Cette année marque le 50e anniversaire de Vatican II. C`est le 11 octobre 1962, sous le pontificat du pape Jean XXIII, que s`ouvre le XXIe concile œcuménique du Vatican, à Rome. En effet, le pape Jean XXIII étonne le monde entier quand, le 25 janvier 1959, dans une allocution prononcée dans la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, moins de trois mois après son élection, il annonce, à 18 cardinaux, la convocation d`un concile œcuménique pour assurer le renouveau de l`Église confrontée au monde moderne et préparer l`unité des chrétiens. Le discours d`ouverture à Saint-Pierre de Rome, le 11 octobre 1962, en présence des 2540 pères du concile, fait une impression profonde parce qu`il propose un programme novateur. Ce 2e concile du Vatican est présidé par un collège de 12 cardinaux-présidents et dirigé, à partir de la IIe session, par quatre cardinaux-modérateurs. Il se déroule en 4 sessions, au cours de 168 Congrégations générales; il promulgue 16 documents : 4 Constitutions, 9 Décrets et 3 Déclarations.
Aux sessions des assemblées, dites congrégations générales, assistent des représentants d`Églises non catholiques, et des laïcs. À cet égard, lors de la IIe session, le 3 décembre 1963, des auditeurs laïques prennent la parole au concile, soit le philosophe français Jean Guitton et l`avocat et homme politique italien Vittorino Veronese (1910-1986). Ce dernier fut président de l`Action catholique italienne (1946-1952) et directeur général de l`UNESCO (1958-1961). En effet, en septembre 1962, la Secrétairerie d`État suggère au pape Jean XXIII les noms de 12 responsables d`organisations internationales catholiques, aptes à suivre le Concile et à en faire passer l`esprit à travers le monde. Ces laïcs ont travaillé à plusieurs occasions avec les Pères conciliaires à la Commission de l`apostolat des laïcs. En novembre 1962, trois autres laïcs sont adjoints aux Pères, dont Jean Guitton. D`ailleurs, il est le seul laïc catholique présent à la Ire session. Vers les derniers jours de la IIe session, il prend la parole sur le thème de l`unité. Le 3 décembre 1963, il en parle à nouveau à l`occasion de la célébration du IVe centenaire du Concile de Trente (1545-1563). Au terme de la IIIe session, il rédige, à la demande des auditeurs, une synthèse sur le rôle des laïcs dans le monde.
L`événement se déroule en quatre sessions (1962-1965), sous Jean XXIII (1962) puis sous Paul VI (1963, 1964, 1965). Chaque session dure deux à trois mois. La curie romaine qui traditionnellement organise et dirige les conciles est écartée comme trop conservatrice, les « Pères » décident de ramener de 70 à 20 les schèmes soumis à discussions, par souci d`efficacité. Outre le pape et plus de 2000 pères conciliaires venus de 141 pays, des experts, des observateurs non catholiques (présents pour la première fois) et quelques auditeurs laïques (dont des femmes) y participent. Les assemblées conciliaires groupent plus de 2000 votants. Des théologiens qui avaient été écartés sous Pie XII (1876-1958) comme les dominicains français Yves Congar (1904-1995) et Marie-Dominique Chenu (1895-1990) ou le jésuite français Henri de Lubac (1896-1991) sont invités, à la demande du pape, comme experts en théologie (peritus). Dès 1960, Jean XXIII impose les Pères Congar et de Lubac comme experts de la Commission doctrinale du concile.
Pour la première fois, un concile œcuménique ne s`est pas réuni sous la pression des événements ou pour s`opposer à des hérésies. Ses décrets ne s`accompagnent donc pas d`« anathèmes ». Lors de Vatican I, en 1869-70, le pape Pie IX (1792-1878) pèse de toute son autorité sur les débats pour faire triompher le dogme de l`infaillibilité pontificale (18 juillet 1870) dont la proclamation marque le sommet du centralisme romain. Par contre, en 1962-65, les évêques usent de toute leur influence pour faire reconnaître par l`autorité centrale les droits des autorités locales et imposer le principe trop méconnu de la collégialité épiscopale dans le gouvernement de l`Église catholique romaine. Durant trois ans, l`Église catholique cherche à s`inscrire dans la modernité du monde contemporain en se réformant. Vatican II propose un « aggiornamento » (mise à jour) de l`Église, des réformes pastorales, un dialogue œcuménique, une ouverture aux problèmes des hommes de ce temps. Vatican II marque en quelque sorte la débâcle du sectarisme et de l`intransigeance, et l`ouverture vers une plus grande tolérance. Il a été dicté par la perte de crédit de l`Église devant les diverses idéologies marxistes, mieux adaptées aux luttes sociales de l`époque.
