleurs spécifiquement aux mouvements syndicaux avec l`exposition qu`il y fait des différentes stratégies qui leurs sont offertes, complétées par une critique sévère du modèle de croissance capitaliste. En 1967, il publie Le Socialisme difficile (Seuil) où il poursuit son élaboration d`une théorie des réformes révolutionnaires. En 1968, il est très marqué par la contestation en France dont le spontanéisme entre en convergence avec sa vision existentialiste du socialisme. Il s`est ensuite éloigné peu à peu des différentes sensibilités marxistes auxquelles il a été lié pour se rapprocher de l`écologie politique, qu`il tente de concilier avec l`utopie socialiste. En 1969, il assume la responsabilité éditoriale à la revue Les Temps modernes. En 1970, son article « Détruire l`Université » provoque le départ de Bernard Pingaud et Jean-Bertrand Pontalis. En 1971, il rencontre, au Nouvel Observateur,l`essayiste américain d`origine autrichienne Ivan Illich (1926-2002), penseur de l`écologie politique et figure importante de la critique de la société industrielle. Cet événement se produit à l`occasion de la parution du livre d`Illich intitulé Une société sans école (Seuil).
À partir de 1973, il rejoint le mensuel Le Sauvage qu`il pousse à une plus grande politisation. En 1974, Gorz côtoie à nouveau Illich lors d`un séjour en Californie dont il tire deux longs articles pour Le Nouvel Observateur. En 1974 toujours, un désaccord au sujet d`un numéro consacré au groupe italien Lotta Continua engendre sa démission aux Temps modernes, et consacre son éloignement progressif de Jean-Paul Sartre. En 1975, il publie Écologie et politique (Galilée), dont le chapitre « Écologie et liberté » constitue à lui seul un des textes fondateurs de la problématique écologique. En 1977, il publie Fondements pour une morale (Galilée) où il tente de fonder une morale qui respecte l`existentialisme husserlien et le marxisme. En 1980, il publie Adieux au prolétariat (Galilée) dans lequel il prend ses distances avec le marxisme. En 1983, il prend sa retraite et s`occupe de son épouse dont il est très épris. En 1988, il publie Métamorphose du travail. Quête de sens (Galilée) où il propose de remplacer l`éthique du travail par une éthique du temps libéré. Le couple se retire alors dans une maison à Vosnon, à 35 km de Troyes. En 2006, c`est à sa femme qu`il consacre le livre Lettre à D. Histoire d`un amour (Galilée), une ode à Dorine.
Son œuvre comprend également les titres suivants : La morale de l`histoire (Seuil,1959), Réforme et révolution (Seuil,1969), Critique du capitalisme quotidien (Galilée,1973), Les Chemins du Paradis (Galilée,1983), Capitalisme, socialisme, écologie (Galilée,1991), Misères du présent, richesse du possible (Galilée,1997), L`immatériel (Galilée,2003). À cela s`ajoute un recueil posthume intitulé Ecologica (158p.) publié à Paris le 17 janvier 2008 aux Éditions Galilée dans la collection « Débats ».
Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.