NDLR : À la session d’hiver 2014 sera inauguré un Cercle de lecture pour les étudiants du Cégep de Trois-Rivières. Le but fondamental de ce cercle est de permettre aux étudiants qui ont un intérêt pour la philosophie d’approfondir davantage leurs réflexions, et ce, sans les contraintes associées aux devis de cours et aux évaluations que nous rencontrons en classe. Le thème sélectionné pour les rencontres de la session d’hiver 2014 est «la littérature, véhicule d’idées philosophiques». Les rencontres du Cercle de lecture pour échanger à chaque fois sur un ou des textes différents, mais ayant toujours ce thème commun, se feront dans les «périodes libres» des jeudis (11h50 à 12h50) les 30 janvier, 13 février, 27 février, 20 mars et 3 avril. Le texte qui suit est la présentation de la deuxième rencontre du Cercle de lecture — cette deuxième rencontre (le 13 février) sera animée par Philippa Dott. Pour plus d’informations ou pour s’inscrire au Cercle, on peut communiquer avec Léonie Cinq-Mars (leonie.cinq.mars@cegeptr.qc.ca ), Philippa Dott (philippa.dott@cegeptr.qc.ca ) ou Yvon Corbeil (yvon.corbeil@cegeptr.qc.ca ).
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Note : on peut télécharger les extraits de lecture pour cette rencontre en format .pdf
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Sous-thème du cercle de lecture : Tolstoï et la mort
Bien que séparées en deux disciplines distinctes, la philosophie et la littérature ont toujours entretenu des rapports soutenus. En témoigne le « commencement » même de la philosophie, puisque Platon a utilisé la forme littéraire des dialogues pour communiquer ses idées philosophiques, soucieux de la dimension pédagogique qu’elle permettait. Cette tradition du dialogue littéraire a d’ailleurs perduré en philosophie, reprise par des modernes comme le philosophe anglais David Hume dans son Dialogue sur la religion naturelle ou dans l’Entretien avec M. de Sacy du philosophe français Blaise Pascal. Si la forme du dialogue n’est pas devenue majoritaire en philosophie, laissant davantage place à des traités théoriques, parfois arides, on a observé, à l’inverse, des philosophes s’essayer aux récits et au théâtre. On pense ici à L’Atlantide de Francis Bacon, récit d’une société utopique guidée par la Science ou encore à la Mandragore de Machiavel, pièce de théâtre qui illustre la philosophie du Prince. Mais c’est surtout au XXème siècle, avec le mouvement existentialiste, que l’œuvre littéraire comme forme philosophique acquiert ses lettres de noblesse. Sartre et Camus en sont les principaux représentants, ce dernier n’hésitant pas à dire : « Si vous voulez être philosophe, écrivez des romans[1]. » Par la proximité des sujets, en particulier l’interrogation sur le sens et la valeur de la condition humaine, la philosophie comme la littérature se rejoignent, bien que leur but et leurs moyens aient souvent été présentés comme opposés a priori. La philosophie s’attache davantage au langage conceptuel et à la vérité, visant une certaine universalité, la littérature se situe plutôt dans l’esthétisme et l’expression de la subjectivité. Pourtant combinées ensemble, la littérature et la philosophie atteignent une puissance inégalée. Pas simplement de manière caricaturale par l’adoucissement d’une aridité des textes philosophiques ou par un approfondissement conceptuel en littérature, mais parce que sentiment et raison chez l’homme sont intrinsèquement liés. Ainsi des auteurs comme Shakespeare ou Dostoïevski, Proust ou Joyce et tant d’autres ont-ils un effet extraordinaire sur le lecteur, stimulant sa réflexion et sa sensibilité.
Mais la littérature possède aussi une force particulière pour traiter de certaines questions difficiles et fondamentales en philosophie, notamment celle de la mort. Déjà dans le Phédon, à la fin de son discours, Socrate prenait-il le « beau risque » de substituer au discours rationnel un « mythe vraisemblable » afin de rassurer ses interlocuteurs sur le sort de son âme après sa mort. Dans cette lignée, Tolstoï, grand romancier russe (1828-1910), était obsédé par la question de la mort, il écrit ainsi dans son Journal : « ce qui est vrai, c’est qu’il n’y a rien d’autre à faire dans la vie que de mourir. » Cette obsession lui a permis d’explorer les infimes recoins de la finitude humaine, faisant dire au philosophe Jankélévitch à la fin de son ouvrage : « Certaines paroles ambiguës donnent à penser que Tolstoï, le plus grand génie de l’objectivité, avait eu l’intuition de ce mystère patent[2]… » En effet, dans son œuvre, Tolstoï tente d’appréhender la réalité de la mort à travers tous ses prismes, élaborant dans un même élan, l’exploration et l’élaboration d’une philosophie de l’existence : « Confronté à la mort, il a relevé le défi de penser son rapport à la vie pour sortir de l’impasse. Il ne s’est pas alors livré à une froide spéculation ou à un discours édifiant, mais a témoigné d’une quête vécue sur fond d’angoisse et de doute. […] La question n’est plus alors de vivre ou de mourir, mais de chercher une compréhension de la vie qui résiste à la mort[3]. »
À l’occasion du cercle de lecture « littérature, véhicule d’idées philosophiques » nouvellement créé par le département de philosophie du Cégep de Trois-Rivières, nous aimerions proposer une séance sur les manifestations de la mort dans l’œuvre de Tolstoï à travers des extraits de quatre grandes œuvres :
- La mort d’Yvan Illich (nouvelle, 1886)
- Maître et Serviteur (nouvelle, 1895)
- Guerre et Paix (roman, 1865-69)
- Anna Karénine (roman, 1877-78)
La lecture des scènes qui représentent la mort de quatre personnages, celle d’Ivan Illitch, de Vassili Andréitch, d’André Bolkonski et de Nicolas Lévine nous permettra de discuter de ce thème.
[1] Camus, A., Œuvres complètes, Gallimard, vol. II, Paris, 2006-2008, p.800.
[2] Jankélévitch, V., La mort, GF Flammarion, Paris, 1966, p. 421-422.
[3] Picq, B., « La traversée de la mort », Études, Paris, novembre 2004, n.401, p.513-516.
Enseignante au Cégep de Trois-Rivières, docteure en philosophie ancienne (Université Laval et Université de Strasbourg).
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