Les 16 textes adoptés constituent une avancée importante de la pensée de l`Église sur elle-même et sur sa mission dans le monde. L`Église, considérée alors avant tout comme une organisation hiérarchique, s`y trouve définie comme « peuple de Dieu » (constitution dogmatique Lumen Gentium, promulguée le 21 novembre 1964) face au monde, elle se veut désormais résolument « dans le monde de ce temps » (constitution pastorale Gaudium et Spes, promulguée le 8 décembre 1965). Ajoutons à ces textes, la fameuse déclaration sur la liberté religieuse, promulguée à la fin du concile (IVe session), après une discussion longue et difficile (120 interventions orales, 600 écrites, et pas moins de 7 rédactions successives). Texte capital riche de développements futurs : la liberté religieuse y est reconnue comme un droit fondamental de la personne humaine, que doit reconnaître et protéger la société civile : liberté des hommes, liberté de l`acte de foi, liberté des familles, liberté de l`Église face aux sociétés civiles et aux pouvoirs publics. Toutefois, les mouvements traditionalistes refusèrent catégoriquement d`adhérer à l`esprit d`ouverture initié par Vatican II. Cet aggiornamento est dénoncé au nom de la tradition par ceux qui refusent notamment la réforme de la liturgie et l`affaiblissement du pouvoir du pape, tels Mgr Lefebvre (1905-1991), alors archevêque de Dakar, porte-parole des traditionalistes à Vatican II.
Parmi les laïcs qui assistent au concile, il y a le philosophe français Jean Guitton (1901-1999). Connu pour sa réflexion œcuménique et pour son livre L`Église et les laïcs (DDB, 1963), il est appelé à prendre part aux travaux du Concile Vatican II. Ami intime de Mgr Giovanni Battista Montini (1897-1978), futur pape Paul VI, il est protégé des rigueurs de l`Index. Il est également appelé par le pape Paul VI (dont il sera le confident) à participer comme simple laïc au concile Vatican II; il a été également le seul laïc à y « prendre la parole ». Ses Dialogues avec Paul VI (Fayard, 1967) ont exprimé, d`une manière vivante, les grandes préoccupations de l`Église à travers un portrait de Paul VI.
Il s`inscrit tout au long du XXe siècle, comme un penseur catholique, particulièrement soucieux d`établir des liens rigoureux entre la raison et la foi. Il précède aussi la réflexion du Concile sur les relations avec la science. Il constate dans le travail des scientifiques une nouvelle ouverture à la divinité. Il encourage une réconciliation définitive entre la religion et la science.
En 1923, il obtient l`agrégation de philosophie. En 1933, il soutient une thèse de philosophie à la Sorbonne sous la direction du philosophe français Léon Brunschvicg (1869-1944) sur Le Temps et l`éternité chez Plotin et saint Augustin, publiée chez Vrin en 1959. En 1961, il devient membre de l`Académie française. Le 2 mars 1987, il est élu à l`Académie des sciences morales et politiques, au siège de l`écrivain et philosophe français Ferdinand Alquié (1906-1985). En juin 1988, à la demande du pape Jean-Paul II (1920-2005), il se rend à Écône (Suisse) pour rencontrer Mgr Marcel Lefèvre (1905-1991), lui-même docteur en philosophie et en théologie et tenter d`éviter le schisme.
Considéré comme le représentant de la pensée catholique contemporaine, il publie des ouvrages apologétiques dont notamment : La Pensée moderne et le Catholicisme (Aubier, 1930-1955), Jésus (Grasset, 1956). Il est également l`auteur de très nombreux ouvrages de philosophie et de religion, d`essais, de nouvelles, de dialogues, si bien qu`il apparaît comme un des maîtres de l`école contemporaine de philosophie chrétienne. Toute son œuvre s`efforce de créer un espace vital pour le catholicisme et de rapprocher les esprits de la vérité.
Pierre Lemay a enseigné la philosophie au Cégep de Trois-Rivières de 1977 à 2014, année de sa retraite. Il a été adjoint au coordonnateur du Département de Philosophie du Cégep de Trois-Rivières en 1980-81. Il est membre-fondateur de la Société de Philosophie du Québec (SPQ) en 1974. Il fut également archiviste-adjoint de la SPQ en 1981 et 1982 et membre du Comité de rédaction du Bulletin de la SPQ de 1981 à 1984. Il est aussi membre-fondateur de la Société de Philosophie des régions au coeur du Québec en 2017. De plus, il est membre de l`Institut d`histoire de l`Amérique française depuis 1993 et membre de la Corporation du Salon du livre de Trois-Rivières depuis 2015. Il collabore à PhiloTR depuis sa création en 2004.